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29/01/2025 | FRANCE | N°24DA00045

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 29 janvier 2025, 24DA00045


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la commune de Saint-Quentin à lui verser la somme de 83 401 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de l'absence de réintégration dans les services de la commune à compter du 1er janvier 2016.



Par un jugement n° 2200759 du 16 novembre 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Pa

r une requête, enregistrée le 9 janvier 2024, Mme A..., représentée par Me Rodier, demande à la cour :



1°) d'an...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la commune de Saint-Quentin à lui verser la somme de 83 401 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de l'absence de réintégration dans les services de la commune à compter du 1er janvier 2016.

Par un jugement n° 2200759 du 16 novembre 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2024, Mme A..., représentée par Me Rodier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 16 novembre 2023 ;

2°) de condamner la commune de Saint-Quentin à réparer les pertes de revenus subies à compter du 1er janvier 2016 pour un montant de 53 401 euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2021, et les troubles dans les conditions d'existence, pour un montant de 30 000 euros ;

3°) de mettre les dépens, incluant les droits de plaidoirie, à la charge de la commune de Saint-Quentin, ainsi qu'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune de Saint-Quentin a omis de lui proposer un poste d'assistant de conservation devenu vacant en 2011, sans justifier cette omission par l'intérêt du service ;

- la circonstance qu'elle n'aurait pas donné suite à une proposition de poste en 2016 ne peut exonérer la commune de sa responsabilité qui doit être appréciée au regard de la faute commise en 2011 ;

- elle n'a pas entendu limiter sa demande d'indemnisation aux faits postérieurs au 1er janvier 2016 ;

- les quatre emplois créés en 2014 et 2015 pour être proposés au concours de recrutement ou réservés aux agents non titulaires visés par la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 devaient lui être proposés en vue d'une réintégration ;

- les dispositions de cette loi ne sauraient faire obstacle à son droit d'obtenir une réintégration dans un emploi de son grade ;

- contrairement à ce que soutient la commune, elle a répondu favorablement à la proposition de poste faite en décembre 2015 ;

- le poste de chargé d'accueil et d'actions culturelles pourvu par un agent de catégorie C le 30 octobre 2017 correspond en réalité à un emploi de catégorie B et aurait dû lui être proposé ; ce poste aurait dû lui être proposé en tout état de cause, quand bien même il relèverait effectivement de la catégorie C ;

- le poste de responsable des nouvelles technologies et de l'information, vacant en 2020, ne lui a jamais été proposé, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de l'avoir refusé ;

- elle a accepté le poste de chargée d'accueil et de médiation proposé le 8 octobre 2020, et elle pouvait l'occuper sous réserve d'aménagements temporaires rendus nécessaires par des restrictions médicales et compatibles avec l'intérêt du service ;

- la commune de Saint-Quentin a engagé sa responsabilité en omettant de lui proposer un poste dans un délai raisonnable, lequel doit être regardé comme échu le 1er janvier 2015 au plus tard ;

- elle a été privée d'une chance sérieuse de percevoir, à compter du 1er janvier 2016, une rémunération, incluant les primes et indemnités, pour un montant net de 118 567 euros, dont il convient de déduire les revenus effectivement perçus pour un montant de 65 166 euros ;

- elle a subi des troubles dans ses conditions d'existence en raison de la précarité dans laquelle elle se trouve depuis le 12 janvier 2014, justifiant une indemnité évaluée à 30 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2024, la commune de Saint-Quentin, représentée par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 24 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 23 octobre 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 84-56 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 ;

- le décret n° 95-33 du 10 janvier 1995 ;

- le décret n° 2011-1642 du 23 novembre 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Lacoeuihle, représentant la commune de Saint-Quentin.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., assistante de conservation de 2ème classe du patrimoine et des bibliothèques, a été recrutée le 1er novembre 1998 par la commune de Saint-Quentin, dans le département de l'Aisne, pour occuper le poste de responsable du service éducatif du musée Antoine Lécuyer. Après un congé de formation du 29 septembre 2005 au 9 juillet 2006, elle a été placée en disponibilité pour convenances personnelles à compter du 10 juillet 2006, pour une période de trois mois qui a été ensuite renouvelée à plusieurs reprises jusqu'au 9 juillet 2009. Mme A... a demandé, le 4 mai 2009, sa réintégration au sein des services de la commune de Saint-Quentin à compter du 10 juillet 2009. Estimant ne pas être en mesure de la réintégrer dans l'immédiat, la commune de Saint-Quentin a maintenu Mme A... en disponibilité d'office à compter du 10 juillet 2009. Mme A..., qui n'a pu retrouver un emploi en dépit de nombreux échanges sur ce point avec la commune, a sollicité, par un courrier du 2 décembre 2021, la réparation des préjudices résultant selon elle de cette absence de réintégration. Par un jugement du 16 novembre 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices. Mme A... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Saint-Quentin :

