Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... et M. B... C... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens-Picardie à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des fautes commises par cet établissement lors de l'accouchement de Mme C... les 30 et 31 mai 2018, ayant conduit au décès in utero de l'enfant à naître.
Par un jugement n° 2001407 du 6 juin 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande mais a mis à la charge du CHU d'Amiens-Picardie une somme de 1 100 euros au titre des dépens de l'instance.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 juillet 2023 et 6 mai 2024, Mme et M. C..., représentés par Me Verfaillie, doivent être regardés comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, de condamner le CHU d'Amiens-Picardie à leur verser une somme totale de 210 169,89 euros en réparation de leurs préjudices ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale complémentaire ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge du CHU d'Amiens-Picardie une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le CHU d'Amiens-Picardie a manqué à son devoir d'information ; en effet, Mme C... n'a pas été informée des risques pour elle-même et son enfant à naître d'un accouchement par voie basse et d'une césarienne ; elle n'a pas davantage été informée de la possibilité d'accélérer les différentes phases de l'accouchement à la suite de la perte des eaux et sur les avantages et risques en découlant ; elle n'a pas été informée des avantages et risques d'un accouchement sous péridurale ; le devoir d'information s'impose dans tous les cas à l'établissement et sans considération des prédispositions du patient ; à la supposer même établie, la circonstance qu'une césarienne ou un accouchement provoqué serait plus risqué qu'un accouchement naturel par voie basse n'est pas de nature à délier l'établissement de son devoir d'information ;
- l'absence de progression significative dans l'ouverture du col entre l'admission de Mme C... et la fin de la matinée du 30 mai 2018 ainsi que la diminution des contractions utérines auraient dû conduire le CHU d'Amiens-Picardie à diagnostiquer une dystocie cervicale d'engagement et à réaliser des investigations et examens particuliers ; il en résulte un défaut d'examens et de prise en charge adaptée ;
- alors que le terme était dépassé, que la poche des eaux était rompue depuis de nombreuses heures, que la parturiente était algique et que l'ouverture du col était favorable, la décision prise par le personnel médical ayant examiné Mme C... en fin de matinée le 30 mai 2018 de ne pas provoquer l'accouchement mais de prescrire un traitement qui a eu pour effet de réduire les contractions et les manifestations physiques n'est pas conforme aux règles de l'art ;
- les décisions de différer l'accouchement reposent vraisemblablement davantage sur des considérations en lien avec un manque de personnel dans le service que sur des considérations médicales propres à l'état de santé de Mme C... ; faute pour le CHU d'Amiens-Picardie d'avoir justifié des personnels présents au moment des faits, il ne peut être tenu pour établi que les exigences minimales énoncées par les dispositions de l'article D. 6124-44 du code de la santé publique étaient alors satisfaites ; il en résulte une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ;
- alors qu'il est constant dans les données de la science médicale que l'écoulement du temps à compter de la perte des eaux augmente le risque de mortalité, que Mme C... avait perdu les eaux depuis plus de 24 heures et que ses contractions étaient devenues très rares, l'absence d'examen par monitoring durant toute la soirée puis toute la nuit du 30 au 31 mai 2018 n'est pas conforme aux règles de l'art et caractérise un défaut de surveillance ;
- les personnels du CHU d'Amiens-Picardie ont méconnu le protocole du service obstétrique qui prévoit que l'accouchement doit être provoqué au maximum 24 heures après la perte de eaux ; ce protocole doit être regardé comme ayant une valeur réglementaire et comme s'imposant aux personnels de l'établissement ; l'enfant serait née vivante si l'accouchement avait été provoqué dans le délai maximal prévu par ce protocole ;
- le délai ayant séparé le constat de la mort du fœtus et l'accouchement par voie naturelle a été excessif et a été à l'origine, pour Mme C..., d'une importante souffrance psychologique ;
- les suites de l'accouchement n'ont pas été prises en charge dans des conditions conformes aux règles de l'art dès lors que le service dans lequel elle a été hospitalisée n'avait pas été informé de l'hémorragie subie au cours du travail et qu'une prise de sang n'a été réalisée que tardivement ;
- chacune de ces fautes est à l'origine d'une perte de chance de bénéficier d'un accouchement plus précoce, à une période où le fœtus était encore en vie ; l'absence de surveillance durant toute la soirée et toute la nuit du 30 au 31 mai 2018 est à elle-seule à l'origine d'une perte de chance qui ne saurait être inférieure à 50 % ;
- il sont fondés à solliciter, en réparation des préjudices subis, les indemnités suivantes : 100 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, d'accompagnement et d'établissement, 19,29 euros au titre des frais de communication du dossier médical, 137,60 euros au titre des frais engagés pour se rendre à la réunion d'expertise, 8 913 euros au titre des frais funéraires et 1 100 euros au titre des frais d'expertise ;
- à titre subsidiaire, une expertise complémentaire devrait être ordonnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2024, le CHU d'Amiens-Picardie, représenté par le cabinet Le Prado et Gilbert, conclut au rejet de la requête d'appel de Mme et M. C....
