Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Le clos de l'épargne a demandé au tribunal administratif de Rouen d'ordonner à la société Réseau de transport d'électricité (RTE), à titre principal, de procéder aux travaux d'enfouissement de la ligne électrique à haute tension implantée sur la parcelle cadastrée section AM n° 407 aux Andelys afin de la rendre conforme à la servitude conventionnelle du 18 avril 2000 dans un délai de deux mois, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder aux travaux de protection de cette ligne à haute tension afin de lui permettre de réaliser le projet d'aménagement autorisé par un arrêté du maire des Andelys du 15 juillet 2014, sous la même astreinte, et de condamner la société RTE à lui verser la somme de 24 506,22 euros en réparation des frais et coûts consécutifs à son refus de déférer à la mise en demeure qui lui a été adressée le 26 avril 2016.
Par un jugement n° 2000676 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande, ainsi que les conclusions reconventionnelles présentées par la société RTE, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2023 et un mémoire, enregistré le 15 mars 2024, la SAS Le clos de l'épargne, représentée par Me Dutreil, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 2 juin 2016 par laquelle la société RTE a rejeté sa demande tendant au déplacement de la ligne à haute tension enfouie sous son terrain ;
3°) de condamner la société RTE à lui verser la somme de 24 506,22 euros hors taxes en réparation du préjudice résultant de son refus de déplacer cette ligne à haute tension ;
4°) d'ordonner à la société RTE, à titre principal, de déplacer la ligne à haute tension implantée sur la parcelle cadastrée section AM n° 407 sur le territoire de la commune des Andelys, soit hors de ce terrain, soit à une profondeur de 1,50 mètre par rapport au niveau du terrain naturel, à titre subsidiaire, de procéder aux travaux de protection de cette ligne à haute tension afin de lui permettre de réaliser le projet d'aménagement autorisé par un arrêté du maire des Andelys du 15 juillet 2014, dans un délai de deux mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de la société RTE, outre les entiers dépens, la somme de 10 000 euros hors taxes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'a pas soulevé d'office la responsabilité sans faute, qui est d'ordre public, de la société RTE, alors qu'elle subit un préjudice grave et spécial ;
- les conclusions reconventionnelles de la société RTE relèvent d'un litige distinct et ne sont, dès lors, pas recevables ;
- compte tenu du caractère d'ouvrage public de la ligne à haute tension, la convention de servitude doit être qualifiée de contrat administratif, de sorte que le litige ressortit de la compétence de la juridiction administrative ;
- les conclusions à fin d'injonction qu'elle avait présentée devant le tribunal administratif, qui accompagnaient implicitement mais nécessairement des conclusions à fin d'annulation de la décision de la société RTE refusant de faire droit à sa demande de déplacement de l'ouvrage public, relevaient de la compétence de la juridiction administrative ;
- elle n'agit pas sur le fondement de la responsabilité contractuelle mais sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle à l'encontre de la société RTE, à raison du manquement contractuel qu'elle a commis ;
- la cour devra également se reconnaître compétente pour statuer sur ses conclusions indemnitaires ;
- ses conclusions indemnitaires et à fin d'injonction ne sont pas tardives ;
- les conclusions à fin d'annulation de la décision de la société RTE du 2 juin 2016 ne sont pas nouvelles en appel ;
- la ligne à hauteur tension n'a pas été enfouie à une profondeur moindre que la profondeur minimale de 1,50 mètre prévue par la convention de servitude conclue le 18 avril 2000 de sorte que la société RTE a méconnu l'engagement contractuel qu'elle avait souscrit ;
- le refus de la société RTE de se conformer à la servitude conventionnelle a rendu impossible la réalisation du projet d'aménagement autorisé par un arrêté du maire des Andelys du 15 juillet 2014 ;
- la violation par la société RTE de la convention de servitude est à l'origine de frais de géomètre expert qu'elle a exposés à hauteur de 2 280 euros HT et dont elle sollicite le remboursement ;
- elle a inutilement exposé des frais d'huissier exposés à hauteur de 371,94 euros HT et des frais liés à la constitution d'un nouveau dossier de permis d'aménager à hauteur de 2 000 euros HT ;
- le portage financier du prix du terrain s'est élevé à un coût, à parfaire, de 18 974,28 euros dont elle sollicite le remboursement ;
- elle a exposé des frais liés à des travaux de débroussaillage du terrain en août 2019 à hauteur de 880 euros HT.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2023, la société RTE, représentée par Me Lhéritier, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle ;
3°) à ce qu'il soit enjoint à la SAS Le clos de l'épargne de remettre les lieux dans l'état qui était le leur avant les travaux de terrassement qu'elle a effectués ;
4°) à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la SAS Le clos de l'épargne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que
- les conclusions indemnitaires et à fin d'injonction, tirées des conditions de mise en œuvre de la convention de servitude, sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
- la demande présentée devant le tribunal administratif était tardive et par suite irrecevable ;
- les conclusions en annulation de la décision du 2 juin 2016 refusant le déplacement de l'ouvrage, nouvelles en appel, sont irrecevables ;
- les conclusions indemnitaires ne sont pas fondées ;
- dès lors que c'est du fait des travaux de terrassement réalisés par la SAS Le clos de l'épargne que la ligne à haute tension ne se trouvait plus enfouie à la profondeur prévue par la convention, la faute de la victime est à l'origine du préjudice allégué ;
- les critères d'engagement de la responsabilité sans faute ne sont pas remplis ;
- les conclusions à fin d'injonction ne sont pas fondées ;
- les conclusions reconventionnelles à fin d'injonction qu'elle a présentées devant le tribunal administratif, qui sont la conséquence de la reconnaissance de la responsabilité pour faute délictuelle de la société SAS Le clos de l'épargne, relevaient de la compétence de la juridiction administrative et étaient recevables.
