Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... épouse C..., son époux et sa fille ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'ordonner une expertise médicale, préalablement à l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens-Picardie sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, de condamner le CHU d'Amiens-Picardie-Picardie à leur verser une allocation provisionnelle de 7 000 euros au titre du préjudice d'impréparation qu'ils ont subi et à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique à leur verser une somme de 211 570,75 euros au titre de leurs préjudices.
Par un jugement avant-dire droit n° 2001746 du 17 mai 2023, le tribunal administratif d'Amiens a condamné le centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie à verser à Mme C... la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice d'impréparation, a, avant de statuer sur les conclusions présentées sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ordonné une expertise aux fins de préciser le taux de survenance d'une algodystrophie à la suite du type exact d'intervention subie par l'intéressée et a réservé les droits et moyens des parties avant de statuer sur le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juin 2023 et 6 mai 2024, Mme C..., représentée par Me Lautredou, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande de contre-expertise et a limité l'indemnisation de son préjudice d'impréparation à la somme de 2 000 euros ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire d'Amiens à lui verser une provision de 7 000 euros au titre du préjudice d'impréparation ;
3°) d'ordonner une contre-expertise ;
4°) de mettre à la charge du CHU d'Amiens-Picardie-Picardie une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la somme de 2 000 euros allouée par le tribunal est insuffisante pour indemniser le préjudice d'impréparation qu'elle a subi du fait du non-respect par le CHU d'Amiens-Picardie-Picardie de son devoir d'information ;
- le rapport d'expertise diligenté par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales comporte des lacunes quant à la justification erronée de l'indication thérapeutique, l'absence de mise en évidence d'une faute peropératoire ou postopératoire, une omission de rechercher si l'atteinte du nerf tibial pouvait être causée par l'anesthésie, et une analyse insuffisante des préjudices indemnisables ;
- ces lacunes nécessitent que la cour ordonne une contre-expertise.
Par un mémoire, enregistré le 9 août 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Welsh, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a limité la mission d'expertise ordonnée avant de statuer sur les conclusions présentées sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique à la seule question de l'anormalité des préjudices subis ;
2°) d'ordonner une contre-expertise.
Il soutient que :
- le rapport d'expertise diligenté par la CCI ne lui est pas opposable dès lors qu'il n'a pas participé aux opérations d'expertise ;
- il n'y a pas nécessairement de lien de causalité entre l'intervention du 11 juillet 2014 et la lésion neuropathique découverte le 24 janvier 2017 chez Mme C... et la contre-expertise devra analyser si un lien de cause à effet est établi ;
- le rapport d'expertise omet d'évoquer si les conditions d'engagement de la responsabilité au titre de la solidarité nationale sont remplies, à savoir si Mme C... aurait subi les mêmes symptômes algodystrophiques sans l'intervention du 11 juillet 2014 et quelle est la fréquence in concerto de survenue de la complication à la suite de cette intervention.
Par un mémoire, enregistré le 12 avril 2024, le centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie, représenté par la société d'avocats Le Prado et Gilbert, demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que :
- une nouvelle expertise ne présente aucune utilité ;
- les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par lettre du 11 septembre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'un moyen d'ordre public était susceptible d'être soulevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par Mme C... contestant les motifs du jugement avant-dire droit attaqué par lesquels les premiers juges ont estimé que le CHU d'Amiens-Picardie n'a pas commis de faute médicale, ces motifs ne constituant pas le soutien nécessaire du dispositif ordonnant la mesure complémentaire d'expertise.
Mme C... a présenté des observations en réponse à ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 16 septembre 2024.
Par lettre du 18 septembre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'un moyen d'ordre public était susceptible d'être soulevé d'office tiré l'irrecevabilité des conclusions incidentes de l'ONIAM tendant à remettre en cause le dispositif du jugement avant-dire droit du 17 mai 2023 ordonnant une nouvelle expertise relative à l'engagement de sa responsabilité au titre de la solidarité nationale, ces conclusions présentant un litige distinct de l'appel principal de Mme C... dirigé contre ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande de contre-expertise sollicitée en vue de l'engagement de la responsabilité pour faute du CHU d'Amiens-Picardie et qu'il lui alloue une somme insuffisante au titre de son préjudice d'impréparation.
L'ONIAM a présenté des observations en réponse à ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 20 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Roblot, substituant Me Lautredou, représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a ressenti à partir de l'année 2014 des douleurs au genou gauche. Le diagnostic de chondropathie de la patella a été posé à partir du mois de mai 2014. Après avoir subi sans résultat probant des infiltrations au genou, l'intéressée a été opérée au CHU d'Amiens-Picardie le 11 juillet 2014 afin de réaliser une transposition de la tubérosité tibiale antérieure avec section d'aileron externe. Les douleurs de la patiente n'ont pas cessé et un diagnostic d'algodystrophie a été posé à la suite d'une scintigraphie du 12 décembre 2014. À la suite de la découverte d'une allergie de Mme C... au cobalt, le matériel mis en place a été retiré au cours d'une hospitalisation en ambulatoire le 12 mars 2015. Enfin, un électromyogramme (EMG) réalisé le 20 janvier 2017 a permis de retrouver une atteinte sévère des nerfs péronier et tibial postérieur gauche. Mme C... éprouve toujours des douleurs, doit se déplacer à l'aide de cannes et a dû arrêter son travail d'assistante d'éducation.
