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20/11/2024 | FRANCE | N°22DA00648

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 20 novembre 2024, 22DA00648


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Hôpital privé Saint Claude a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 27 janvier 2020 par laquelle le président de l'Etablissement français du sang (EFS) a rejeté sa demande de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée à raison de la livraison des produits sanguins labiles qu'elle a commandés au cours des années 2015 à 2018 et de condamner l'EFS à lui verser la somme de 11 897, 92 euros en réparation du pré

judice qu'elle a subi à raison de la facturation de la taxe sur la valeur ajoutée sur la liv...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Hôpital privé Saint Claude a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 27 janvier 2020 par laquelle le président de l'Etablissement français du sang (EFS) a rejeté sa demande de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée à raison de la livraison des produits sanguins labiles qu'elle a commandés au cours des années 2015 à 2018 et de condamner l'EFS à lui verser la somme de 11 897, 92 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi à raison de la facturation de la taxe sur la valeur ajoutée sur la livraison des produits sanguins labiles qu'elle a commandés au cours des années 2015 à 2018.

Par un jugement n° 2001932 du 19 janvier 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 21 mars 2022, les 25 avril 2023 et 9 avril 2024, la SAS Hôpital privé Saint Claude, représentée par Me Labro, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'EFS à lui restituer la somme de 11 897, 92 euros à raison de la facturation de la taxe sur la valeur ajoutée sur la livraison des produits sanguins labiles qu'elle a commandés au cours des années 2015 à 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'EFS la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- une somme de 11 897, 92 euros lui a été indûment facturée par l'EFS au titre de la taxe sur la valeur ajoutée sur la livraison des produits sanguins labiles qu'elle a commandés au cours des années 2015 à 2018, dès lors que cette facturation méconnaît les dispositions du d du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telles qu'interprétées par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et notamment l'arrêt du 5 octobre 2016 TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH C-412/15 ;

- en ne facturant pas la livraison de ses produits sanguins labiles conformément au droit de l'Union européenne, l'EFS engage sa responsabilité contractuelle ;

- sa créance à l'égard de l'EFS, soumise aux dispositions de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, n'est pas prescrite.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 septembre, 20 décembre 2022 et 16 mai 2023, l'EFS, représentée par Me Alparslan, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Hôpital privé Saint Claude au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conclusions de la requête fondées sur la répétition de l'indu sont irrecevables en raison, d'une part, de l'exception de recours parallèle prévue par l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, et d'autre part, de son fondement, qui constitue une cause juridique nouvelle en appel et distincte de celle sur laquelle était fondée la réclamation préalable ;

- une législation prise en contrariété avec le droit européen engage la responsabilité de l'Etat et non celle de l'opérateur économique, fût-ce un établissement public comme l'EFS ;

- la prescription applicable en celle qui résulte des dispositions combinées des articles L. 190 et l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales est applicable en l'espèce ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La clôture d'instruction été fixée le 22 avril 2024 par une ordonnance du 22 mars 2024.

Par lettres en date des 25 septembre et 1er octobre 2024, des pièces complémentaires ont été demandées au requérant pour compléter l'instruction, puis communiquées à la partie adverse en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Delahaye, président-assesseur ;

- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. L'Etablissement français du sang (EFS), chargé du service public transfusionnel, a vendu à la SAS Hôpital privé Saint Claude, au cours des années 2015 à 2018, des produits dérivés du sang humain, dits " produits sanguins labiles ", en soumettant ces livraisons à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % en application des dispositions l'article 281 octies du code général des impôts dans leur rédaction alors applicable. Par un courrier du 30 septembre 2019, la société a demandé à l'EFS de lui rembourser la taxe qu'elle estimait avoir supporté à tort sur ces livraisons. A la suite du rejet de sa demande, la SAS Hôpital privé Saint Claude a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'EFS à lui verser la somme de 11 897, 92 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi à raison de la facturation de la taxe sur la valeur ajoutée sur la livraison des produits sanguins labiles qu'elle a commandés au cours des années 2015 à 2018. La SAS Hôpital privé Saint Claude relève appel du jugement n° 2001932 du 19 janvier 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la recevabilité :

2. D'une part, il résulte de l'instruction que la société requérante a demandé dans sa réclamation préalable du 30 septembre 2019 puis dans sa requête de première instance enregistrée le 25 mars 2020 le " remboursement de la TVA facturée à tort ". Elle doit ainsi être regardée comme ayant introduit dès sa requête initiale une demande de répétition de l'indu.

3. D'autre part, la société requérante n'étant pas elle-même redevable de la TVA, ni détentrice d'une créance fiscale, l'EFS n'est pas fondé à soutenir que la société requérante aurait dû exercer une action en restitution d'imposition indûment payées sur le fondement de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales.

4. Enfin, en admettant même qu'elle aurait eu la possibilité d'exercer une action en responsabilité contre l'État, la société requérante n'en disposerait pas moins de la faculté, dont elle a fait usage en l'espèce, de former un recours en restitution de l'indu en vue d'obtenir de l'EFS le remboursement d'une somme correspondant au montant de la TVA qui, selon elle, lui a été facturée à tort.

5. Il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par l'EFS tirées, d'une part, du caractère nouveau en appel de l'action en restitution de l'indu sur laquelle la société requérante fonde ses prétentions indemnitaires, et d'autre part, de l'existence de recours parallèles, doivent être écartées.

