Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler la décision du 8 avril 2024 par laquelle le préfet du Nord a ordonné son transfert auprès des autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer un dossier en vue de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, à défaut, d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa situation.
Par un jugement n° 2403730 du 5 juin 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir admis à titre provisoire M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, a annulé cette décision et a enjoint au préfet d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer, en conséquence, une attestation de demande d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I) Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2024 sous le n° 24DA01334, le préfet du Nord, représenté par Me Rannou, demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal.
Il soutient que :
- son appel est recevable ;
- c'est à tort que le magistrat désigné a considéré qu'il avait entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; à cet égard, si la situation de vulnérabilité des demandeurs d'asile doit être prise en considération lors de leur prise en charge dans le cadre de la procédure d'identification puis, le cas échéant, dans les modalités d'exécution de la décision de transfert, elle n'emporte pas l'obligation, pour l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable, d'examiner leur demande en lieu et place de ce dernier ; M. B..., qui n'a pas informé au préalable le préfet de son état de santé, n'établit pas devoir bénéficier d'une prise en charge spécifique ; les défaillances systémiques de l'Italie ne sont pas établies ;
- les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2024, M. B..., représenté par Me Vergnole, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) de désigner un interprète en langue soussou pour l'assister au cours de l'audience ;
3°) de rejeter la requête ;
4°) d'annuler l'arrêté du 8 avril 2024 ;
5°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, le réexamen de sa situation ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de renonciation de celui-ci au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il fait valoir que :
- c'est à bon droit que le premier juge a annulé l'arrêté prononçant son transfert aux autorités italiennes au motif que cet arrêté méconnaît l'article 17 du règlement n° 604/2013 (UE) du 26 juin 2013 eu égard à sa vulnérabilité ;
- l'arrêté méconnaît les articles 5 et 35 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que l'article 4.4 de la directive 2013/32 du 26 juin 2013 ; en tout état de cause, l'entretien individuel n'a pas été mené par un agent qualifié de la préfecture ;
- il méconnaît les dispositions du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 (UE) du 26 juin 2013 combinées aux stipulations de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. B... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, dans le cadre de l'instance au fond, par une décision du 22 août 2024.
II. Par une requête enregistrée le 28 août 2024 sous le n° 24DA01741, le préfet du Nord, représenté par Me Rannou, demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2403730 du tribunal administratif de Lille du 5 juin 2024.
Il soutient que ses moyens d'appel sont sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2024, M. B..., représenté par Me Vergnole, demande à la cour :
1°) d'admettre M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) de rejeter la requête en sursis à exécution du jugement ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de renonciation de celui-ci au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. B... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, dans le cadre de l'instance à fin de sursis à exécution, par une décision du 17 septembre 2024.
Par des ordonnances du 19 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée, dans ces deux affaires, au 10 octobre 2024, à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la constitution du 4 octobre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen né le 5 mars 2004, est entré irrégulièrement en France en octobre 2023. Il a déposé une demande d'asile enregistrée le 1er décembre 2023 par les services de la préfecture du Nord. A cette occasion, le préfet du Nord, constatant que les empreintes décadactylaires de M. B... avaient été enregistrées en Italie le 19 septembre 2023, a saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge le 19 décembre 2023, lesquelles ont fait implicitement connaître leur accord. Par un arrêté du 8 avril 2024, le préfet du Nord a décidé de transférer M. B... aux autorités italiennes. Par un jugement n° 2403730 du 5 juin 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de M. B... en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet du Nord relève appel de ce jugement et demande qu'il soit sursis à son exécution.
2. Les requêtes n° 24DA01334 et n° 24DA01741 du préfet du Nord présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur la requête n° 24DA01334 :
En ce qui concerne bien-fondé du jugement :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le juge de première instance :
3. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La mise en œuvre par les autorités françaises de cet article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " (...) les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement précité, de décider d'examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
4. Pour annuler la décision attaquée au motif que le préfet du Nord avait méconnu l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire qu'il prévoit, le juge de première instance a estimé qu'il n'existait, en l'absence de garanties des autorités italiennes, aucune assurance que M. B... puisse bénéficier, à son arrivée sur le territoire italien, de l'accueil spécifique qui lui était nécessaire en raison de sa vulnérabilité.