Il fait valoir que :
- Mme C... et son enfant à naître ne présentant ni pathologie, ni antécédent entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, il n'était pas tenu de lui délivrer une information spécifique sur la possibilité de procéder à une césarienne ou d'accélérer le travail ainsi que sur les risques inhérents à ces techniques ; alors qu'elle n'a pas présenté de symptômes imposant le recours à ces techniques et que celles-ci présentent des risques supérieurs à l'accouchement par voie basse naturel, Mme C... n'a pas perdu une chance de s'y soustraire ; si Mme C... fait état de ce qu'elle n'a pas été informée des risques liés à la péridurale, aucun risque en lien avec celle-ci ne s'est réalisé ;
- aucun manquement fautif n'a été commis dans la nuit du 29 au 30 mai 2018 ; l'évolution de Mme C..., y compris la diminution des contractions, était normale et caractéristique de la période de pré-travail et n'attendait aucune autre réponse que la prise en charge des douleurs ressenties au moment des contractions ;
- la décision prise en fin de matinée le 30 mai 2018 d'administrer un antalgique a seulement eu pour objet et pour effet de soulager les contractions douloureuses de Mme C... mais non de différer le travail ; elle est conforme aux règles de l'art et n'a aucun lien avec la mort in utero du fœtus ;
- la décision de provoquer l'accouchement de Mme C... 36 heures après la rupture spontanée des membranes est conforme aux règles de l'art ; le protocole interne au service n'a en lui-même pas de valeur réglementaire ; les recommandations du collège national des gynécologues et obstétriciens français prévoient un délai maximal de 48 heures ; la surveillance de Mme C... était normale et ne justifiait pas un déclenchement du travail en urgence ; il n'est en tout état de cause pas établi que la mort in utero du fœtus ait été causée par le délai s'étant écoulé depuis la rupture spontanée des membranes ;
- l'accouchement, après le constat de la mort in utero du fœtus, a été réalisé dans les règles de l'art ;
- les suites de l'accouchement ont été prises en charge conformément aux règles de l'art ;
- au vu des données de la science médicale, le défaut d'examen par monitoring durant la soirée et la nuit du 30 au 31 mai 2018 n'est pas fautif ; il n'a pu exercer aucun lien avec la mort in utero du fœtus ; à titre subsidiaire, il ne pourrait qu'être à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès dont le taux ne saurait excéder 5 % ;
- les montants des indemnités sollicitées par Mme et M. C... sont excessifs : l'indemnisation du préjudice moral ne saurait être supérieure à 20 000 euros ; l'indemnisation des frais funéraires ne saurait être supérieure à plus de la moitié du montant avancé, qui inclut notamment l'aménagement d'un caveau de trois places ;
- l'expertise médicale complémentaire sollicitée par Mme et M. C... n'est pas utile à la résolution du litige alors que le précédent expert a répondu de façon complète, argumentée et documentée aux questions qui lui étaient posées et que les intéressés n'ont pas suffisamment étayé leurs critiques.
La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués aux caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) de la Somme et de l'Oise qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 1er juin 2018, Mme A... C..., a accouché par voie basse d'une enfant morte-née, prénommée Anabella. Souhaitant faire la lumière sur les conditions de son accouchement, elle a, conjointement avec son époux, M. B... C..., demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens d'ordonner une expertise médicale. Il a été fait droit à leur demande par une ordonnance n° 1802624 du 31 janvier 2019. Le rapport d'expertise médicale a été établi le 15 juin 2019. Au vu de celui-ci, Mme et M. C... ont formé une demande indemnitaire préalable auprès du CHU d'Amiens-Picardie par un courrier daté du 10 janvier 2020, réceptionné le 14 janvier suivant, auquel aucune suite n'a été réservée. Le 7 mai 2020, ils ont saisi le tribunal administratif d'Amiens d'une requête tendant à la condamnation du CHU d'Amiens-Picardie à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des fautes commises par cet établissement lors de l'accouchement de Mme C... les 30 et 31 mai 2018, à l'origine du décès in utero de l'enfant à naître. Ils relèvent appel du jugement du 6 juin 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande. En défense, le CHU d'Amiens-Picardie conclut au rejet de la requête d'appel.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'obligation d'information :
2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / (...) ". La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins, en application des dispositions précitées, de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.
