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20/11/2024 | FRANCE | N°24DA00798

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 20 novembre 2024, 24DA00798


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 4 août 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement.



Par un jugement n° 2304391 du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Rouen a

rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



I. Par une requête enregistrée le 26...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 4 août 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2304391 du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 26 avril 2024 sous le n° 24DA00798 et un mémoire, enregistré le 19 août 2024, M. A..., représenté par Me Leroy, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 avril 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 4 août 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de cette notification, et de lui remettre dans cette attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- la décision de refus de séjour a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendu avant toute décision défavorable, dès lors qu'il n'a pas été mis à même de présenter ses observations de manière utile et effective ;

- cette décision n'a pas été précédée d'une saisine de la commission du titre de séjour ;

- elle méconnaît les articles L. 811-2 et R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 47 du code civil ;

- il appartenait au préfet de justifier, non pas que les documents produits sont inauthentiques, mais que les informations sur son état civil figurant dans ces documents ne correspondent pas à la réalité ;

- le refus de séjour est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dans la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 423-22 du code précité ;

- cette décision et l'obligation de quitter le territoire français portent atteinte à son droit à une vie privée et familiale normale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ces deux décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2024, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par une ordonnance du 30 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 18 septembre 2024, à 12 heures.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2024.

II. Par une requête enregistrée le 26 avril 2024 sous le n° 24DA00809 et un mémoire, enregistré le 19 août 2024, M. A..., représenté par Me Leroy, demande à la cour :

1°) de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 avril 2024 en application de l'article R. 811-17 du code de justice administrative dans l'attente qu'il soit statué sur la requête présentée au fond ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de mettre fin à toute mesure visant à son éloignement et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre une somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et que les moyens énoncés dans la requête susvisée, enregistrée sous le n° 24DA00798, paraissent sérieux en l'état de l'instruction et de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté contesté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2024, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés n'est sérieux et de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté contesté.

Par une ordonnance du 30 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 18 septembre 2024, à 12 heures.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant sénégalais indiquant être né le 18 décembre 2003, est, selon ses déclarations, entré sur le territoire français le 15 mai 2017. D'abord pris en charge par un oncle résidant en Seine-Maritime, il a été confié aux services départementaux de l'aide sociale à l'enfance le 18 octobre 2018. Le 9 août 2022, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 4 août 2023, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté du 4 août 2023. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, M. A... relève appel de ce jugement et en demande le sursis à l'exécution dans l'attente que la cour se prononce sur son appel.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Pour refuser le droit au séjour à M. A..., le préfet de la Seine-Maritime a constaté le caractère inauthentique de ses documents d'état-civil, en a déduit que l'intéressé n'établissait pas son identité, puis a tiré de cette circonstance qu'aucun titre de séjour ne pouvait lui être délivré sur quelque fondement que ce soit. Toutefois, il ressort des termes de l'arrêté contesté qu'avant de rejeter la demande de titre de séjour de M. A..., le préfet a de lui-même examiné sa situation au regard de son droit à une vie privée et familiale normale, de sorte que l'appelant peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'appui de ses conclusions d'annulation de ce refus de séjour.

4. Si, s'appuyant sur un rapport d'analyse de la police aux frontières, le préfet a mis en cause l'authenticité des documents d'état-civil de M. A..., il ressort des pièces du dossier que ce dernier est arrivé sur le territoire français alors qu'il était mineur, accompagné de son frère aîné, également mineur. Les deux enfants ont d'abord été accueillis au domicile de leur oncle, désigné comme tiers de confiance, puis ont fait l'objet, en raison de violences subies de la part de ce tuteur, d'une mesure de placement provisoire auprès des services de l'aide sociale à l'enfance le 18 octobre 2018, décision qui a été confirmée par un jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 11 octobre 2019. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'évaluation établi par l'organisme d'accueil le 5 décembre 2022 et de ses bulletins scolaires, que le requérant, dont la personnalité est respectueuse, autonome et responsable, a toujours obtenu de bons résultats, les professeurs soulignant notamment son assiduité, son sérieux et son investissement dans le parcours de formation, à l'issue duquel il s'est vu décerner, en juin 2022, un baccalauréat général en sciences économiques et sociales. Il ressort encore des pièces du dossier que M. A... poursuit sa formation professionnelle en vue de l'obtention d'un brevet technique spécialisé " Management des unités commerciales ", et justifie, par la production de ses relevés de notes, de résultats satisfaisants, réguliers et sérieux. L'ensemble de ces éléments révèle le caractère réel et sérieux de la formation suivie par M. A... et sa volonté d'intégration sociale et professionnelle sur le territoire français. Le requérant, qui justifie d'une pratique sportive dans un club de football, en qualité de licencié, a noué des liens de sociabilité, ainsi qu'une relation sentimentale avec une ressortissante française depuis près d'un an. En outre, les nombreuses notes d'évaluation sociale de l'association chargée de son suivi attestent non seulement de son bon comportement et de sa volonté de s'intégrer et de réussir, mais également des liens particulièrement forts qu'il entretient avec son frère aîné également confié aux services de l'aide sociale à l'enfance, et avec lequel il a connu le même parcours migratoire. La circonstance, invoquée par le préfet, que M. A... n'est pas isolé dans son pays d'origine où réside son père, ne saurait être regardée comme déterminante, alors qu'il indique que sa mère est décédée le 20 avril 2008 et que le seul autre membre de sa famille avec lequel il conserve des liens est son unique frère, présent sur le territoire français. Par suite, au vu de l'ensemble des éléments relatifs à sa vie privée et familiale, M. A... est fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Seine-Maritime a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'ensuit que la décision de refus de séjour ainsi que, par voie de conséquence, les décisions assortissant ce refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de destination, doivent être annulées.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées aux fins d'injonction :

6. L'exécution du présent arrêt implique que le préfet de la Seine-Maritime délivre à M. A... une carte de séjour temporaire d'une durée d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur la requête n° 24DA00809 :

7. Dès lors que le présent arrêt se prononce sur la requête de M. A... tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 avril 2024, les conclusions de la requête n° 24DA00809 tendant au sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leroy, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Leroy de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24DA00809 de M. A....

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen n° 2304391 du 11 avril 2024 est annulé. L'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 4 août 2023 rejetant la demande de titre de séjour de M. A... et l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire d'une durée d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : L'Etat versera à Me Leroy une somme de 1 000 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 24DA00798 est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Leroy.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 5 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

Nos 24DA00798, 24DA00809


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA00798
Date de la décision : 20/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-20;24da00798 ?
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