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12/02/2025 | FRANCE | N°23DA02190

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 12 février 2025, 23DA02190


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler le titre de perception émis le 5 août 2021 par le ministre des armées mettant à sa charge la somme de 80 424,42 euros pour le remboursement du coût d'une formation spécialisée, d'en prononcer la décharge totale ou partielle et d'annuler la décision du 13 décembre 2021 de rejet de son recours gracieux contre ce titre de recette.



Par un jugement n° 2200477 du 26 septembre 2023, le tribu

nal administratif de Rouen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler le titre de perception émis le 5 août 2021 par le ministre des armées mettant à sa charge la somme de 80 424,42 euros pour le remboursement du coût d'une formation spécialisée, d'en prononcer la décharge totale ou partielle et d'annuler la décision du 13 décembre 2021 de rejet de son recours gracieux contre ce titre de recette.

Par un jugement n° 2200477 du 26 septembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 novembre 2023 et le 16 octobre 2024, M. B..., représenté par Me Moumni, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler le titre de perception émis le 5 août 2021 par le ministre des armées mettant à sa charge la somme de 80 424,42 euros pour le remboursement du coût d'une formation spécialisée, ainsi que la décision du 13 décembre 2021 de rejet de sa réclamation préalable ;

3°) de prononcer la décharge totale de la somme mise à sa charge ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le titre de perception ne mentionne pas les bases de liquidation et ne satisfait pas à l'exigence de motivation imposée par les articles 24 et 112 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ; il ne renvoie à aucun document faisant référence aux montants exigés ;

- il n'est pas redevable de la somme mise à sa charge au titre des frais de formation dès lors qu'il n'a pas signé l'engagement écrit prévu par l'article 5 de l'arrêté du 26 juillet 2013 fixant la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée ; aucune mention de cette contrepartie financière n'a été portée à sa connaissance avant son engagement, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4139-50 du code de la défense qui impliquent de recueillir le consentement express du militaire ; ces dispositions imposent à l'administration une obligation de délivrer une information spécifique ;

- le montant du recouvrement contraint est disproportionné et porte ainsi atteinte à sa situation patrimoniale et au droit au respect de ses biens au sens des stipulations de l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de celles de l'article 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les sommes demandées ne sont pas justifiées, faute pour l'administration de préciser la nature et la durée des périodes de formation spécialisée prises en compte ;

- la somme exorbitante mise à sa charge est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et révèle une méconnaissance des stipulations de l'article 4.2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibant tout travail forcé ou obligatoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- l'arrêté du 26 juillet 2013 fixant la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Moumni, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... a signé, le 18 novembre 2013, un contrat d'engagement de dix ans en qualité d'élève officier du personnel navigant, dans la filière pilote. M. B... a obtenu son brevet militaire de navigateur officier système d'armes de combat (NOSA) le 21 mars 2017. Le 29 août 2019, il a souscrit un contrat d'engagement en qualité d'officier sous contrat rattaché au corps des officiers de l'armée de l'air dans la spécialité NOSA de transport, pour une durée de huit ans. Par un courrier du 24 septembre 2019, M. B... a dénoncé son contrat. Par une décision du 4 octobre 2019, la ministre des armées l'a radié des contrôles à compter du 8 octobre suivant et l'a par ailleurs informé qu'il était tenu au remboursement de sa formation spécialisée en application du code de la défense. Par un courrier du 25 mai 2021, la ministre des armées lui a rappelé son obligation de remboursement et l'a informé qu'un titre de perception d'un montant de 80 424,42 euros lui serait adressé par la direction départementale des finances publiques (DDFIP). Le 5 août 2021, la DDFIP du Finistère a émis à son encontre un titre de recette d'un montant de 80 424,42 euros. Le 4 octobre 2021, M. B... a contesté ce titre par un recours préalable adressé à la DDFIP, qui l'a transmis à l'ordonnateur du ministère des armées. Son recours gracieux ayant été rejeté le 13 décembre 2021, M. B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, l'annulation de ce titre de recette et, d'autre part, la décharge de l'obligation de payer la somme de 80 424,42 euros. M. B... relève appel du jugement du 26 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre de perception émis le 5 août 2021 par le ministre des armées mettant à sa charge la somme de 80 424,42 euros, d'en prononcer la décharge totale ou partielle et d'annuler la décision du 13 décembre 2021 de rejet de son recours contre ce titre de recette.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 4139-13 du code de la défense : " La démission du militaire de carrière ou la résiliation du contrat du militaire servant en vertu d'un contrat, régulièrement acceptée par l'autorité compétente, entraîne la cessation de l'état militaire. La démission ou la résiliation du contrat, que le militaire puisse bénéficier ou non d'une pension de retraite dans les conditions fixées au II de l'article L. 24 et à l'article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ne peut être acceptée que pour des motifs exceptionnels, lorsque, ayant reçu une formation spécialisée ou perçu une prime liée au recrutement ou à la fidélisation, le militaire n'a pas atteint le terme du délai pendant lequel il s'est engagé à rester en activité. / (...) ". Aux termes de l'article R. 4139-50 du même code : " Pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 4139-13, un arrêté conjoint du ministre de la défense et du ministre de l'intérieur fixe la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée. / Le militaire admis à une formation spécialisée s'engage à servir en position d'activité ou en détachement d'office, pour la durée fixée par l'arrêté mentionné au premier alinéa, à compter de la date d'obtention du titre validant la formation ou, à défaut, de la date de la fin de la formation. / (...) / Le lien au service exigé à l'issue d'une formation spécialisée n'est pas modifié en cas de changement de statut ". En outre, selon l'article R. 4139-51 de ce code : " Le militaire admis à suivre une formation spécialisée est tenu à un remboursement : / 1° Lorsqu'il ne satisfait pas à l'engagement prévu au deuxième alinéa de l'article R. 4139-50 ; / (...). / A moins qu'il en soit disposé autrement dans les statuts particuliers, le montant du remboursement est égal au total des rémunérations perçues pendant la période de formation spécialisée, affecté d'un coefficient multiplicateur dont le taux est fixé par l'arrêté mentionné au premier alinéa de l'article R. 4139-50. Ce montant décroît proportionnellement au temps obligatoire de service accompli à l'issue de cette formation spécialisée ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 26 juillet 2013 fixant la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée, applicable à la date d'admission de M. B..., le 29 septembre 2014, à la formation spécialisée pour l'obtention du brevet du personnel navigant air du second degré (navigateur) : " Le lien au service exigé à l'issue de cette formation ainsi que le coefficient multiplicateur applicable en cas de rupture du lien au service font l'objet d'un engagement du militaire, par écrit, dans le formulaire joint en X, préalablement à l'admission à la formation spécialisée ". En outre, selon l'annexe V à cet arrêté, la durée du lien au service exigée à l'issue de la formation spécialisée " Brevet du personnel navigant air du 2e degré (BPN Air) " est de huit ans. Enfin, l'annexe X prévoit l'existence d'un " Formulaire d'engagement relatif à l'admission à l'une des formations spécialisées fixées dans le présent arrêté " par lequel le candidat admis à une formation spécialisée " [s'] engage à rester en position d'activité ou en détachement d'office pendant une durée de ... à compter de la date de l'obtention du titre validant la formation ou, à défaut, de la date de la fin de la formation. En conséquence, je ne peux prétendre, sauf motifs exceptionnels, à une démission ou une résiliation de contrat, tant que je n'aurai pas atteint le terme du délai fixé ci-dessus (...) En cas de rupture du lien au service pour motifs exceptionnels, le montant du remboursement à verser est égal au total des rémunérations que j'ai perçues pendant la formation spécialisée, affecté d'un coefficient multiplicateur de...... Ce montant décroît proportionnellement au temps obligatoire de service accompli à l'issue de cette formation spécialisée ".