3. Contrairement à ce que soutiennent Mme et M. C..., il découle des dispositions et principes cités au point précédent que l'étendue de l'obligation d'informer la femme enceinte sur les risques d'un accouchement par voie basse et sur la possibilité de procéder à une césarienne ainsi que sur les risques inhérents à une telle intervention est proportionnée aux risques effectivement encourus par la mère et l'enfant à naître. Or, en l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des examens réalisés dans le cadre du suivi de la grossesse de Mme C..., de ses antécédents obstétricaux ainsi que de son âge, l'intéressée étant née le 3 novembre 1986, qu'elle-même ou son enfant présentait des risques spécifiques en cas d'accouchement par voie basse qui auraient rendu prévisible l'exécution d'un acte médical et justifié un accouchement par césarienne. Par suite, la délivrance d'une information sur ces points ne présentait pas de caractère obligatoire. En outre, alors que le travail de Mme C... à la suite de son arrivée au CHU d'Amiens-Picardie dans la soirée du 29 mai 2018 a progressé normalement et sans qu'aucun risque inhabituel ne soit identifié, le CHU d'Amiens-Picardie n'était pas davantage tenu de lui délivrer une information sur la possibilité d'accélérer le travail et sur les risques associés. Enfin, alors qu'il résulte de l'instruction qu'aucun risque en rapport avec l'anesthésie péridurale ne s'est réalisé au cours de sa prise en charge, Mme C... ne peut utilement se prévaloir de la circonstance, à la supposer même établie, qu'elle n'aurait pas été informée des risques attachés à cet acte. Dès lors, aucune faute dans le respect de l'obligation d'information ne peut être retenue à l'égard du CHU d'Amiens-Picardie.
En ce qui concerne les fautes médicales :
4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I.- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 15 juin 2019, que, si Mme C... a subi une fissuration des membranes dans la soirée du 29 mai 2018, elle n'était pour autant pas encore entrée dans la phase dite active du travail et que le processus de mûrissement du col devant aboutir à sa dilatation complète a évolué sans anomalie particulière dans la nuit du 29 au 30 mai 2018. Il ne résulte pas de l'instruction que ce processus puisse être qualifié, au matin du 30 mai 2018, de particulièrement long alors que les données de la science médicale indiquent que l'entrée spontanée dans la phase active du travail est observée dans la plupart des cas entre 24 et 36 heures suivant la fissuration ou la rupture prématurée des membranes. Selon les constatations non démenties de l'expert, il n'est pas davantage anormal que la fréquence des contractions connaisse un ralentissement pendant cette période ou qu'elle soit irrégulière, ainsi que cela a été le cas pour Mme C.... Il en résulte que l'évolution de Mme C... dans la nuit du 29 au 30 mai 2018 s'est avérée être, selon les termes de l'expert, " banale " et qu'elle ne révèle, contrairement à ce qu'elle soutient, aucun signe de dystocie d'engagement. Dans ces conditions, alors qu'il ressort des données acquises de la science que le déclenchement naturel du travail présente un pronostic plus favorable qu'un déclenchement artificiel avant l'aboutissement du processus de mûrissement, le CHU d'Amiens-Picardie ne peut être regardé comme ayant manqué aux règles de l'art en maintenant Mme C... en chambre de pré-travail cette nuit-là, en s'abstenant de déclencher artificiellement le travail actif et en ne réalisant pas d'examen supplémentaire.
6. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, les données de la science médicale indiquent que l'entrée spontanée dans la phase active du travail est observée dans la plupart des cas entre 24 et 36 heures suivant la fissuration ou rupture prématurée des membranes. En outre, en l'absence d'entrée spontanée dans la phase active du travail, le collège national des gynécologues et obstétriciens français recommande de déclencher artificiellement le travail au plus tard 48 heures après la fissuration ou rupture prématurée des membranes. En l'espèce, il résulte de l'instruction que lorsqu'elle a été examinée par un médecin du service dans la matinée du 30 mai 2018, Mme C..., dont les contractions demeuraient irrégulières, n'était pas encore entrée dans la phase active du travail et, selon l'expert, il n'était alors pas contraire aux règles de l'art mais tout à fait commun de lui prescrire un antalgique destiné à soulager les douleurs qu'elle ressentait au moment des contractions. Contrairement à ce qu'elle soutient, l'administration de ce traitement n'a pas eu pour effet de compromettre ou de différer excessivement l'entrée dans la phase active du travail, les documents de sa prise en charge mentionnant d'ailleurs que ses contractions avaient repris dès 18h45. Alors que les deux enregistrements cardiotocographiques réalisés à 14h08 et à 18h45, postérieurement à l'administration de ce traitement, se sont avérés normaux, le traitement administré ne peut être regardé comme étant en lien avec le décès in utero de l'enfant. Enfin, et de manière générale, la surveillance de Mme C... jusqu'à son transfert en salle d'accouchement le 31 mai 2018 vers 08h00 n'a mis en évidence aucune anormalité ou motif justifiant un déclenchement en urgence du travail. Dans ces conditions, l'orientation retenue par le médecin du service lors de l'examen réalisé dans la matinée du 30 mai 2018 et la décision de différer le déclenchement artificiel du travail jusqu'au matin du 31 mai 2018, soit dans le délai maximum de 48 heures préconisé par le collège national des gynécologues et obstétriciens français, ne peuvent être regardées comme fautives.
7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise médicale du 15 juin 2018, qu'en dehors du délai maximal de 48 heures recommandé par le collège national des gynécologues et obstétriciens français, il n'existe, dans les données acquises de la science médicale à la date des faits litigieux, aucun consensus sur le bénéfice apporté par un déclenchement artificiel plus précoce du travail. Si le protocole interne du service de gynécologie et obstétrique du CHU d'Amiens-Picardie prévoit en règle générale de déclencher artificiellement le travail dès le terme d'un délai de 24 heures suivant la rupture prématurée des membranes, le dépassement de ce délai, tant que l'acte intervient dans le délai maximal de 48 heures précité et en l'absence de tout motif d'intervention en urgence, ne constitue donc pas par lui-même un manquement aux règles de l'art. Dans ces conditions, la circonstance tirée de ce que le délai préconisé par ce protocole ait dans le cas de Mme C... été dépassé ne présente pas par elle-même un caractère fautif, et ce d'autant plus que le déclenchement artificiel a été programmé dans le respect du délai limite de 48 heures suivant la rupture prématurée des membranes de Mme C..., que sa prise en charge n'a mis en évidence aucun motif de déclenchement en urgence et que l'expert retient qu'il est tout à fait licite et même toujours plus sûr de privilégier un déclenchement en journée, en présence d'une équipe qui est plus étoffée que la nuit.
8. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux deux points précédents que la programmation du déclenchement artificiel du travail de Mme C... dans la matinée du 31 mai 2018 a été décidée conformément aux règles de l'art et au vu de sa situation et des examens réalisés au cours de sa prise en charge. Contrairement à ce que soutiennent Mme et M. C..., il ne résulte pas de l'instruction qu'elle reposerait principalement sur des considérations se rapportant au nombre de personnels en service au moment des faits. Dans ces conditions, sans que la communication des documents évoqués par Mme et M. C... apparaisse utile à la résolution du litige, aucune faute dans l'organisation et le fonctionnement du service, susceptible d'être en lien avec le décès in utero du fœtus, ne peut être retenue à l'encontre du CHU d'Amiens-Picardie.
9. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction qu'au cours de la prise en charge de Mme C..., le rythme cardiaque du fœtus a été contrôlé en moyenne toutes les quatre heures à compter de sa présentation à la maternité dans la nuit du 29 au 30 mai 2018 et jusqu'au 30 mai 2018 en début de soirée, plus précisément à 00h59, à 04h37, à 08h14, à 14h08 et à 18h45. En revanche, plus aucun enregistrement, ni d'ailleurs aucun autre examen du fœtus, n'est répertorié dans la soirée du 30 mai 2018 et dans la nuit qui a suivi. Si l'expert mentionne dans son rapport du 15 juin 2019 qu'il n'existe aucun argument médicolégal opposable à cette absence d'enregistrement, il résulte néanmoins de l'instruction, notamment des divers éléments documentaires produits par Mme et M. C..., en particulier les recommandations en date de décembre 2017 de la Haute autorité de santé, que la surveillance régulière du rythme cardiaque fœtal dès l'admission de la mère à la maternité est une pratique médicale largement admise et considérée comme concourant à la prévention des situations à risques et, de manière générale, à la réduction de la mortalité périnatale. Il en résulte que l'absence de tout enregistrement du rythme cardiaque fœtal dans la soirée du 30 mai 2018 et dans la nuit qui a suivi ainsi que de tout autre examen est constitutive d'un défaut de surveillance présentant un caractère fautif.