Par une ordonnance du 19 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;
- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, président-assesseur,
- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me Lhéritier, représentant la société RTE.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. Par un acte notarié du 15 décembre 2011, la société par actions simplifiée (SAS) Le clos de l'épargne a acquis une parcelle cadastrée section AM, n° 407, sur le territoire de la commune des Andelys. Ce terrain était grevé d'une convention de servitude, conclue le 12 avril 2002, par laquelle la commune des Andelys, précédent propriétaire, avait concédé à Electricité de France, aux droits de laquelle vient la société Réseau de transport d'électricité (RTE), le droit d'établir, sur une bande de 1 370 mètres de longueur, une ligne électrique enterrée à une profondeur d'au moins 1,50 mètre de la surface après travaux.
2. Estimant que les stipulations de cette convention relatives à la profondeur de l'enfouissement de la ligne électrique n'avaient pas été respectées et que cette violation l'empêchait de réaliser le projet d'aménagement pour lequel elle avait obtenu un permis d'aménager le 15 juillet 2014, la SAS Le clos de l'épargne a, par un courrier du 26 avril 2016, demandé à la société RTE de se conformer à la convention de servitude, ce qu'elle a refusé par un courrier du 2 juin 2016.
3. Par un jugement du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, d'une part, les conclusions de la SAS Le clos de l'épargne tendant à ce qu'il soit enjoint à la société RTE, sous astreinte, de procéder à des travaux afin que l'implantation de l'ouvrage soit conforme à la servitude convenue entre les parties ainsi que ses conclusions indemnitaires et, d'autre part, les conclusions reconventionnelles de la société RTE tendant à ce qu'il soit enjoint à la SAS Le clos de l'épargne de remettre les lieux dans l'état qui était le leur avant les travaux de terrassement qu'elle a réalisés.
4. La SAS Le clos de l'épargne relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la société RTE conclut à ce qu'il soit enjoint à la SAS Le clos de l'épargne de remettre les lieux dans l'état qui était le leur avant les travaux de terrassement qu'elle a effectués.
Sur la régularité du jugement :
5. La SAS Le clos de l'épargne, qui avait placé son action, en première instance, sur le seul fondement de la responsabilité contractuelle, reproche au tribunal d'avoir entaché son jugement d'irrégularité en omettant de soulever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'existence d'une responsabilité sans faute de la société RTE du fait de dommages de travaux publics. Toutefois, l'omission qu'aurait ainsi commise le tribunal administratif, à la supposer établie, a trait au bien-fondé du jugement attaqué et demeure, par suite, sans incidence sur sa régularité.
Sur la réparation des préjudices découlant de l'application de la convention du 12 avril 2002 :
6. La convention, conclue le 12 avril 2002, instituant une servitude pour l'établissement d'une ligne électrique souterraine au profit d'Electricité de France, alors établissement public, aux droits duquel vient la société RTE, concessionnaire de l'Etat pour la gestion du réseau public de transport d'électricité, ne comporte aucune clause, qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquerait, dans l'intérêt général, qu'elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Elle n'a pas non plus pour objet de faire participer la SAS Le clos de l'épargne à une opération de travaux publics, ni à l'exécution du service public de distribution d'électricité.