2. D'une part, aux termes de l'article 72 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable en l'espèce, repris aux articles L. 514-6 et L. 514-7 du code général de la fonction publique : " (...) Le fonctionnaire mis en disponibilité, soit d'office à l'expiration des congés institués par les 2°, 3° et 4° de l'article 57 de la présente loi, soit de droit, sur demande, pour raisons familiales, est réintégré à l'expiration de sa période de disponibilité dans les conditions prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas de l'article 67 de la présente loi. Dans les autres cas, si la durée de la disponibilité n'a pas excédé trois années, une des trois premières vacances dans la collectivité ou l'établissement d'origine doit être proposée au fonctionnaire ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 26 du décret du 13 janvier 1986 relatif aux positions de détachement, de disponibilité, de congé parental des fonctionnaires territoriaux et à l'intégration : " (...) Le fonctionnaire qui a formulé avant l'expiration de la période de mise en disponibilité une demande de réintégration est maintenu en disponibilité jusqu'à ce qu'un poste lui soit proposé dans les conditions prévues à l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984 (...) ". Les auteurs du décret du 13 janvier 1986 ont seulement entendu se référer aux conditions dans lesquelles des emplois sont proposés aux agents par leur collectivité ou établissement d'origine ainsi que par le centre national de la fonction publique territoriale ou par le centre de gestion, à l'exclusion des règles relatives au maintien en surnombre et à la prise en charge par le centre national de la fonction publique territoriale ou par le centre de gestion. Aux termes du III de l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984, repris aux articles L. 542-13 et L. 542-22 du code général de la fonction publique : " Après trois refus d'offre d'emploi correspondant à son grade, à temps complet ou à temps non complet selon la nature de l'emploi d'origine, transmise par une collectivité ou un établissement au Centre national de la fonction publique territoriale ou au centre de gestion, le fonctionnaire est licencié ou, lorsqu'il peut bénéficier de la jouissance immédiate de ses droits à pension, admis à faire valoir ses droits à la retraite ; cette dernière disposition n'est pas opposable aux mères de famille ayant élevé au moins trois enfants. / L'offre d'emploi doit être ferme et précise, prenant la forme d'une proposition d'embauche comportant les éléments relatifs à la nature de l'emploi et à la rémunération. Le poste proposé doit correspondre aux fonctions précédemment exercées ou à celles définies dans le statut particulier du cadre d'emplois de l'agent ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, d'une part, que le fonctionnaire territorial ayant bénéficié d'une disponibilité pour convenances personnelles d'une durée de moins de trois ans, a le droit, sous réserve de la vacance d'un emploi correspondant à son grade, d'être réintégré à l'issue de sa disponibilité, et que la collectivité est tenue de lui proposer l'un des trois premiers emplois devenus vacants, d'autre part, que si le fonctionnaire territorial n'a droit à réintégration à l'issue d'une disponibilité pour convenances personnelles d'une durée de moins de trois ans qu'à l'occasion de l'une des trois premières vacances d'emploi, la collectivité doit néanmoins justifier son refus de réintégration sur les deux premières vacances par un motif tiré de l'intérêt du service et, enfin, que les propositions formulées par la collectivité en vue de satisfaire à son obligation de réintégration sur l'une des trois premières vacances d'emploi doivent être fermes et précises quant à la nature de l'emploi et la rémunération et notamment ne pas subordonner le recrutement à la réalisation de conditions soumises à l'appréciation de la collectivité.

5. Par ailleurs, si les dispositions précitées des articles 72 de la loi du 26 janvier 1984 et 26 du décret du 13 janvier 1986 n'imposent pas à l'autorité dont relève le fonctionnaire de délai pour procéder à cette réintégration, celle-ci doit intervenir, en fonction des vacances d'emplois qui se produisent, dans un délai raisonnable. Lorsque la collectivité dont relève l'agent constate qu'elle n'est pas en mesure de lui proposer un emploi correspondant à son grade à la date à laquelle la réintégration est demandée, elle doit saisir, sauf réintégration possible à bref délai, le centre national de la fonction publique territoriale ou le centre de gestion local afin qu'il lui propose tout emploi vacant correspondant à son grade.

