Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 24 août 2023 par lequel la préfète de l'Oise lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée.
Par un jugement n° 2303394 du 28 décembre 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2024, Mme B..., représentée par Me Tourbier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Oise en date du 24 août 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Oise de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil désigné au titre de l'aide juridictionnelle d'une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne précise pas en quoi un renvoi vers le Togo n'aurait pas des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de sa fille, que la situation de polyhandicap de celle-ci et sa prise en charge en institution n'a pas été prise en compte pour fixer la durée du délai de départ volontaire et que le défaut d'insertion qu'il mentionne n'est étayé par aucun élément de fait ;
- il est entaché d'erreur de droit dès lors qu'il ne fait pas référence aux stipulations de l'article 13 de la convention franco-togolaise du 13 juin 1996, ni n'en fait application ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que l'état de santé de sa fille nécessite une prise en charge non réalisable au Togo et dont l'absence est susceptible de l'exposer à des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'elle est parfaitement insérée à la société française, qu'elle a établi le centre de sa vie privée et familiale en France et qu'elle porte une atteinte manifeste à l'intérêt supérieur de sa fille ;
- il porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît de ce fait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle réside en France depuis cinq ans, qu'elle ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'elle parle le français, qu'elle est investie dans diverses associations et que sa fratrie se trouve en France ;
- il porte atteinte à l'intérêt supérieur de sa fille et méconnaît à ce titre les stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'il l'expose à une rupture du protocole de soins actuellement en cours en France, ce qui serait de nature à compromettre sa santé et même sa survie.
La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués à la préfète de l'Oise qui n'a pas produit de mémoire.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République togolaise relative à la circulation et au séjour des personnes (ensemble deux échanges de lettres), signée à Lomé le 13 juin 1996 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 11 septembre 1981, de nationalité togolaise, est entrée en France le 9 janvier 2018, accompagnée de sa fille mineure née le 7 mai 2014, sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires françaises à Lomé. Le 17 juillet 2020, elle a sollicité la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant malade. La préfète de l'Oise a refusé de faire droit à sa demande et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours par un arrêté du 4 janvier 2021, confirmé par un jugement n° 2100335 du 30 avril 2021 du tribunal administratif d'Amiens et un arrêt n° 21DA01186 du 22 mars 2022 de la cour administrative d'appel de Douai. S'étant toutefois maintenue sur le territoire français, elle a sollicité, le 13 juillet 2023, la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 août 2023, la préfète de l'Oise a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée. Mme B... relève appel du jugement du 28 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, l'arrêté attaqué vise et mentionne les dispositions qui constituent les fondements légaux de chacune des décisions qu'il prononce à l'encontre de Mme B.... Il comporte en outre les considérations de fait sur lesquelles la préfète a entendu se fonder pour édicter chacun d'entre elles. En particulier, contrairement à ce que soutient Mme B..., il ressort des mentions de l'arrêté que la préfète de l'Oise a pris en compte non seulement l'état de santé de sa fille et sa propre insertion sociale et professionnelle en France mais aussi les effets sur ceux-ci des différentes décisions prononcées à son encontre. