Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de B... d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 septembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour ou d'un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir et durant tout le temps du réexamen, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et enfin de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2301207 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de B... a annulé l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 21 septembre 2022 rejetant la demande d'admission au séjour de M. C..., a enjoint au préfet de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 octobre 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2301207 du 21 septembre 2023 du tribunal administratif de B... ;
2°) de rejeter les conclusions de la requête de M. C....
Il soutient que :
- Les premiers juges ont annulé à tort l'arrêté du 21 septembre 2022 en considérant que M. A..., se disant M. C..., justifiait des conditions posées à l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- M. A... se disant M. C... ne justifie pas de la réalité de son identité, dès lors que les documents d'identité qu'il a produits ont été considérés comme falsifiés par les services de police ;
- L'intéressé ne justifie pas avoir été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de ses seize ans ;
- Le contrat d'apprentissage produit par le requérant n'établit pas le caractère sérieux du suivi de cette formation, dont il n'est pas démontré qu'elle peut être suivi dans son pays d'origine.
La requête a été communiquée à M. C... qui n'a pas présenté d'observations.
Par ordonnance du 19 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Vérisson a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., ressortissant guinéen est entré irrégulièrement en France le 16 mars 2019, avant d'être confié aux services de l'aide à l'enfance de la Seine-Maritime, par jugement du tribunal pour enfants de B... du 24 mai 2019. Le 8 septembre 2021, M. C... a demandé la délivrance d'un titre de séjour, sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 21 septembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par le jugement attaqué du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de B... a annulé l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 21 septembre 2022.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ". L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son état civil, M. C... a présenté, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un extrait de registre de transcription de la République du Guinée du 6 novembre 2018 et un jugement supplétif de la République de Guinée, attestant tous deux d'une naissance à Conakry le 21 mai 2003. Toutefois, il ressort des diligences menées le 15 novembre 2021 par les services de la police aux frontières que l'extrait de registre de transcription présente des défauts dans l'alignement des mentions pré-imprimées du document et que le timbre sec y figurant est partiellement illisible, conduisant ainsi les services à émettre un avis défavorable. De plus, il apparaît que le jugement supplétif du 23 octobre 2018 opposé par M. C... présente un timbre fiscal réutilisé provenant d'un autre support, conduisant également les services de la police à considérer que le document est falsifié.
6. Ainsi, au regard de la nature et de l'importance des diverses anomalies dont il est fait état ci-dessus, propres à renverser la présomption d'authenticité résultant de l'article 47 du code civil, et qui ne sont pas sérieusement combattues par M. C..., le préfet de la Seine-Maritime, a pu légalement écarter comme dépourvus de valeur probante les documents produits par l'intimé et considérer qu'ils ne faisaient pas foi des éléments d'état civil qui y sont mentionnés.
7. Compte tenu de ce qui vient d'être dit quant à l'absence de justification de l'état civil de l'intéressé, le préfet de la Seine-Maritime a pu légalement estimer, pour refuser de lui délivrer un titre de séjour, que M. C... ne remplissait pas la condition fixée par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tenant au placement de l'étranger auprès du service de l'aide sociale au plus tard le jour de ses seize ans. Il suit de là que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de B... s'est fondé sur ce moyen pour annuler l'arrêté du 21 septembre 2022 refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. C..., l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C... devant le tribunal administratif de B... et devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés par M. C... :
9. En premier lieu, si M. C... soutient que l'arrêté du 21 septembre 2022 a été signé par une autorité incompétente, le préfet de la Seine-Maritime, par un arrêté n°2022-052 en date du 29 août 2022 consultable sur le site internet de la préfecture, a donné délégation à M. G... E..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet notamment de signer les refus de délivrance de titres de séjour et les mesures d'éloignement des étrangers dans le département de la Seine-Maritime. En cas d'absence ou d'empêchement de M. G... E..., il a donné délégation à Mme F... H..., attachée principale et adjointe au directeur, au même effet. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige a été pris par une autorité incompétente doit être écarté.
10. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. C.... Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.
11. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que c'est à bon droit que le préfet a considéré, sur le fondement des conclusions des services de la police aux frontières, que M. C... ne justifiait pas de son état civil par les documents qu'il a produits, lesquels sont dépourvus de valeur probante. Si M. C... se prévaut également d'une carte consulaire délivrée le 17 septembre 2020 et d'un récépissé de retrait d'un passeport, ces documents ne constituent pas des actes d'état civil de nature à justifier de son identité. Par suite, les moyens d'erreur de droit et de fait, ainsi que de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 423-22 précitées doivent être écartés.
12. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que si M. C... a suivi une formation pour l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnel " boulangerie " durant l'année scolaire 2020-2021, qu'il a travaillé dans le cadre d'un contrat d'apprentissage pour la société " Boulangerie du Chatelet " située à B... entre le mois d'octobre 2020 jusqu'à octobre 2023, qu'il a été reconnu pour son investissement et ses efforts malgré ses difficultés dans la maîtrise de la langue française et qu'il est membre de l'amicale Houlmoise Bondevillaise Foutball Club, l'intéressé, âgé de 19 ans à la date de la décision en litige, est célibataire et sans enfant, et n'établit pas pour autant avoir tissé des liens d'une particulière intensité en France. Par suite, le moyen tiré la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
13. Enfin et en dernier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour ni que la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français.
14. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en première instance par le préfet de Seine-Maritime, que ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de B... a annulé l'arrêté du 21 septembre 2022, lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à M. C... dans le délai de deux mois suivant le jugement et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.
15. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de cet arrêté, celles aux fins d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1 : Le jugement n° 2301207 du 21 septembre 2023 du tribunal administratif de B... est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de B... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C....
Copie pour information sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Borot, présidente de chambre,
- Mme Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. VérissonLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N° 23DA01900