6. En premier lieu, si Mme A... a demandé le 4 mai 2009 sa réintégration à l'issue de sa disponibilité, d'une durée de moins de trois ans, il résulte de l'instruction, notamment des tableaux des effectifs de la commune, et il n'est pas contesté, qu'aucun poste d'assistant de conservation de 2ème classe n'était alors vacant. Dans l'impossibilité de réintégrer la requérante dans un emploi correspondant à son grade, en dépit d'une perspective de création de poste qui n'a pu se concrétiser, l'administration l'a maintenue en disponibilité dans l'attente de sa réintégration et a saisi le centre de gestion de la fonction publique territoriale de l'Aisne, qui a transmis à Mme A... plusieurs offres d'emplois dans d'autres collectivités. En revanche, se référant au tableau des effectifs de la commune, Mme A... soutient sans être contredite qu'un poste d'assistant de conservation du patrimoine et des bibliothèques de 2ème classe est devenu vacant au cours de l'année 2011, qui ne lui a pas été proposé. Si la commune de Saint-Quentin fait valoir qu'elle était seulement tenue de proposer à Mme A... l'un des trois premiers emplois devenus vacants, elle ne justifie d'aucun motif tiré de l'intérêt du service expliquant que ce premier poste vacant n'a pas été proposé à l'intéressée, qui aurait permis sa réintégration dans un délai raisonnable. Dès lors, Mme A... est fondée à soutenir que la commune de Saint-Quentin a engagé sa responsabilité en omettant de lui proposer le poste devenu vacant en 2011.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des délibérations des 15 novembre 2014 et 30 mars 2015, et des tableaux des effectifs de la commune, que deux emplois d'assistant de conservation du patrimoine et des bibliothèques, qui a succédé au grade d'assistant de conservation de 2ème classe en application du décret n° 2011-1642 du 23 novembre 2011, ont été créés en 2015 en vue d'assurer l'accès d'agents contractuels aux cadres d'emplois de fonctionnaires territoriaux par la voie de modes de recrutement réservés valorisant les acquis professionnels, dans les conditions prévues par la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012. Alors même que ces deux emplois étaient réservés afin de résorber l'emploi précaire dans l'administration, l'un d'entre eux, concernant le poste non pourvu d'agent de la disco-vidéothèque, a été proposé à Mme A... par un courrier du 18 décembre 2015 adressé par lettre recommandée et retourné à la commune avec la mention " non réclamé ". Dans son courrier du 9 février 2017, la requérante a confirmé avoir tardé à retirer le pli du 18 décembre 2015 auprès des services postaux, sans se manifester en temps utile auprès de la commune

de Saint-Quentin pour vérifier si la proposition de poste était maintenue. Dans ces conditions, Mme A..., qui n'apporte à l'instance aucun élément justifiant de ce qu'elle aurait répondu favorablement à cette proposition, n'est pas fondée à soutenir que la commune aurait commis une faute sur ce point.

8. En troisième lieu, Mme A... fait état de la publication en 2017, par la commune de Saint-Quentin, d'une offre d'emploi pour un poste de chargé d'accueil et d'actions culturelles au sein du musée Antoine Lecuyer, qui ne lui a pas été proposé. Si la commune indique avoir recruté sur ce poste un adjoint administratif territorial de 2ème classe le 30 octobre 2017, il ressort de la comparaison de la fiche de poste publiée avec celle du poste occupé en dernier lieu par Mme A... et celle qui lui sera proposée le 8 octobre 2020 que le chargé d'accueil et d'actions culturelles, qui a pour mission l'accueil des visiteurs, la surveillance des salles, les réservations de groupes, la gestion de la régie recettes, la mise en place d'un programme d'animations en coordination avec les acteurs culturels, et la mise en œuvre et l'évaluation de ces actions culturelles, correspond à un emploi d'assistant de conservation du patrimoine et des bibliothèques. Mme A... est donc fondée à rechercher la responsabilité de la commune de Saint-Quentin qui a omis de lui proposer le poste de chargé d'accueil et d'actions culturelles, alors qu'elle s'était de nouveau manifestée auprès du service pour obtenir sa réintégration, ainsi qu'il ressort des attestations des 23 août et 20 septembre 2016 et de son courrier du 9 février 2017.