7. Les litiges nés de l'exécution de cette convention ne relèvent donc pas de la compétence de la juridiction administrative. La requête de la SAS Le clos de l'épargne, en ce qu'elle tend à la condamnation de la société RTE à déplacer la ligne électrique souterraine afin d'assurer le respect de la convention de servitude du 12 avril 2002 et à l'indemniser du préjudice en résultant se rapporte ainsi, alors même qu'il est constant qu'il s'agit d'un ouvrage public, aux modalités de mise en œuvre de cette convention et, dès lors, ne ressortit pas de la compétence de la juridiction administrative.
8. C'est, par suite, à bon droit que le tribunal administratif a estimé qu'il n'était pas compétent pour statuer sur le litige né de l'exécution de cette convention. En conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions d'appel principal, aux fins d'indemnités et d'injonction, et d'appel incident présentées sur ce fondement.
9. Il résulte de ce qui précède que la SAS Le clos de l'épargne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande de réparation des préjudices découlant de l'application de la convention du 12 avril 2002 comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. La société RTE n'est pas davantage fondée à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions reconventionnelles, présentées sur le même fondement, comme portées devant une juridiction incompétence pour en connaître.
Sur les conclusions tendant au déplacement de l'ouvrage public :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
10. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition ou le déplacement d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition ou le déplacement à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l'écoulement du temps, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition ou le déplacement pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition ou le déplacement n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision du 2 juin 2016 :
11. Pour la mise en œuvre des pouvoirs décrits ci-dessus, il appartient au juge, saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de la personne publique soit engagée, de se prononcer sur les modalités de la réparation du dommage, au nombre desquelles figure le prononcé d'injonctions, dans les conditions définies au point précédent, alors même que le requérant demanderait l'annulation du refus de la personne publique de mettre fin au dommage, assortie de conclusions aux fins d'injonction à prendre de telles mesures ou de régulariser une convention de servitude. Dans ce cas, il doit regarder ce refus de la personne publique comme ayant pour seul effet de lier le contentieux.
12. Il suit de là que la décision du 2 juin 2016 par laquelle la société RTE a refusé de procéder au déplacement de la ligne électrique souterraine a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de la demande de la SAS Le clos de l'épargne qui, en formulant des conclusions tendant au déplacement de l'ouvrage, a donné à sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Dès lors, les conclusions à fin d'annulation de cette décision ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.
En ce qui concerne le déplacement de l'ouvrage public :
13. Aux termes de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie, applicable lors de l'implantation de l'ouvrage, dont les dispositions sont désormais reprises par les articles L. 323-3 et suivants du code de l'énergie : " (...) La déclaration d'utilité publique d'une distribution d'énergie confère, en outre, au concessionnaire (...) le droit : (...) 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; (...) L'exécution des travaux prévus aux alinéas 1° à 4° ci-dessus doit être précédée d'une notification directe aux intéressés et d'une enquête spéciale dans chaque commune ; elle ne peut avoir lieu qu'après approbation du projet de détail des tracés par le préfet. (...) ".
14. L'article 1er du décret du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, applicable au litige, dispose que : " Une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, (...) prévues au troisième alinéa de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article. Cette convention produit, tant à l'égard des propriétaires et de leurs ayants droit que des tiers, les effets de l'approbation du projet de détail des tracés par le préfet (...) ".
15. Il résulte de ces dispositions que les servitudes mentionnées par l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, codifié aux articles L. 323-3 et suivants du code de l'énergie, peuvent être instituées par une convention passée entre le concessionnaire d'un service de distribution d'énergie et le propriétaire de la parcelle concernée.
16. En premier lieu, par une convention passée le 12 avril 2002 entre le propriétaire du terrain et EDF, une servitude a été instituée en vue notamment " d'établir à demeure dans une bande de quatre mètres de large une ligne électrique souterraine d'une longueur totale d'environ 1 370 mètres (...) dont tout élément sera situé à au moins 1,50 mètre de la surface après travaux ". Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert diligenté par le tribunal de grande instance d'Evreux, que cette ligne n'a été enterrée qu'à une profondeur de 0,99 mètre en moyenne par rapport au niveau du terrain naturel. Dès lors, l'ouvrage public en cause a été irrégulièrement implanté au regard de la servitude conventionnelle d'établissement.
17. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des écritures de la SAS Le clos de l'épargne, qu'une modification de la convention de servitude pour tenir compte de la profondeur réelle de l'enfouissement de la ligne électrique n'est pas susceptible d'aboutir. Il ne résulte pas de l'instruction que la société RTE ait effectivement envisagé, à la date du présent arrêt, de recourir à une procédure d'établissement de servitudes après déclaration d'utilité publique. Enfin, la société RTE a expressément refusé, le 2 juin 2016, de procéder au déplacement de l'ouvrage en cause. Dans ces conditions, une régularisation appropriée n'apparaît pas possible.
