Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 17 février 2023 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2304609 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Lille rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2023 et 3 juillet 2024, M. B..., représenté par Me Schryve, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 février 2023 du préfet du Nord ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, en lui remettant, dans l'attente et dans un délai d'une semaine, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil désigné au titre de l'aide juridictionnelle d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet a seulement examiné sa demande au regard des articles L. 421-3 et L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non au regard de l'article L. 435-1 du même code et de ses liens privés et familiaux en France pourtant invoqué ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il a noué des attaches personnelles très solides en France, qu'il y a vécu toute sa vie d'adulte et qu'il y a fait ses études et s'est intégré professionnellement, tandis qu'il n'avait jamais été scolarisé dans son pays d'origine et que ses parents n'y avaient pas les moyens de pourvoir à ses besoins élémentaires ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préfet dispose, même sans texte, d'un pouvoir discrétionnaire pour délivrer un titre de séjour à un étranger qui ne disposerait pas du visa de long séjour requis, que l'absence de contrat de travail visé par l'autorité compétente ne lui est pas imputable alors qu'il justifie de nombreuses promesses d'embauche et qu'il dispose d'une formation et d'une expérience offrant des perspectives sérieuses d'insertion professionnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle a pour effet d'interrompre son projet d'insertion professionnelle en France, de l'éloigner de son cercle amical et de l'ensemble de ses repères de jeune adulte et de l'obliger à retourner dans un pays qu'il a quitté à l'âge de 14 ans ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que ses attaches amicales en France n'ont pas été prises en considération et qu'elle fait obstacle à la délivrance de tout visa de long séjour par les autorités consulaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2024, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête d'appel de M. B....
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 novembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire relative à la circulation et au séjour des personnes, signée à Abidjan le 21 septembre 1992 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né le 15 février 2003, de nationalité ivoirienne, est selon ses déclarations entré en France en novembre 2018 alors qu'il était âgé de 15 ans. A la suite de son accession à la majorité, il a sollicité son admission au séjour par un courrier reçu par les services du préfet du Nord le 12 mai 2021 et au cours d'un entretien en préfecture le 21 février 2022. Le préfet du Nord a déclaré cette demande irrecevable par une décision du 10 mars 2022, dont l'exécution a été suspendue par une ordonnance n° 2202548 du 25 avril 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Lille. M. B... a réitéré sa demande par un courrier reçu par les services du préfet du Nord le 5 octobre 2022. Par un arrêté du 17 février 2023, le préfet du Nord a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 10 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ait fondé sa demande d'admission au séjour sur les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort en revanche des pièces du dossier, notamment du formulaire de demande de titre de séjour qu'il a signé lors de sa présentation en préfecture le 21 février 2022, qu'il a alors sollicité, à titre principal, la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " ou, à titre subsidiaire, la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant ". Il en résulte que, alors qu'un préfet n'est jamais tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si le demandeur peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition que celles qu'il a invoquées dans sa demande, le préfet du Nord n'a, en l'espèce, pas entaché son arrêté d'erreur de droit en s'abstenant d'examiner la situation de M. B... au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort en revanche des termes mêmes de l'arrêté attaqué que l'ensemble des motifs explicitement invoqués par l'intéressé, à savoir les dispositions des articles L. 421-3 et L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ont été dûment examinés. Au surplus, il ressort également des termes mêmes de cet arrêté que le préfet du Nord a en tout état de cause procédé à l'examen non seulement des liens privés et familiaux que M. B... entretient en France et dans son pays d'origine mais également de son insertion professionnelle sur le territoire, qu'il a au final conclut que le refus de l'admettre au séjour ne porterait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu'il n'a, ce faisant, pas omis d'apprécier l'opportunité de régulariser la situation de l'intéressé dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. Le moyen d'erreur de droit soulevé par M. B... doit, dès lors, être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que, si M. B... est entré sur le territoire à l'âge de 15 ans, l'intéressé, célibataire et sans charge de famille, ne justifie, à la date de la décision d'attaqué, que d'à peine plus de quatre ans de présence en France. Par ailleurs, l'obtention en juillet 2022 d'un certificat d'aptitude professionnelle, spécialité " peintre applicateur de revêtements " ne caractérise pas, à elle seule et à la date de l'arrêté attaqué, l'existence d'une insertion professionnelle stable et pérenne, ses expériences professionnelles se limitant à son apprentissage et l'exercice de missions d'intérim ou de contrat de travail de très courte durée. Les seuls liens amicaux dont il se prévaut ne sont quant à eux pas suffisants pour établir que le centre principal de sa vie privée et familiale s'est durablement établi en France. Dans le même temps, il n'est pas établi qu'en cas de retour dans son pays d'origine où résident son père et sa mère, le requérant y serait isolé et qu'il ne pourrait pas mettre à profit les qualifications professionnelles acquises en France pour y poursuivre son insertion. Dans ces conditions, c'est sans méconnaître les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le préfet du Nord a pu refuser à M. B... la délivrance d'un titre de séjour. Le moyen en ce sens doit, dès lors, être écarté.
