Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen à titre principal, d'annuler la décision du 11 octobre 2022 par laquelle le directeur interrégional de la mer Manche Est-Mer du Nord l'a déclaré inapte à la profession de marin et à titre subsidiaire, d'en prononcer l'abrogation.
Par un jugement n° 2204963 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 août 2024, M. C..., représenté par Me Guyon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué ;
2°) d'annuler la décision du 11 octobre 2022, à titre principal pour illégalité interne, à titre subsidiaire, de l'annuler et à titre infiniment subsidiaire de l abroger ;
3°) d'enjoindre au directeur interrégional de la Mer Manche Est-mer du Nord de réexaminer sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il méconnaît le principe d'impartialité, la magistrate ayant rejeté le référé-suspension dirigé contre cette décision ayant siégé au sein de la formation ayant statué au fond ;
- il est irrégulier en tant qu'il est insuffisamment motivé
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en rejetant pour irrecevabilité ses conclusions aux fins d'abrogation de la décision attaquée ;
- la décision du 11 octobre 2022 émane d'une autorité incompétente ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été rendue sur le fondement d'un avis médical irrégulier dès lors qu'il n'émane pas d'un collège de médecins mais d'un seul et que le docteur E... n'est pas le médecin chef de la direction interrégionale de la mer ;
- elle est entachée d'une erreur de qualification des faits ;
- elle méconnaît l'obligation d'aménagement raisonnable comme garantie de l'égalité de traitement dans l'emploi pour les personnes en situation de handicap ;
- elle méconnaît le principe d'égalité ;
- elle méconnaît le droit à la santé et à la vie privée et familiale ;
- la décision du 11 octobre 2022 est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle est disproportionnée à raison de l'absence de motifs médicaux et de la généralité de l'interdiction illimitée quant aux postes dans la navigation et que l'administration n'a pas pris en compte la stabilisation de son état de santé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par M. C... tendant à l'abrogation de la décision du 11 octobre 2022, dès lors qu'il n'entre pas dans l'office du juge de l'excès de pouvoir de procéder à l'abrogation d'un tel acte individuel, même au cas où surviendrait un changement de circonstances tel que l'acte serait devenu illégal.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées ;
- le code de la santé publique ;
- le code des transports ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2010-130 du 11 février 2010 ;
- le décret n° 2015-1574 du 3 décembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1575 du 3 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vandenberghe, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique.
Une note en délibéré présentée pour M. C... a été enregistrée le 8 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a sollicité l'autorisation d'exercer la profession de marin. Il a été déclaré physiquement inapte à la navigation par une décision du 24 juin 2022 du directeur interrégional de la mer Méditerranée du ministère de la mer. M. C... a contesté cette décision devant le collège médical maritime. Par une décision du 11 octobre 2022, son inaptitude a été confirmée par le directeur interrégional de la mer Manche-Est Mer du Nord. Il relève appel du jugement n° 2204963 du 6 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative d'une demande tendant à ce qu'il prononce, à titre provisoire et conservatoire, la suspension d'une décision administrative, le juge des référés procède dans les plus brefs délais à une instruction succincte - distincte de celle au vu de laquelle le juge saisi du principal statuera - pour apprécier si les préjudices que l'exécution de cette décision pourrait entraîner sont suffisamment graves et immédiats pour caractériser une situation d'urgence, et si les moyens invoqués apparaissent, en cet état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. Il se prononce par une ordonnance qui n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée et dont il peut lui-même modifier la portée au vu d'un élément nouveau invoqué devant lui par toute personne intéressée. Eu égard à la nature de l'office ainsi attribué au juge des référés - et sous réserve du cas où il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes mêmes de l'ordonnance, qu'allant au-delà de ce qu'implique nécessairement cet office, il aurait préjugé l'issue du litige - la seule circonstance qu'un magistrat a statué sur une demande tendant à la suspension de l'exécution d'une décision administrative n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce qu'il se prononce ultérieurement sur la requête en qualité de juge du principal.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme Boyer, présidente de la quatrième chambre du tribunal administratif de Rouen, a rejeté, par ordonnance du 16 décembre 2022, la demande de suspension de la décision du 11 octobre 2022 présentée par M. C... au motif que la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'était pas remplie compte tenu de ce que l'intéressé ne justifiait ni d'un projet professionnel avéré dans le domaine de la navigation ni, par voie de conséquence, de la nécessité de disposer à brève échéance de l'autorisation sollicitée. En statuant ainsi, la juge n'est pas allée au-delà de ce qu'implique nécessairement l'office du juge des référés et n'a pas préjugé l'issue du litige. Dès lors, la circonstance que cette magistrate a siégé au sein de la formation de jugement rejetant la demande de M. C... en qualité de juge du principal ne peut être regardée comme de nature à faire douter de l'impartialité de la formation de jugement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ce principe doit être écarté.