5. Toutefois, le certificat médical du 12 avril 2024 établi par un médecin de l'association " Médecins Solidarité Lille " produit par l'intéressé, et au demeurant postérieur à l'arrêté contesté, fait état de " nombreuses cicatrices abdominales et au niveau des jambes " ainsi que de " douleurs diffuses " liées aux agressions subies durant son parcours d'exil entre janvier 2022 et novembre 2023, sans qu'il soit possible de dater les lésions ni d'en établir l'origine. A cet égard, il n'établit ni même n'allègue que les autorités italiennes seraient à l'origine de ces marques. Par ailleurs, si M. B... fait également valoir qu'il est atteint d'une hépatite B pour laquelle il bénéficie d'un suivi régulier, il se borne à produire un bilan sanguin daté du 18 avril 2024 faisant état d'une sérologie positive mais indiquant que cette pathologie dont il souffrait est aujourd'hui guérie, ainsi qu'en atteste la mention portée par un médecin sur ledit document. Enfin, il n'établit pas avoir eu des difficultés de prise en charge médicale pendant la durée de son séjour en Italie. Par suite, et alors qu'il a déclaré n'avoir aucun problème de santé lors de son entretien individuel du 1er décembre 2023, l'intéressé n'apporte pas d'éléments suffisants permettant d'établir une vulnérabilité exceptionnelle rendant manifestement nécessaire l'instruction de sa demande d'asile en France ni qu'il serait dans l'impossibilité de bénéficier d'un suivi médical approprié, en cas de transfert vers l'Italie. Dans ces conditions, la seule circonstance que l'Italie a seulement donné un accord implicite à sa demande de prise en charge n'est pas de nature à établir que celle-ci ne pourrait pas être assurée dans ce pays.
6. Il s'ensuit que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a jugé que l'arrêté du 8 avril 2024 portant transfert de M. B... aux autorités italiennes méconnaissait l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B....
S'agissant des autres moyens :
8. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel - 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
9. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Si un agent de préfecture est affecté au service des étrangers ou si figure au dossier mention d'éléments de son parcours professionnel le rendant apte à mener l'entretien prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national pour conduire cet entretien.
10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'entretien produit en première instance par le préfet du Nord, que M. B... a été reçu en entretien individuel le 1er décembre 2023 à la préfecture du Nord et qu'il a signé ce document. Cet entretien a été mené par " un agent qualifié de la préfecture du Nord " avec le concours d'un interprète en langue soussou, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. La seule circonstance que l'agent qui a conduit cet entretien est seulement identifié par sa signature et par un cachet administratif portant les mentions " République française ", " préfet du Nord ", " D.I.I. Asile 3 ", ne permet pas de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles s'est déroulé l'entretien n'auraient pas permis d'en assurer la confidentialité. Enfin, il ressort du compte-rendu de cet entretien, eu égard aux détails précis qu'il expose, qu'il a permis à M. B... de faire état des informations utiles. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par l'arrêté attaqué, des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
11. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 35 du règlement (UE) 604/2013 : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. (...) / 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement. / (...) ".
12. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " La présente directive a pour objet d'établir des procédures communes d'octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ". Aux termes de l'article 4 de la même directive : " 1. Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / 2. Les Etats membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : / a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 (...). / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les Etats membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en œuvre de la présente directive (...) ".