18. En troisième lieu, si la société requérante fait état du projet de lotissement pour lequel un permis d'aménager lui a été accordé et qui a été compromis en raison de l'insuffisance de la profondeur d'enfouissement de la ligne électrique au regard de la servitude conventionnelle, elle n'expose pas les raisons, notamment techniques, qui, de ce fait, l'auraient empêchée de mener à bien ce projet, alors que la profondeur d'enfouissement de la canalisation supportant cette ligne électrique ne diffère que de cinquante centimètres environ de la profondeur mentionnée dans l'accord signé par le propriétaire.
19. D'ailleurs, ainsi que le relève le rapport d'expertise, la profondeur relevée d'enfouissement du câble respecte les règles de sécurité telles qu'elles résultent de l'arrêté du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques auxquelles doivent satisfaire les distributions d'énergie électrique.
20. Dans ces conditions, alors que le tracé auquel le propriétaire avait consenti n'est pas substantiellement affecté et alors qu'il est constant que la consistance de l'ouvrage ainsi que ses caractéristiques, hormis la profondeur de son enfouissement, sont celles résultant de la convention de servitude du 12 avril 2022, les inconvénients liés à la présence de l'ouvrage à une profondeur d'enfouissement de 0,99 mètre environ présentent un caractère limité au regard de l'atteinte à l'intérêt général, non contestée par les parties, que représenterait son déplacement, notamment le coût financier de celui-ci.
21. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu d'enjoindre à la société RTE de déplacer l'ouvrage irrégulier.
Sur la responsabilité pour dommages de travaux publics :
22. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.
23. Lorsqu'il est soutenu qu'une partie s'est exposée en connaissance de cause au risque dont la réalisation a causé les dommages dont elle demande réparation au titre de la présence, du fonctionnement d'un ouvrage public ou de ses travaux de construction, il appartient au juge d'apprécier s'il résulte de l'instruction, d'une part, que des éléments révélant l'existence d'un tel risque existaient à la date à laquelle cette partie est réputée s'y être exposée et, d'autre part, que la partie en cause avait connaissance de ces éléments et était, à cette date, en mesure d'en déduire qu'elle s'exposait à un tel risque, qu'il ait été d'ores et déjà constitué ou raisonnablement prévisible.
24. Les dommages dont la SAS Le clos de l'épargne demande réparation trouvent leur cause dans le fait que l'enfouissement de la ligne électrique souterraine traversant son terrain est insuffisamment profond. Ces dommages, qui sont inhérents à l'existence même l'ouvrage public que représente la ligne électrique, présentent un caractère permanent.
25. La SAS Le clos de l'épargne fait valoir que l'enfouissement sur son terrain de la ligne électrique à une profondeur moyenne de 0,75 mètre ne lui permet pas de réaliser le projet de lotissement qu'elle envisageait. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance d'Evreux, que l'ouvrage public était enfoui à une profondeur moyenne de 0,99 mètre sous le niveau du sol naturel avant la réalisation par la société requérante de travaux de décaissement en 2015. La société, qui avait connaissance du risque lié au fait que son terrain était traversé par une ligne électrique souterraine, n'établit pas, ni même ne soutient, que la profondeur de l'enfouissement de l'ouvrage tel qu'elle existait avant la réalisation des travaux de décaissement qu'elle a fait exécuter aurait compromis la réalisation de son projet d'aménagement ou lui aurait causé un préjudice d'une autre nature.
26. Dans ces conditions, la SAS Le clos de l'épargne n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère grave et spécial du préjudice subi de nature à engager la responsabilité de la société RTE du fait de l'ouvrage public que constituait la ligne électrique souterraine.
27. Par suite, la SAS Le clos de l'épargne n'est pas fondée à soutenir que les conditions d'engagement de la responsabilité sans faute de la société RTE pour dommages de travaux publics sont remplies.
28. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que les conclusions à fin d'injonction tendant au déplacement de l'ouvrage ainsi que les conclusions indemnitaires présentées par la SAS Le clos de l'épargne sur le fondement de la responsabilité pour dommage de travaux publics doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société RTE, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société RTE au titre des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Le clos de l'épargne est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par voie de l'appel incident par la société RTE et ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Le clos de l'épargne, à la société Réseau transport d'électricité et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. A...La greffière,
Signé : N. Diyas
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA00285