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 10 de la convention franco-togolaise du 13 juin 1996 : " Pour tout séjour sur le territoire français devant excéder trois mois, les ressortissants togolais doivent posséder un titre de séjour. / (...) / Ces titres sont délivrés conformément à la législation de l'État d'accueil ". Aux termes de l'article 13 de la même convention : " Les points non traités par la présente convention sont régis par la législation interne de chaque État ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la demande de délivrance de titre de séjour présentée auprès des service de la préfecture de l'Oise, que Mme B... a sollicité son admission au séjour au titre de ses liens privés et familiaux en France. Aucune des stipulations de la convention franco-togolaise du 13 juin 1996 ne régit la délivrance aux ressortissants togolais en France d'un titre de séjour pour un tel motif. Il s'ensuit que la demande de Mme B... devait être exclusivement examinée au regard des dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'occurrence celles de l'article L. 423-23 auxquelles l'intéressée a d'ailleurs elle-même fait référence dans sa demande. C'est, dès lors, sans erreur de droit et sans entacher son arrêté d'un défaut d'examen que la préfète de l'Oise, sans qu'il lui soit besoin de faire référence à la convention franco-togolaise qui n'était pas applicable au cas d'espèce, a examiné la demande de Mme B... directement au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen soulevé en ce sens par l'intéressée doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... justifie, à la date de l'arrêté attaqué, de seulement cinq ans et demi de présence en France. Elle y est célibataire et n'y justifie d'aucune attache familiale, hormis sa fille mineure née en 2014, dont elle n'a pas vocation à être séparée par l'effet de l'arrêté attaqué, et deux frères, avec lesquels elle n'établit pas entretenir des relations d'une particulière intensité. En ce qui concerne son insertion professionnelle sur le territoire français, elle ne justifie que d'un engagement à temps partiel par un particulier employeur pour réaliser des prestations de garde d'enfants et d'entretien, dont elle retire des revenus faibles, fluctuants et en tout état de cause insuffisants pour lui procurer une autonomie financière propre à garantir son insertion. Dans le même temps, Mme B... ne serait pas isolée dans son pays d'origine où elle dispose toujours au moins de sa mère et d'une autre fille née en 2009. Elle n'établit pas davantage qu'elle ne pourrait pas se réinsérer socialement et professionnellement dans ce pays où elle a vécu la majeure partie de sa vie, jusqu'à l'âge de 36 ans, et dans lequel elle disposait d'une situation stable avant son départ pour la France. Dans ces conditions, le centre de sa vie privée et familiale ne peut être regardé comme s'étant établi en France et c'est sans méconnaître les stipulations de l'article 8 que la préfète de l'Oise a pu lui refuser la délivrance d'un titre de séjour, l'obliger à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixer le pays à destination duquel elle doit être éloignée. Le moyen soulevé en ce sens par Mme B... doit, dès lors, être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. Si la fille de Mme B... est atteinte d'une maladie génétique rare, à l'origine d'une situation de polyhandicap et de retards sévères du développement, ayant justifié sa reconnaissance comme handicapée à un taux supérieur ou égal à 80 %, il ressort des pièces du dossier que, par un avis émis le 21 septembre 2020 à l'occasion d'une précédente demande d'admission au séjour présentée sur le fondement spécifique des dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle pourra bénéficier effectivement d'un traitement approprié au Togo eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de ce pays et que son état de santé lui permet en tout état de cause de voyager sans risque. Eu égard à leur seule teneur, les justificatifs complémentaires nouvellement produits par Mme B..., notamment ceux obtenus auprès d'une officine de pharmacie et d'un distributeur de médicaments dans son pays d'origine, ne permettent pas de caractériser l'impossibilité pour sa fille de bénéficier au Togo de la prise en charge pluridisciplinaire requise par son état de santé ni que le traitement antiépileptique qui lui est prescrit ne puisse y être obtenu, sous la même forme ou via des substituts. L'arrêté attaqué n'a par ailleurs ni pour objet ni pour effet de séparer Mme B... de sa fille et de nuire à l'éducation et au développement de celle-ci. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué, en tant qu'il refuse à Mme B... la délivrance d'un titre de séjour, l'oblige à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays à destination duquel elle doit être éloignée, ne porte pas atteinte à l'intérêt supérieur de sa fille. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit, dès lors, être écarté.
9. En cinquième lieu, le moyen tiré l'erreur manifeste d'appréciation, au soutien duquel Mme B... reproduit les mêmes arguments que ceux qu'elle a développés au soutien de ses moyens tirés de la méconnaissances des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 6 et 8.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 24 août 2023 de la préfète de l'Oise. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Tourbier.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Oise.
Délibéré après l'audience publique du 24 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA00153