9. En quatrième lieu, par un courrier du 24 juin 2020, la commune de Saint-Quentin a proposé à Mme A... le poste de responsable des nouvelles technologies de l'information et de la communication, appelé à devenir vacant le 1er février 2021. Il ressort des termes du courrier précité, auquel était jointe la fiche de poste, que la commune n'a entendu subordonner la réintégration de Mme A... dans cet emploi à aucune condition soumise à son appréciation. Dans ces conditions, la requérante, qui ne donne aucune explication sur les raisons l'ayant conduite à ne donner aucune suite à la proposition de l'administration, n'est pas fondée à soutenir que

celle-ci ne serait ni ferme, ni précise.

10. En dernier lieu, la commune de Saint-Quentin a proposé, le 8 octobre 2020, le poste de chargé d'accueil et de médiation au musée Antoine Lécuyer, que Mme A... indique avoir accepté le 12 novembre 2020. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment de l'avis du médecin du travail du 3 décembre 2020 que, eu égard à la dégradation de son état de santé, une reprise d'activité de Mme A... sur le poste proposé, appelé à devenir vacant en 2021, ne pouvait être envisagée que dans le cadre d'un mi-temps, en télétravail exclusif, et sans contact physique avec le public ni prise de parole conséquente. Dans ces conditions, la commune de Saint-Quentin a légalement pu considérer, ainsi qu'elle le soutient, que l'intérêt du service s'opposait à ce que Mme A... soit réintégrée sur ce poste, dont les missions impliquaient nécessairement une présence sur site et des contacts avec les usagers.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que la commune de Saint-Quentin a engagé sa responsabilité en omettant de lui proposer l'emploi d'assistant de conservation devenu vacant en 2011 et le poste de chargé d'accueil et d'actions culturelles en 2017.

En ce qui concerne les préjudices subis par Mme A... :

12. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l'agent public placé en position de disponibilité a droit à la réparation intégrale des préjudices de toute nature qu'il a effectivement subis du fait du refus illégal de faire droit à sa demande de réintégration et présentant un lien direct de causalité avec l'illégalité commise, y compris au titre de la perte de la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre, à l'exception des primes et indemnités seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions et déduction faite, le cas échéant, du montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction. Il est, le cas échéant, tenu compte des fautes commises par l'intéressé. Lorsque les préjudices causés par cette décision n'ont pas pris fin ou ne sont pas appelés à prendre fin à une date certaine, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte. La proposition de réintégration adressée par l'administration à un fonctionnaire placé en disponibilité sur un poste correspondant à son grade permet de considérer que les illégalités entachant des décisions de refus de réintégration antérieures ne préjudicient plus à ce fonctionnaire au-delà de la date d'effet de la réintégration proposée. Par suite, nonobstant la circonstance que le fonctionnaire n'a pas demandé l'annulation des décisions de refus de réintégration, il appartient au juge du fond de lui allouer une indemnisation réparant intégralement les préjudices qu'il a subis au cours de cette période, et non une indemnisation forfaitaire versée pour solde de tout compte.

S'agissant des pertes de revenus :

13. En premier lieu, Mme A... demande l'indemnisation des pertes de revenus dont elle a été privée du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2021. Toutefois, si elle se plaint de ce que l'emploi vacant en 2011 ne lui a pas été proposé, le refus illégal qui en résulte n'a pu lui préjudicier au-delà de la date d'effet de la proposition de réintégration faite le 18 décembre 2015, à laquelle la requérante n'a donné aucune suite, ainsi qu'il a été dit plus haut. Il ne résulte pas de l'instruction que d'autres postes vacants auraient été disponibles ensuite jusqu'en 2017, lorsque la commune de Saint-Quentin a publié la fiche de poste de chargé d'accueil et d'actions culturelles, qui n'a pas été proposé à Mme A..., alors qu'elle s'était de nouveau manifestée auprès du service. Elle a donc droit à l'indemnisation des pertes de revenus à compter du 30 octobre 2017, date à laquelle le poste de chargé d'accueil et d'actions culturelles a été pourvu par un autre agent. Le refus illégal de proposer ce poste à la requérante a cessé de produire ses effets à compter du 1er février 2021, date à laquelle il lui a été proposé de réintégrer le service sur le poste de responsable des nouvelles technologies de l'information, proposition à laquelle elle n'a donné aucune suite.