4. En deuxième lieu, si le juge administratif peut, parallèlement à des conclusions d'annulation recevables, être saisi, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu'il prononce l'abrogation d'un acte administratif au motif d'une illégalité résultant d'un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, cette faculté n'est pas ouverte à la décision individuelle litigieuse le déclarant inapte à la profession de marin. Ainsi, M. C... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier au motif qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à ce que le tribunal prononce l'abrogation de la décision du 11 octobre 2022.
5. En troisième lieu, si M. C... soutient que le jugement attaqué est entaché d'une " erreur manifeste d'appréciation ", ce moyen est relatif au bien-fondé du jugement du 6 juin 2023 et ne relève pas d'une éventuelle irrégularité. Il doit être écarté en tant qu'il est inopérant.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Le jugement du 6 juin 2023 rejetant la demande de M. C... a statué sur la totalité des conclusions et moyens qu'il avait soulevés et y a répondu de manière suffisamment motivée, notamment en ce qui concerne le moyen relatif à la contestation du motif d'inaptitude de l'intéressé. Par suite, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier du fait d'un défaut de motivation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 11 octobre 2022 :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du décret du 11 février 2010 relatif à l'organisation et aux missions des directions interrégionales de la mer : " Le directeur interrégional de la mer exerce les compétences propres qui lui sont dévolues par (...) les textes relatifs (...) à la délivrance des titres professionnels maritimes ". Aux termes de l'article 22 du décret du 3 décembre 2015 relatif à la santé et à l'aptitude médicale à la navigation : " II. - Au vu de l'avis du collège médical maritime, le directeur interrégional de la mer prend une décision sur l'aptitude médicale à la navigation de l'intéressé, l'avis ou la préconisation contesté ".
8. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 11 octobre 2022 a été signée par Mme A... B..., cheffe du service régulation des activités et des emplois maritimes en charge notamment de la politique du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle maritime en vertu des dispositions de l'article 5.2 de l'arrêté la préfète de la région Normandie en date du 2 mai 2016 portant organisation de la direction interrégionale de la mer Manche Est-mer du Nord. Par une décision du 7 octobre 2021, le directeur interrégional de la mer Manche-Est - Mer du Nord a donné à Mme B... délégation afin de signer les décisions relevant de ses attributions. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision attaquée doit être écarté.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-6 du même code : " (...) Les dispositions du présent chapitre ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret. ". Il résulte de l'article 22 du décret du 3 décembre 2015 relatif à la santé et à l'aptitude médicale à la navigation que le président du collège médical maritime établit un procès-verbal dépourvu d'éléments relevant du secret médical et le transmet au directeur interrégional de la mer dont dépend le collège et qu'au vu de cet avis, le directeur prend une décision sur l'aptitude médicale à la navigation de l'intéressé. Par ailleurs, en vertu des dispositions des articles R. 4127-4 et R. 4127-104 du code de la santé publique, le collège médical ne peut fournir à l'autorité administrative que ses conclusions sur le plan administratif, sans indiquer les raisons d'ordre médical qui le motivent. Ainsi, et conformément aux dispositions précitées de l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et l'administration, la décision du 11 octobre 2022 relative à l'aptitude à la navigation de M. C... et qui est exclusivement fondée sur des motifs d'ordre médical, n'avait pas à être motivée. En outre, si les articles 5 et 21 du décret du 3 décembre 2015 précité précisent que le dossier médical ne peut être communiqué qu'à l'intéressé et au médecin de son choix, à sa demande ou avec son accord, M. C... n'allègue ni n'établit qu'il aurait demandé la communication de son dossier et que le directeur interrégional de la mer aurait refusé de le lui transmettre. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le collège médical maritime du Havre s'est réuni le 10 octobre 2022 pour examiner la demande de réexamen de l'aptitude médicale sollicitée par M. C.... Contrairement à ce que soutient l'appelant, ce collège était composé de cinq personnes et non d'une seule et a été présidé par le docteur E... qui occupe les fonctions de médecin chef interrégional. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée a été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière doit être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 5521-1 du code des transports : " I. Nul ne peut accéder à la profession de marin s'il ne remplit des conditions d'aptitude médicale. / II. L'aptitude médicale requise pour exercer à bord d'un navire est contrôlée à titre gratuit par le service de santé des gens de mer. (...) ". L'article 1er du décret précité du 3 décembre 2015 dispose que : " I. - L'examen d'aptitude médicale à la navigation a pour objet de s'assurer que les gens de mer, en répondant aux normes d'aptitude médicale à la navigation mentionnées à l'article 2 : / 1° Sont médicalement aptes à accomplir leurs tâches courantes en mer et les fonctions qui leur incomberaient en cas d'urgence ; / 2° Ne présentent pas d'affection susceptible d'être aggravée par le service en mer, de les rendre inaptes à ce service ou encore de mettre en danger la santé et la sécurité d'autres personnes à bord./ II. - L'examen médical mentionné au I conduit à la délivrance aux gens de mer d'un certificat d'aptitude médicale à la navigation pour une durée déterminée. " L'article 4 de ce décret dispose que : " Pour réaliser l'examen mentionné à l'article 1er, le médecin mentionné à l'article 3 prend en compte : / 1° L'état de santé de la personne, le poste de travail envisagé, la nature des tâches courantes et des gestes d'urgence que l'intéressé est appelé à accomplir et le type de navigation ; / 2° Les normes d'aptitude médicale mentionnées à l'article 2. / Il demande, le cas échéant, tous les avis complémentaires nécessaires. ".
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des seules attestations produites par l'appelant émanant d'un infirmier du centre de réhabilitation du centre hospitalier universitaire de Montpellier, qui se borne à indiquer qu'il bénéficie d'un accompagnement au sein de cette structure dans le cadre d'un projet personnel de retour à l'emploi et du docteur F... du département de psychiatrie adulte de ce centre hospitalier, qui précise que l'état de santé de l'intéressé est stabilisé et qu'il est motivé par un projet professionnel, que le directeur interrégional de la mer Manche-Est Mer du Nord aurait fait une inexacte application des dispositions précitées en considérant que M. C... est inapte à la navigation. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier qu'une mesure moins restrictive qu'une inaptitude à la navigation aurait pu être prise compte tenu de son état de santé, alors que les attestations qu'il produit se bornent à indiquer que son état est stabilisé, sans préciser que celui-ci lui permettrait d'exercer son métier de commis de cuisine en mer. Par suite, ce moyen doit être écarté.
13. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... se serait vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé. Ainsi, il ne peut utilement soutenir que la décision du 11 octobre 2022 méconnaîtrait l'obligation d'aménagement raisonnable posée par les stipulations de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.
14. En sixième lieu, si M. C... invoque la méconnaissance du principe d'égalité, il n'allègue ni n'établit qu'une personne placée dans la même situation que lui aurait bénéficié d'un traitement plus favorable. Par suite, ce moyen doit être écarté.
15. En dernier lieu, la décision du 11 octobre 2022 n'a ni pour objet ni pour effet de priver M. C... du droit de se soigner ni de mener une vie privée et familiale normale. Dès lors, et en tout état de cause, il n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait le droit à la santé et celui au respect de sa vie privée et familiale.
Sur les conclusions à fin d'abrogation de la décision du 11 octobre 2022 :
16. Eu égard à ce qu'il a été dit au point 4, et , M. C... n'est pas plus recevable en appel qu'en première instance à demander que la cour prononce l'abrogation de la décision attaquée.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 octobre 2022. Par suite, il y a lieu de rejeter ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré après l'audience publique du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°23DA01597