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15/01/2025 | FRANCE | N°23DA01857

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 15 janvier 2025, 23DA01857


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 juillet 2022 par lequel le préfet de l'Eure lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " étranger malade

", ou à défaut de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa sit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 11 juillet 2022 par lequel le préfet de l'Eure lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " étranger malade ", ou à défaut de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation et de procéder à un nouvel examen approfondi de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ainsi que de lui remettre son passeport. Elle demandait en outre, avant dire droit, d'ordonner à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de communiquer son entier dossier médical.

Par un jugement n° 2205195 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 septembre 2023 et le 14 mars 2024, Mme B..., représentée par Me Boyle, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2022 par lequel le préfet de l'Eure a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation, dans un délai de huit jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, sous réserve de la renonciation de son avocat à percevoir la part contributive de l'Etat, une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision lui refusant un titre de séjour a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; à cet égard, elle est entachée d'une erreur d'appréciation en ce qui concerne la gravité de la pathologie dont elle est atteinte, en l'occurrence une rétinite pigmentaire très avancée ; dès lors que sa pathologie entraîne une cécité irréversible, son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;

- la décision est entachée d'erreur d'appréciation en ce qui concerne la disponibilité des soins et des médicaments dans son pays d'origine ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation concernant l'intensité, l'ancienneté et la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France au sens des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et méconnaît l'intérêt supérieur de l'enfant, protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2024, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 septembre 2024 à 12 heures.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante bissau-guinéenne née le 7 avril 1990, déclare être entrée en France le 11 septembre 2020 sous couvert d'un visa D 365 jours délivré par les autorités consulaires portugaises et valable uniquement pour le Portugal. Le 3 février 2022, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé. Le préfet de l'Eure, par un arrêté du 11 juillet 2022, a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la décision refusant un titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ".

3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 425-9, de vérifier, au vu de l'avis médical du collège de médecins de l'OFII, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. Par son avis du 22 juin 2022, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de Mme B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. Afin de contester le sens de cet avis, Mme B... a produit, en première instance, des éléments médicaux relatifs à la pathologie dont elle souffre et qui ont motivé sa demande de délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé, notamment des comptes rendus de consultation au service ophtalmologie du Centre hospitalier Eure-Seine en date des 21 mars et 19 mai 2022. Il ressort de ces certificats médicaux et pièces médicales, qu'elle est atteinte d'une rétinopathie bilatérale pigmentaire très évoluée avec baisse profonde de l'acuité visuelle des deux yeux qui semble s'aggraver et qu'elle n'est toujours pas équipée en lunettes. Ces éléments relatifs à sa pathologie ont été soumis à l'avis d'un médecin du service médical de l'OFII, qui l'a examinée le 31 mai 2022 et a confirmé la pathologie rétinienne en indiquant successivement que le traitement consistait à porter de lunettes et en faisant mention d'un suivi et d'examens médicaux à un rythme semestriel. Ce faisant, sur la foi de cet avis et des éléments médicaux produits par l'intéressée, comme l'ont estimé le collège de médecins de l'OFII puis le préfet de l'Eure, il n'apparaît pas que le défaut de prise en charge entrainerait sur la santé de Mme B... des conséquences d'une exceptionnelle gravité. A cet égard, si le certificat du médecin orthoptiste établi le 17 novembre 2022 confirme la baisse de l'acuité visuelle des deux yeux, il ne mentionne pas d'autre conséquence que celle de la nécessité d'être orientée vers un opticien spécialisé en basse vision afin d'être équipée d'un matériel adapté à sa pathologie. Ce nouveau document médical invoqué par l'appelante n'est ainsi pas de nature à contredire l'appréciation portée par le collège sur la gravité de la pathologie dont elle souffre et sur les éventuelles conséquences d'une absence de prise en charge. Par ailleurs, elle ne saurait utilement soutenir qu'en s'abstenant d'apprécier la possibilité d'accéder à un traitement approprié en Guinée-Bissau, le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur de droit et d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 425-9 rappelées au point 2, dès lors qu'une telle appréciation n'est requise que lorsque l'état de santé de l'étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, et comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, le préfet de l'Eure, en lui refusant la délivrance du titre de séjour sollicité, n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En deuxième lieu, si Mme B... soutient que le refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle n'a cependant pas sollicité la délivrance d'un titre sur leur fondement. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'elle ne pouvait utilement les invoquer pour contester la décision prise par le préfet de l'Eure en réponse à sa demande.

6. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". En outre, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. Pour invoquer la fixation de ses intérêts familiaux et privés en France, Mme B..., se prévaut de la présence de son fils, né le 24 décembre 2021 de sa relation avec un compatriote résidant sur le territoire français sous couvert d'un titre de séjour expirant en 2028. L'appelante fait valoir que bien qu'ayant rompu toute vie sentimentale et commune avec le père de l'enfant, ils continuent d'entretenir des liens de proximité et d'attachement, pour

le bien-être de l'enfant. A cet égard, elle fait valoir que son ex-compagnon bénéficie d'une situation stable et de ressources lui permettant de subvenir aux besoins de l'enfant. Pour justifier des liens entretenus avec le père de son enfant, l'intéressée se prévaut de ce que celui-ci l'a déclaré au titre de sa déclaration de revenus pour l'année 2022 et de ce qu'il a opéré des virements bancaires en décembre 2022 et en février 2023. Elle produit par ailleurs une attestation datée du 26 juillet 2023 établie par la cheffe du service de la protection maternelle et infantile du département de la Seine-et-Marne selon laquelle, lors des consultations à la Maison des solidarités de l'enfant de Tournan, l'enfant était accompagné de ses deux parents. Toutefois, ni cette attestation portant témoignage sur la période du 29 décembre au 24 juin 2022, ni les quelques virements bancaires ponctuels ne témoignent de l'implication effective du père dans son éducation et son entretien et du lien affectif avec celui-ci. En outre, si Mme B... allègue être hébergée chez une cousine, ressortissante de même nationalité et titulaire d'un titre de séjour, ce lien familial est insuffisant dans la mesure où il est constant qu'elle a gardé des liens familiaux en Guinée Bissau, et en particulier ses trois autres enfants nés en 2007, 2013 et 2014. Dans ces conditions, et alors qu'elle a vécu jusqu'à l'âge de trente ans dans son pays d'origine, la décision lui refusant un titre de séjour ne porte pas une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni ne méconnaît l'intérêt supérieur de l'enfant, protégé par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant à trente jours le délai de départ volontaire :

8. Mme B... ne produit en appel aucun élément de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges sur les moyens soulevés pour contester ces décisions, il y a lieu de les écarter par adoption des motifs suffisamment circonstanciés retenus à bon droit par les premiers juges.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement n° 2205195 du 29 juin 2023 attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa requête. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Boyle.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Eure.

Délibéré après l'audience publique du 17 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 janvier 2025.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 23DA01857 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01857
Date de la décision : 15/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : CABINET DAVID BOYLE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-15;23da01857 ?
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