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16/10/2024 | FRANCE | N°23DA00373

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 16 octobre 2024, 23DA00373


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 22 août 2022 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer l'a exclue définitivement de l'école nationale de police de Roubaix.



Par une ordonnance n° 2208435 du 26 janvier 2023, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémo

ire, enregistrés le 28 février 2023 et le 15 décembre 2023, Mme C..., représentée par Me Djemaoun, demande à la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 22 août 2022 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer l'a exclue définitivement de l'école nationale de police de Roubaix.

Par une ordonnance n° 2208435 du 26 janvier 2023, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 février 2023 et le 15 décembre 2023, Mme C..., représentée par Me Djemaoun, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 26 janvier 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 22 août 2022 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de la réintégrer dans ses services dans un délai de deux semaines à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée est irrégulière dès lors qu'elle a produit un inventaire détaillé des pièces jointes à sa requête, répondant ainsi à la mesure de régularisation prise par le tribunal, que son avocat s'est constitué le 28 janvier 2023, de sorte que sa requête ne pouvait plus être rejetée comme manifestement irrecevable, et que ce rejet méconnaît les droits de la défense ;

- cette ordonnance est également irrégulière en tant qu'elle est dépourvue des signatures requises par l'article R. 741-8 du code de justice administrative ;

- l'arrêté contesté est entaché d'un vice d'incompétence ;

- cet arrêté a été pris en méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs garanti par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du principe de présomption d'innocence, et de l'obligation de neutralité des agents de l'Etat ;

- il est entaché de détournement de pouvoir ;

- il est fondé sur des faits matériellement inexacts et entaché d'erreurs de droit ;

- la sanction d'exclusion définitive est disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité de la composition de la formation de jugement qui a pris l'ordonnance du 26 janvier 2023 dès lors qu'il n'appartenait pas à la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Lille statuant seule de rejeter, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, la requête de Mme C... au motif que, celle-ci ayant produit un inventaire incomplet des pièces jointes à sa demande sans procéder à leur numérotation, cette requête ne satisfaisait pas aux conditions de recevabilité fixées par les dispositions des articles R. 412-1 et R. 412-2 du code précité, alors que ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de subordonner la recevabilité d'une requête à la production d'un inventaire précis et détaillé des pièces jointes.

Par une ordonnance du 28 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 9 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., née le 30 novembre 1987, a été recrutée comme adjointe de sécurité le 5 décembre 2016. Admise sur la liste principale du concours interne de gardien de la paix en 2018, et après plusieurs reports d'affectation pour raisons personnelles, Mme C... a été affectée le 7 décembre 2020 à l'Ecole nationale de la police de Roubaix en qualité d'élève gardien de la paix. Après que l'intéressée a été placée en garde à vue le 14 décembre 2021, le ministre de l'intérieur et des outre-mer l'a suspendue de ses fonctions le 22 décembre 2021 puis, par un arrêté du 22 août 2022, a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion définitive. Mme C... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Lille. Elle relève appel de l'ordonnance du 26 janvier 2023 par laquelle la présidente de la 3ème chambre du tribunal a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : / (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) ". Aux termes de l'article R. 412-1 du même code : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué ou, dans le cas mentionné à l'article R. 421-2, de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation. / Cet acte ou cette pièce doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagné d'une copie ". Aux termes de l'article R. 412-2 de ce code : " Lorsque les parties joignent des pièces à l'appui de leurs requêtes et mémoires, elles en établissent simultanément un inventaire détaillé. Sauf lorsque leur nombre, leur volume ou leurs caractéristiques y font obstacle, ces pièces sont accompagnées d'une copie. Ces obligations sont prescrites aux parties sous peine de voir leurs pièces écartées des débats après invitation à régulariser non suivie d'effet. / L'inventaire détaillé présente, de manière exhaustive, les pièces par un intitulé comprenant, pour chacune d'elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu'un libellé suffisamment explicite ".

3. Pour rejeter les conclusions présentées par Mme C... tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 août 2022 comme manifestement irrecevables sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Lille s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'intéressée avait produit, à l'appui de sa demande, un inventaire incomplet des pièces jointes sans procéder à leur numérotation, en méconnaissance des conditions de recevabilité fixées par les dispositions des articles R. 412-1 et R. 412-2 du code de justice administrative. Toutefois, ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de subordonner la recevabilité d'une requête à la production d'un inventaire détaillé des pièces jointes, l'article R. 412-2 prévoyant seulement la possibilité d'écarter des débats les pièces transmises sans faire l'objet d'un tel inventaire après invitation à régulariser non suivie d'effet. Par ailleurs, et en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que Mme C... a transmis au tribunal administratif, au plus tard le 1er novembre 2022, une copie complète de l'acte attaqué, conformément à l'article R. 412-1 du code de justice administrative. Dans ces conditions, la demande de Mme C..., qui ne pouvait être regardée comme manifestement irrecevable, n'entrait pas dans le champ d'application du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Il s'ensuit qu'il n'appartenait pas à la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Lille statuant seule de rejeter, sur ce fondement, la demande de Mme C.... Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens d'irrégularité soulevés par la requérante, l'ordonnance attaquée est entachée d'incompétence et doit être annulée.

4. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions d'annulation présentées par Mme C... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur la légalité de l'arrêté du 22 août 2022 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, dans sa version applicable à la date de l'arrêté attaqué : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / (...) / 2° Les (...) directeurs adjoints (...) ".

6. Par un arrêté du 22 juin 2022, publié au Journal officiel le 26 juin suivant, M. D... B... a été nommé directeur adjoint des ressources et des compétences de la police nationale, à Paris, pour une durée de trois ans à compter du 1er juillet 2022. Ainsi, M. B... était compétent pour signer, au nom du ministre, l'arrêté du 22 août 2022 infligeant la sanction d'exclusion définitive du service à Mme C.... Le moyen tiré d'une incompétence de l'auteur de l'acte attaqué doit être écarté.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir appris la garde à vue dont Mme C... a fait l'objet le 14 décembre 2021, le sous-directeur du recrutement et des dispositifs promotionnels de la direction générale de la police nationale a envisagé, dans un courriel adressé le 17 décembre 2021, la possibilité pour la procureure de la République au tribunal judiciaire d'Evry de placer l'intéressée sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer ses fonctions, permettant ainsi son exclusion du service sans rémunération, au contraire d'une mesure administrative de suspension impliquant le maintien de cette rémunération. Si Mme C... met en cause la teneur de ce courriel, dans lequel elle voit une méconnaissance de la présomption d'innocence et des principes de séparation des pouvoirs, de neutralité et de loyauté de la preuve, la démarche entreprise par l'administration auprès de l'autorité judiciaire se rapporte à la gestion de sa situation financière au cours de la procédure disciplinaire et est sans rapport avec la régularité de cette procédure ou la légalité de la sanction attaquée. Au demeurant, la requérante a fait l'objet d'une mesure de suspension le 22 décembre 2021, avec le maintien de son traitement. Dans ces conditions, les moyens se rapportant à la contestation du courriel du 17 décembre 2021 doivent être écartés comme inopérants.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article 10 du décret du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'Etat et de ses établissements publics : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées au fonctionnaire stagiaire sont : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'exclusion temporaire, avec retenue de rémunération à l'exclusion du supplément familial de traitement, pour une durée maximale de deux mois ; / 4° Le déplacement d'office ; / 5° L'exclusion définitive de service ".

9. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a décidé l'exclusion définitive de Mme C... au motif qu'elle a publié sur un réseau social, à la fin de l'été 2021, des messages inappropriés sur ses difficultés professionnelles, qu'elle a servi d'intermédiaire pour la fourniture de fausses attestations de certification contre le covid-19, ou " passe sanitaire ", en octobre et novembre 2021, et qu'elle a omis d'alerter sa hiérarchie de son interpellation et de sa garde à vue survenues le 14 décembre 2021. Mme C... soutient, sans être contredite par le ministre, n'avoir jamais publié de messages sur sa situation professionnelle. En revanche, il n'est pas sérieusement contesté par la requérante que l'administration a été informée de son interpellation et de sa garde à vue par l'autorité judiciaire, et non par l'intéressée. En outre, il ressort suffisamment des éléments produits par le ministre, notamment le dossier disciplinaire de la requérante, que celle-ci a procuré des fausses attestations de vaccination, avec le concours d'une de ses connaissances, à sa sœur et à un voisin au cours des mois d'octobre et novembre 2021. Dans son jugement du 9 juin 2023, le tribunal correctionnel d'Evry-Courcouronnes, qualifiant les faits reprochés à Mme C... de recel de faux documents administratifs, a constaté que ceux-ci avaient été transmis par son intermédiaire. Dans ces conditions, si le tribunal correctionnel l'a dispensée de peine au motif qu'elle avait eu un rôle mineur dans cette transmission, il ne s'en déduit pas que les faits retenus sur ce point par l'administration seraient entachés d'inexactitude matérielle. Ces faits, commis par une élève gardien de la paix se destinant à une carrière dans la police nationale, sont de nature à jeter le discrédit sur l'administration, présentent un caractère fautif et appellent une sanction. Ni les félicitations reçues par Mme C... dans ses fonctions antérieures d'agent de sécurité, ni les difficultés professionnelles qu'elle indique avoir rencontrées au cours de sa formation, ne sont de nature à atténuer la gravité des faits se rapportant à la fourniture de fausses attestations de vaccination qui suffisent, à eux seuls, à justifier une exclusion définitive du service. Par suite, compte tenu de la nature et de la particulière gravité des faits reprochés, l'autorité disciplinaire n'a pas pris une sanction disproportionnée en infligeant à Mme C..., au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, la sanction la plus élevée prévue par le décret du 7 octobre 1994.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Lille ne peut qu'être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées en appel à fin d'injonction et sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance de la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Lille n° 2208435 du 26 janvier 2023 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Lille, ainsi que ses conclusions présentées en appel à fin d'injonction et sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience publique du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. ViardLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 23DA00373


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00373
Date de la décision : 16/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : DJEMAOUN

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-16;23da00373 ?
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