Sur l'exception de prescription :

6. En l'espèce, les créances en litige relèvent des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics et non de celles de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, qui ont pour effet d'instituer un régime légal de prescription propre aux créances d'origine fiscale dont les contribuables entendent se prévaloir envers l'État. Par suite, l'EFS ne peut utilement se prévaloir de ces dernières dispositions et l'exception de prescription qu'il oppose sur ce fondement doit être écartée.

Sur l'assujettissement des livraisons de produits sanguins labiles à la taxe sur la valeur ajoutée :

7. Les dispositions du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, transposées par les dispositions du 2° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, prévoient que les livraisons de sang humain sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et notamment de l'arrêt du 5 octobre 2016 TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH C-412/15 que sont inclus dans le champ de cette exonération les livraisons de produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.

8. Par suite, les dispositions de l'article 281 octies du code général des impôts dans leur rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021, aux termes desquelles : " La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 2,10 % pour les livraisons portant (...) sur les produits visés au 1° (...) de l'article L. 1221-8 du code de la santé publique. (...) ", c'est-à-dire les " produits sanguins labiles, comprenant notamment le sang total, le plasma dans la production duquel n'intervient pas un processus industriel, quelle que soit sa finalité, et les cellules sanguines d'origine humaine ", étaient contraires aux dispositions du d du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 en tant qu'elles assujettissaient à la taxe sur la valeur ajoutée les produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.

Sur le droit à restitution de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort :

9. Il résulte de l'instruction que, jusqu'au mois de décembre 2018, l'EFS a facturé les produits sanguins labiles à usage thérapeutique qu'il livrait en soumettant ces livraisons à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 2,10 % en application des dispositions de l'article 281 octies du code général des impôts, dans leur rédaction alors en vigueur, et de celles de l'article 4 de l'arrêté du 9 mars 2010 relatif au tarif de cession des produits sanguins labiles, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 26 décembre 2018. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 et n'est pas contesté que cette taxe sur la valeur ajoutée a été facturée en méconnaissance du droit de l'Union européenne.

10. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1302 du code civil : " (...) ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution ". Aux termes de l'article 1302-1 du même code : " Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ".

11. D'autre part, il résulte de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans son arrêt du 15 mars 2007 Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH C-35/05, que, lorsque l'acquéreur d'un bien a versé au fournisseur la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, il ne peut se prévaloir d'un droit à déduction de cette taxe. Les autorités fiscales nationales sont, dès lors, fondées à refuser à l'acquéreur l'exercice de ce droit ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle. En revanche, l'acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu'il a indûment supportée. Si la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d'insolvabilité du vendeur, le principe d'effectivité peut exiger que l'acquéreur puisse présenter sa demande de restitution directement aux autorités fiscales nationales lesquelles peuvent, avant d'accorder la restitution demandée, vérifier que le risque de perte de recettes fiscales a été préalablement éliminé, notamment du fait que l'auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.

12. Conformément à ce qui a été dit au point précédent, pour obtenir la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été facturée à tort, l'acquéreur doit prioritairement s'adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle, à son fournisseur si celui-ci n'a pas pris l'initiative de lui rembourser l'indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l'administration fiscale si l'obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile.

13. Pour contester l'action en répétition de l'indu formée par la société requérante, l'EFS, qui a facturé cette taxe, ne peut utilement faire valoir que le contrat la liant à cette société, qui prévoyait le versement de la TVA, a été parfaitement exécuté, dès lors qu'en distinguant le prix hors taxe et la TVA, le contrat ne crée pas l'obligation pour l'acquéreur de s'acquitter auprès du fournisseur de la TVA au taux, même erroné, mentionné dans ce contrat mais l'obligation pour l'acquéreur de s'acquitter de cette taxe auprès du fournisseur lorsque ce dernier en est effectivement redevable en vertu d'une obligation légale. L'EFS ne saurait davantage utilement soutenir, pour contester l'action en répétition de l'indu introduite par la SAS Hôpital privé Saint Claude, ni qu'il ne s'est pas enrichi, ni qu'il n'a commis aucune faute en appliquant une réglementation qui s'imposait à lui, ni, compte tenu de ce qui a été dit précédemment que seule une action contre l'État aurait dû être engagée par la société requérante.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'EFS à lui rembourser la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort sur les livraisons de produits sanguins labiles de 2015 à 2018, dans la limite de 11 783,72 euros, dès lors qu'elle ne justifie pas, par la production des factures afférentes à ces livraisons, avoir acquitté un montant de taxe supérieur à cette somme.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SAS Hôpital privé Saint Claude, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par l'EFS au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la SAS Hôpital privé Saint Claude sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2001932 du 19 janvier 2022 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : L'Etablissement français du sang est condamné à verser à la SAS Hôpital privé Saint Claude la somme de 11 783,72 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Hôpital privé Saint Claude et à l'Etablissement français du sang.

Délibéré après l'audience publique du 22 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,

- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : L. DelahayeLe président de chambre,

Signé : B. Chevaldonnet

La greffière,

Signé : A-S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

2

N°22DA00648


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00648
Date de la décision : 20/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Chevaldonnet
Rapporteur ?: M. Laurent Delahaye
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CABINET ARCHERS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-20;22da00648 ?
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