Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Nord a rejeté sa demande de rendez-vous en préfecture afin de déposer sa demande de délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
2°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet du Nord de le convoquer en vue de l'enregistrement de sa demande de délivrance d'un titre de séjour et de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 2203803 du 6 juin 2024, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 24 mai 2022, a enjoint au préfet du Nord de convoquer M. A... afin de déposer sa demande de titre de séjour, a mis à la charge de l'Etat le versement à Me Dewaele, conseil de M. A..., d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, contre renonciation de la part de ce conseil au bénéfice de l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle et a rejeté la surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juin 2024, le préfet du Nord demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 juin 2024 en ce qu'il annule sa décision du 24 mai 2022 ;
2°) de confirmer la légalité de la décision du 24 mai 2022.
Il soutient que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L.212-1 du code des relations entre le public et l'administration n'est pas fondé et ne pouvait être accueilli par le tribunal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2024, M. B... A..., représenté par Me Emilie Dewaele, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, contre renonciation de la part de ce conseil au bénéfice de l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- la décision, non signée, méconnaît les dispositions de l'article L.212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision attaquée n'est pas motivée, le préfet du Nord n'ayant pas répondu dans le délai d'un mois à sa demande du 4 avril 2022 de communication des motifs, et n'est en tout état de cause pas suffisamment motivée ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 6 5) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et des articles R. 431-2 et R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un courrier en date du 23 septembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions à fin d'annulation de l'acte du 24 mai 2022 sont irrecevables dès lors que ce dernier, qui constitue une simple réponse à une demande de communication de motifs d'une décision implicite, n'est pas un acte faisant grief susceptible d'un recours pour excès de pouvoir.
M. B... A..., représenté par Me Emilie Dewaele, a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public le 23 septembre 2024.
M. B... A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 août 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- l'ordonnance n°2005-1516 du 8 décembre 2005 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le décret n° 2010-112 du 2 février 2010 ;
- l'arrêté du 13 juin 2014 portant approbation du référentiel général de sécurité et précisant les modalités de mise en œuvre de la procédure de validation des certificats électroniques ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Stéphane Eustache, rapporteur public,
- et les observations de M. B... A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 5 mars 1995 à Mohammadia (Algérie), de nationalité algérienne, déclare être entré en France le 13 octobre 2010 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par une ordonnance de placement provisoire du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille en date du 13 octobre 2010, confirmée par un jugement du juge des enfants au tribunal de grande instance de Lille en date du 20 octobre 2020. Une fois majeur, il a été mis en possession d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " valable du 13 mai 2013 au 12 mai 2014, régulièrement renouvelée jusqu'au 2 novembre 2017. Le 30 octobre 2017, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié et en se prévalant de ses liens personnels et familiaux en France. Il a ensuite sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 30 août 2019, le préfet du Nord a rejeté sa demande et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français. Par un jugement n°1908683 du 20 avril 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté la requête en annulation formée par l'intéressé contre cet arrêté.
2. Le 26 novembre 2020, M. A... a été interpellé par les services de police. Par un arrêté du 27 novembre 2020, le préfet du Nord l'a de nouveau obligé à quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, a fixé le pas de destination de la mesure d'éloignement et l'a interdit de retour en France durant un an. Par un jugement n° 2008595 du 1er octobre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté la requête en annulation formée par l'intéressé contre cet arrêté.
3. Le 28 janvier 2022, M. A... a demandé au préfet du Nord un rendez-vous afin de déposer une demande de délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Cette demande a été réitérée le 2 mars 2022. Estimant qu'une décision implicite de refus d'enregistrer sa demande de titre de séjour était née deux mois après le dépôt de sa demande, il a sollicité, le 4 avril 2022, la communication des motifs de cette décision implicite de refus. Par un courriel du 24 mai 2022, l'administration a entendu répondre à cette demande de communication de motifs. Par la présente requête, le préfet du Nord demande l'annulation de l'article 1 du jugement n° 2203803 du 6 juin 2024, par lequel le tribunal administratif de Lille a, à la demande de M. A..., annulé sa décision du 24 mai 2022.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
4. Le courriel du 24 mai 2022, qui se réfère non seulement à la demande du 4 avril 2022 de communication des motifs mais également aux correspondances du 28 janvier 2022 et du 2 mars 2022 et s'achève par le refus d'enregistrer la demande de titre de séjour de M. A..., doit en réalité être regardé comme une décision expresse de refus d'enregistrer cette demande de titre de séjour, qui se substitue à la décision implicite de refus née le 28 mars 2022.
5. Pour annuler la décision du 24 mai 2022, le tribunal administratif de Lille s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, en l'absence de signature de la décision.
6. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci (...) ". Aux termes de l'article L. 212-2 du même code : " Sont dispensés de la signature de leur auteur, dès lors qu'ils comportent ses prénom, nom et qualité ainsi que la mention du service auquel celui-ci appartient, les actes suivants : 1° les décisions administratives qui sont notifiées au public par l'intermédiaire d'un téléservice conforme à l'article L. 112-9 et aux articles 9 à 12 de l'ordonnance n°2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives ainsi que les actes préparatoires à ces décisions ; / 2° Les décisions administratives relatives à la gestion de leurs agents produites par les administrations sous forme électronique dans le cadre de systèmes d'information relatifs à la gestion ou à la dématérialisation de processus de gestion des ressources humaines (...) ; / 3° Quelles que soient les modalités selon lesquelles ils sont portés à la connaissance des intéressés, les saisies administratives à tiers détenteur, adressées tant au tiers saisi qu'au redevable, les lettres de relance relatives à l'assiette ou au recouvrement, les avis de mise en recouvrement, les mises en demeure de souscrire une déclaration ou d'effectuer un paiement, les décisions d'admission totale ou partielle d'une réclamation et les demandes de documents et de renseignements pouvant être obtenus par la mise en œuvre du droit de communication prévu au chapitre II du titre II de la première partie du livre des procédures fiscales ; / 4° Les visas délivrés aux étrangers. ". Aux termes de l'article L. 212-3 de ce code : " Les décisions de l'administration peuvent faire l'objet d'une signature électronique. Celle-ci n'est valablement apposée que par l'usage d'un procédé, conforme aux règles du référentiel général de sécurité mentionné au I de l'article 9 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, qui permette l'identification du signataire, garantisse le lien de la signature avec la décision à laquelle elle s'attache et assure l'intégrité de cette décision. ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 24 mai 2022 portant refus de titre de séjour a été notifiée au conseil de M. A... par courriel, par le truchement d'une boîte de messagerie fonctionnelle générique émanant de la préfecture du Nord, ainsi que cela ressort du suffixe de l'adresse de messagerie utilisée. Cette décision, qui n'a, en particulier, pas été notifiée par l'intermédiaire d'un téléservice, n'est pas au nombre des décisions dispensées de la signature de leur auteur en vertu de l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration précité. Si la décision attaquée mentionne l'identité, la qualité et le service de rattachement de son auteur, elle n'est pas signée, ni de manière manuscrite, ni de manière électronique. M. A..., qui a ainsi été privé d'une garantie, est fondé à soutenir que cette décision, qui a été prise en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, est entachée d'un vice de forme et doit être annulée.
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 24 mai 2022.
Sur les frais liés au litige :
9. Dès lors que M. A... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut se prévaloir du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Emilie Dewele renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à ce conseil de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Emilie Dewaele, avocat de M. A..., la somme de 1 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Emilie Dewaele et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 10 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA01150 2