10. En revanche, il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 15 juin 2019, qu'aucune cause n'a pu être retrouvée au décès in utero du fœtus de Mme C... et que celui-ci doit, dès lors, être mis sur le compte des décès in utero inexpliqués qui se produisent entre 1,6 et 3,5 cas sur mille et qui se caractérisent par leur grande brutalité. A cet égard, il ne résulte pas de l'instruction que des signes cliniques permettent d'anticiper ou de prévenir la survenue d'un tel événement brutal et inexpliqué ou que sa constatation fortuite à l'occasion d'un enregistrement cardiotocograhique puisse même donner lieu, dans des conditions de pleine sécurité pour la mère, à une réaction de l'équipe médicale propre à provoquer la naissance immédiate de l'enfant et à permettre sa réanimation. Dans ces conditions, le décès in utero de l'enfant ne peut être regardé comme étant en lien direct et certain avec la faute commise par le CHU d'Amiens-Picardie dans la surveillance de Mme C... et son fœtus dans la nuit du 30 au 31 mai 2018. Elle n'engage, dès lors, pas, à elle-seule, la responsabilité de l'établissement.
11. En sixième lieu, dans les données acquises de la science à la date des faits litigieux, en raison des risques auxquels une césarienne expose la mère, y compris à l'occasion des grossesses ultérieures, l'accouchement par voie basse doit être systématiquement privilégié après le constat du décès in utero du fœtus, ce que Mme et M. C... n'ont au demeurant contesté ni en première instance ni en appel. S'ils invoquent le caractère excessif du délai ayant séparé le constat du décès, vers 08h00, et la délivrance de Mme C..., intervenue à 00h51 la nuit suivante, il ne résulte néanmoins pas de l'instruction que l'équipe médicale du CHU d'Amiens-Picardie ait manqué de diligence. Il est constant au contraire qu'elle a eu recours aux forceps pour permettre l'extraction de l'enfant dans des conditions dont la conformité aux règles de l'art n'est mise en cause ni par l'expert ni par aucun autre élément de l'instruction. Si Mme et M. C... mettent également en exergue l'absence d'accompagnement psychologique dans les suites immédiates de l'annonce du décès in utero de leur enfant, il ne résulte pas de l'instruction qu'un tel accompagnement puisse être engagé avant même que les efforts expulsifs aboutissent. Dans ces conditions, aucun manquement aux règles de l'art ne peut être retenu à l'égard du CHU d'Amiens-Picardie dans la réalisation des manœuvres obstétricales ayant permis l'accouchement de Mme C....
12. En septième lieu, il résulte de l'instruction que les suites de couche ont été sans difficulté particulière pour Mme C... et qu'elle a pu regagner son domicile le 3 juin 2018, sans qu'il soit démontré que ce délai d'hospitalisation présente un caractère anormal au regard des complications rencontrées lors de l'accouchement. Si Mme et M. C... mentionnent, d'une part, que le service dans lequel Mme C... a été hospitalisée n'aurait pas reçu toutes les informations pertinentes de la part de l'équipe ayant réalisé l'accouchement et, d'autre part, que des examens sanguins n'auraient pas été réalisés en temps et en heure, ils ne démontrent pas quelles conséquences dommageables il en aurait résulté pour la prise en charge et l'état de santé de Mme C.... L'expert, de son côté, ne relève, dans son rapport du 15 juin 2019, aucun manquement aux règles de l'art. Contrairement à ce que soutiennent Mme et M. C..., aucun manquement fautif dans la prise en charge des suites de couche ne peut dès lors être retenu à l'égard du CHU d'Amiens-Picardie.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans que l'expertise complémentaire qu'ils sollicitent n'apparaisse utile à la résolution du litige, que Mme et M. C... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité du CHU d'Amiens-Picardie. Par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs conclusions tendant à la condamnation de cet établissement à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis.
Sur les frais liés au litige :
14. En premier lieu, les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 100 euros par ordonnance du 22 juillet 2019 de la présidente du tribunal administratif d'Amiens, doivent, dans les circonstances de l'espèce, à l'instar de ce qu'ont décidé les premiers juges, être mis définitivement à la charge du CHU d'Amiens-Picardie. Il n'y a, dès lors, pas lieu pour la cour de réformer le jugement sur ce point.
15. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU d'Amiens-Picardie, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme et M. C... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme et M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à M. B... C..., au centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.
Délibéré après l'audience publique du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA01345