4. Il résulte des dispositions précitées des articles R. 4139-50 et R. 4139-51 du code de la défense, précisées par l'arrêté du 26 juillet 2013, que la délivrance préalable, au militaire admis à une formation spécialisée, de l'information écrite relative à la durée pour laquelle il sera engagé à servir, à compter de la date d'obtention du titre validant la formation ou, à défaut, de la date de la fin de la formation, constitue une formalité substantielle de son consentement écrit, à ne pas rompre prématurément cet engagement et de l'obligation de remboursement à laquelle il est tenu en cas de rupture anticipée de celui-ci.

5. Il résulte de l'instruction que M. B... a conclu, le 18 novembre 2013, un acte d'engagement dans l'armée de l'air. Il a, dans ce cadre, à compter du 29 septembre 2014, suivi une formation spécialisée à l'issue de laquelle il a obtenu, le 21 mars 2017, son brevet militaire de navigateur officier système d'armes de combat. Il est constant que préalablement à son admission au cycle de formation spécialisée, M. B... n'a pas signé le formulaire d'engagement auquel renvoie l'article 5 de l'arrêté du 26 juillet 2013 précité et il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait signé un engagement équivalent, ni qu'il aurait reçu une information équivalente par une autre voie, préalablement à son admission à cette formation. Dans ces conditions, à défaut pour M. B... d'avoir signé le formulaire d'engagement relatif à l'admission à l'une des formations spécialisées, prévu en annexe X à l'arrêté du 26 juillet 2013, il ne peut être regardé comme s'étant engagé en toute connaissance de cause à respecter la durée de service lié à la formation suivie. Dès lors, il ne peut être tenu au remboursement des frais de formation spécialisée et, pour ce motif, le titre de recette émis le 5 août 2021, d'un montant de 80 424,42 euros, doit être annulé, ainsi que, par voie de conséquence, la décision du 13 décembre 2021 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours contre ce titre de recette.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement n° 2200477 du 26 septembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler ce jugement ainsi que le titre de perception émis à l'encontre de M. B... le 5 août 2021 de même que la décision du 13 décembre 2021 et, par suite, de le décharger de l'obligation de payer la somme de 80 424,42 euros mise à sa charge.

Sur les frais liés au litige :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2200477 du 26 septembre 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : Le titre de perception émis le 5 août 2021 et la décision du 13 décembre 2021 sont annulés.

Article 3 : M. B... est déchargé du paiement de la somme de 80 424,42 euros.

Article 4 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Articles 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience publique du 28 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 février 2025.

Le rapporteur,

Signé : F. MalfoyLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 23DA02190 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA02190
Date de la décision : 12/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : MAUMONT MOUMNI AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-12;23da02190 ?
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