14. En second lieu, il ressort des bulletins de paie produits à l'instance, auxquels se réfère Mme A..., que celle-ci pouvait prétendre, pendant la période d'éviction illégale, à une rémunération mensuelle de 1 478 euros, incluant l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires qui, contrairement à ce que soutient la commune de Saint-Quentin, doit être prise en compte dans l'indemnisation. La rémunération dont Mme A... a été privée du 30 octobre 2017 au 1er février 2021 peut ainsi être évaluée à la somme de 57 642 euros. D'après les avis d'imposition se rapportant aux revenus des années 2018 à 2020, Mme A... a perçu des revenus au cours de ces trois années pour un montant total de 41 335 euros. Au vu de l'avis d'imposition se rapportant aux revenus de l'année 2017, il est possible d'évaluer les revenus perçus en novembre et décembre 2017 à la somme de 2 572 euros. Il ressort de l'évaluation proposée par Mme A... pour l'année 2021 que les revenus perçus en janvier 2021 peuvent être fixés à la somme de 162 euros. Il résulte ainsi de l'instruction que la requérante a perçu des revenus du 30 octobre 2017 au 1er février 2021 pour un montant total de 44 069 euros.

15. Il résulte de ce qui précède que les pertes de revenus subies par Mme A... peuvent donc être évaluées à la somme de 13 573 euros.

S'agissant des troubles dans les conditions d'existence :

16. Mme A... demande l'indemnisation des troubles dans ses conditions d'existence en faisant état de sa situation de précarité depuis le 12 janvier 2014, date à laquelle il a été mis fin à l'allocation chômage d'aide au retour à l'emploi dont elle a bénéficié pendant sa disponibilité. Le refus illégal de réintégration résultant de l'absence de proposition du poste devenu vacant en 2011 lui ouvre droit à une indemnisation à compter du 12 janvier 2014, ainsi qu'elle le demande, jusqu'à la date d'effet de la proposition de réintégration faite le 18 décembre 2015, à laquelle la requérante n'a pas répondu. Elle a encore droit à réparation pour la période du 30 octobre 2017 au 1er février 2021, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 13. Par ailleurs, pour justifier de sa situation de précarité, la requérante produit des éléments se rapportant à des difficultés de logement au cours de l'année 2010, avant le début de la première période d'indemnisation, à une aide départementale allouée en raison de difficultés financières en 2015, à une aide financière du centre communal d'action sociale en raison d'impayés d'énergie en 2020 et à une aide exceptionnelle accordée par la caisse primaire d'assurance maladie en 2020. Eu égard à la circonstance que Mme A... a exercé une activité professionnelle au cours des périodes précitées, dont elle a tiré des revenus, il sera fait une juste appréciation des troubles subis dans ses conditions d'existence en lui allouant à ce titre une somme de 2 000 euros.

Sur les intérêts :

17. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil courent à compter de la réception par la partie débitrice de la réclamation de la somme principale. Ainsi qu'elle le demande, Mme A... a droit aux intérêts légaux sur la somme de 13 573 euros à compter de la réception de sa demande préalable par l'administration, soit le 6 décembre 2021.

18. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Quentin doit être condamnée à verser à Mme A... la somme de 13 573 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2021, et la somme de 2 000 euros.

19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande en totalité.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

20. En premier lieu, la somme demandée au titre des dépens correspond à des droits de plaidoirie qui ne sont pas au nombre des dépens énumérés par l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées à ce titre ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

21. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la commune de Saint-Quentin demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Quentin la somme de 2 000 euros, à verser à Mme A... sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La commune de Saint-Quentin est condamnée à verser à Mme A... la somme de 13 573 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2021, et la somme de 2 000 euros, en réparation de ses préjudices.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens n° 2200759 du 16 novembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Saint-Quentin versera une somme de 2 000 euros à Mme A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Saint-Quentin.

Délibéré après l'audience publique du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 janvier 2025.

La rapporteure la plus ancienne,

Signé : D. BureauLe président de la formation de jugement,

Signé : J-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet de l'Aisne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 24DA00045


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA00045
Date de la décision : 29/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Guerin-Lebacq
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : RODIER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-29;24da00045 ?
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