5. En troisième lieu, ainsi qu'il a déjà été dit au point 2, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord aurait omis d'apprécier l'opportunité de régulariser la situation de M. B... dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. En particulier, il ressort des énonciations de l'arrêté attaqué que, même s'il a opposé l'absence de délivrance préalable des visas de long séjour en principe requis, le préfet n'en a pas moins pris en compte les promesses d'embauche présentées par M. B... pour apprécier la qualité de son insertion professionnelle ainsi que son parcours de formation et ses projets en la matière. Enfin, l'existence de perspectives d'insertion professionnelle, à la supposer même établie, ne suffit par elle-même pas à justifier dans tous les cas la délivrance exceptionnelle d'un titre de séjour. Le moyen tiré de ce que le préfet du Nord aurait pour ces motifs entaché son arrêté d'erreurs de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation doit, dès lors, être écarté.
6. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que M. B... n'établit ni que son projet professionnel dans le domaine de la peinture en bâtiment ne pourrait pas être poursuivi dans son pays d'origine, ni qu'il ne pourrait pas lui procurer des conditions convenables d'existence. Par ailleurs, les liens amicaux qu'il a noués sur le territoire sont insuffisants pour le regarder comme ayant établi le centre principal de sa vie privée et familiale en France, alors en particulier qu'il y est célibataire sans enfant et qu'en Côte d'Ivoire résident toujours au moins son père et sa mère. Dans ces conditions, et s'il a quitté son pays d'origine à l'âge de 14 ans seulement, il n'établit pas qu'il ne pourrait pas s'y réinsérer socialement et professionnellement. Le moyen tiré de ce que la décision l'obligeant à quitter le territoire français serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation doit, dès lors, être écarté. Il en résulte que M. B... n'est pas davantage fondé à demander l'annulation de cette décision.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
8. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... justifie, à la date de la décision attaquée, d'à peine plus de quatre ans de présence sur le territoire, où il est au demeurant entré irrégulièrement. Ainsi qu'il a été dit au point 4, il est dépourvu de toute attache familiale en France et son insertion professionnelle y demeure récente et inaboutie. Dans le même temps, il n'est pas isolé dans son pays d'origine et ne démontre pas qu'il ne pourrait pas y poursuivre son projet professionnel. Dans ces conditions, même si aucun trouble à l'ordre public ne peut lui être reproché et s'il n'a pas fait l'objet de mesure d'éloignement par le passé, l'interdiction qui lui a été faite de retourner sur le territoire français ne méconnaît les dispositions précitées des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni dans son principe, ni dans sa durée. Dès lors, le moyen soulevé en ce sens par M. B... doit être écarté. Il en résulte que M. B... n'est pas davantage fondé à demander l'annulation de cette décision.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 février 2023 du préfet du Nord. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des frais liés au litige doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Schryve.
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°23DA02403