13. Il ne ressort pas des écritures de M. B... que celui-ci ait articulé des moyens spécifiques tirés de la méconnaissance des dispositions précitées, qu'il se borne à retranscrire. En tout état de cause, l'intéressé ne fait état d'aucun élément de nature à faire naître un doute sur la formation appropriée dispensée à l'agent de préfecture qui a mené son entretien individuel. Il n'est donc pas établi que l'entretien se serait déroulé de façon irrégulière, en l'absence de formation suffisante de l'agent qui l'a interrogé. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 4.4 de la directive 2013/32/UE et de l'article 35 du règlement (UE) 604/2013, à les supposer effectivement invoqués, doivent donc être écartés.
14. En troisième lieu, aux termes du paragraphe 2, de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 susvisé : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. L'Italie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
16. M. B... fait valoir qu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile en Italie et dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, qui entraînent un risque de traitement inhumain et dégradant en cas de retour dans ce pays. Au soutien de ce moyen, l'intéressé se borne à alléguer de manière générale que les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie ont été plusieurs fois dénoncées par différentes organisations non gouvernementales mais aussi par les instances officielles, notamment depuis la publication des décret-loi dits C... et à citer un courrier adressé aux autorités italiennes en février 2019 par lequel la commissaire aux droits de l'homme fait part, dans des termes généraux, de sa préoccupation quant aux conséquences du décret-loi sur l'accès des résidents titulaires d'un permis de protection humanitaire aux droits essentiels tels que la santé, l'éducation et le logement. Il produit également des extraits d'un article de presse faisant suite à la publication d'un rapport de l'International Rescue Committee du 4 avril 2024, faisant état du non-respect récurrent des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans les grandes villes italiennes et se réfère à des jurisprudences de juridictions françaises accueillant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013. Toutefois, ces éléments ne sauraient suffire à caractériser qu'il existait toujours, à la date de l'arrêté litigieux, une indisponibilité des installations d'accueil et plus largement une défaillance systémique des autorités italiennes dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile transférés. Il ne ressort par ailleurs pas des autres éléments versés au dossier que les conditions matérielles d'accueil seraient caractérisées par des carences structurelles d'une ampleur telle qu'il y aurait lieu de conclure d'emblée, et quelles que soient les circonstances, à l'existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l'ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d'être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, prohibé par l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, les documents produits à l'appui de ses affirmations, qui concernent la situation générale en Italie, ne permettent pas d'établir que le renvoi du requérant vers ce pays en exécution d'une décision de transfert pour le traitement de sa demande d'asile, en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, entraînerait un risque sérieux qu'il soit exposé à un défaut d'instruction de sa demande d'asile et à des traitements indignes de ce type en violation des règles du droit européen de l'asile, ou à un risque de refoulement interdit par l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, quand bien même les autorités italiennes ont implicitement accepté la prise en charge de sa demande d'asile. Il n'est pas davantage établi que ces autorités n'évalueront pas d'office les risques de mauvais traitements auxquels il serait exposé en cas de renvoi dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée méconnaîtrait les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013.
17. En quatrième et dernier lieu, compte tenu de tout ce qui précède, il n'apparaît pas que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
18. Il suit de là que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 avril 2024 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation doivent être rejetées.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 8 avril 2024, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. B... en procédure normale et de lui délivrer, en conséquence, une attestation de demande d'asile dans un délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n° 24DA01741 :
20. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 5 juin 2024 du tribunal administratif de Lille. Par suite, les conclusions de la requête enregistrée sous le n° 24DA01741 du préfet du Nord tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
Sur les demandes d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
21. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale pour chacune de ces instances par des décisions du 22 août et du 17 septembre 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur ses demandes d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
22. Partie perdante dans les deux instances, M. B... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes d'aide juridictionnelle provisoire de M. B....
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 24DA01741 du préfet du Nord.
Article 3 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du 24 avril 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille sont annulés.
Article 4 : La demande de M. B... est rejetée.
Article 5 : Les conclusions présentées par M. B... en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Marion Vergnole.
Copie en sera délivrée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 19 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 décembre 2024.
Le président-assesseur,
Signé : J.-M. Guérin-Lebacq
La présidente de chambre, rapporteure,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
N°s 24DA01334-24DA01741 2