2. La patiente a saisi, le 24 octobre 2017, la commissions de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) qui a diligenté une expertise aux docteurs Denys et Lenfant. Après avoir pris connaissance du rapport du 10 mars 2018, la CCI, dans son avis du 6 juin 2018, a rejeté la demande d'indemnisation au motif qu'aucune faute ne peut être reproché au CHU d'Amiens-Picardie et que les conditions de l'engagement de la responsabilité de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies. Mme C..., son époux et sa fille ont demandé au tribunal administratif d'Amiens, outre qu'une nouvelle expertise soit ordonnée, de condamner, d'une part, le CHU d'Amiens-Picardie à lui verser la somme de 7 000 euros en réparation de son préjudice d'impréparation et d'autre part, l'ONIAM à lui verser la somme de 211 570,75 euros en réparation des autres préjudices subis du fait de l'intervention du 11 juillet 2014. Mme C... relève appel du jugement n° 2001746 du 17 mai 2023 par lequel le tribunal a limité l'indemnisation de son préjudice d'impréparation à la somme de 2 000 euros et a ordonné, avant de statuer sur les conclusions à fin de responsabilité présentées sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, un complément d'expertise afin de préciser le taux de survenance d'une algodystrophie à la suite du type exact d'intervention qu'elle a subie.
Sur l'expertise ordonnée avant-dire droit :
3. La recevabilité des conclusions d'une requête dirigées contre un jugement en tant qu'il prescrit, avant dire-droit, une expertise est limitée à la contestation de l'utilité de cette expertise et à la contestation des seuls motifs de ce jugement qui constituent le soutien nécessaire du dispositif ordonnant cette mesure d'instruction.
4. En l'espèce, Mme C... doit être regardée comme demandant au tribunal de réformer l'article 3 du dispositif du jugement litigieux en tant que celui-ci, avant de statuer sur le fondement des seules conclusions présentées sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, se borne à prescrire une expertise tenant uniquement à préciser le taux de survenance d'une algodystrophie en cas d'une opération telle que subie par l'intéressée. Cette dernière ne saurait être regardée, eu égard à la teneur de ses écritures et notamment ses observations produites en réponse au moyen relevé d'office par la cour en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, comme demandant la réformation du même jugement en tant qu'il a implicitement mais nécessairement rejeter ses conclusions tendant à ce que soit, préalablement à l'engagement de la responsabilité pour faute du CHU d'Amiens-Picardie, ordonné la réalisation d'une nouvelles expertise, au motif de l'inutilité d'une telle mesure en l'absence de faute commise par l'établissement dans le cadre de la prise en charge médicale de l'intéressée, à l'exception de celle tenant à un défaut d'information. Ainsi, à l'appui de ses conclusions, l'appelante ne peut contester de manière recevable que les seuls motifs du jugement qui constituent le soutien nécessaire de cet article 3, soit les motifs exposés à ses points 19 et 20. Toutefois, dans le cadre de ses écritures, elle ne présente aucun moyen concernant ces motifs tout en évoquant les carences qui auraient entaché sa prise en charge au sein du CHU d'Amiens-Picardie, critiquant ainsi les motifs mentionnés aux points 8 à 13 du jugement attaqué relatif à l'absence de faute précitée, ce que l'appelante ne peut utilement faire ainsi qu'il a été dit. Par suite, eu égard aux seuls moyens soulevés par Mme C... et en l'absence de toute contestation de l'utilité de la seule expertise ordonnée et des motifs en qui constituent le fondement, ses conclusions tendant à la réformation de l'article 3 du jugement du tribunal administratif d'Amiens en date du 17 mai 2023 et à ce que la cour ordonne une nouvelle expertise doivent être rejetées.
5. Ainsi qu'il vient d'être dit, l'appel principal présenté par Mme C... tendant à remettre en cause l'article 3 du dispositif et à ce que l'expertise ordonnée par celui-ci soit étendue n'est pas recevable. Dès lors, l'appel incident de l'ONIAM qui ne tend qu'à à remettre en cause ce même article 3 est, lui-même, irrecevable. Il doit, par suite, être rejeté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier universitaire d'Amiens au titre de son devoir d'information :
6. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".
7. En application de ces dispositions, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. Il suit de là que la circonstance qu'un risque de décès ou d'invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question. En outre, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité.
8. Il est constant que Mme C... n'a pas été informée des risques que ferait peser une transposition de la tubérosité tibiale antérieure de sa rotule. Il s'ensuit que le CHU d'Amiens-Picardie ne peut être regardé comme ayant accompli, à l'égard de la requérante, son devoir d'information. Mme C... ne soutient pas qu'informée d'un tel risque elle aurait renoncé à cette intervention. Mais, ainsi qu'il vient d'être dit, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer la patiente des risques courus ouvre pour la patiente, dès lors que ces risques se sont réalisés, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'elle a subis du fait qu'elle n'a pas pu se préparer à cette éventualité. En revanche, l'appelante, qui se borne à alléguer que son préjudice est très important, n'établit pas que la somme de 2 000 euros allouée à ce titre par les premiers juges serait insuffisante.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité la condamnation du centre hospitalier universitaire d'Amiens à la somme de 2 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CHUd'Amiens qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'ONIAM sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au centre hospitalier universitaire d'Amiens et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera transmise à la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme
Délibéré après l'audience publique du 24 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de la formation
de jugement,
Signé : B. ChevaldonnetLa greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA01168