Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 11 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de certificat de résidence, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination.
Par un jugement n° 2302601 du 10 novembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions du 11 avril 2023 faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de destination, a enjoint au préfet compétent de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé dans un délai d'un mois suivant sa notification et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 novembre 2023 en tant qu'il annule sa décision du 11 avril 2023 faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français ;
2°) de rejeter la demande de M. B... tendant à l'annulation de cette décision.
Le préfet soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a retenu que sa décision faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français méconnaissait les dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors, premièrement, que le comportement de ce dernier est constitutif d'une menace à l'ordre public, deuxièmement, qu'il ne peut être tenu compte dans la détermination de la présence en France de l'intéressé de ses périodes d'incarcération et, troisièmement, qu'il n'est pas établi que M. B... soit resté effectivement sur le territoire français depuis son entrée en France.
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2024, M. A... B..., représenté par Me Mukendi Ndonki, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 novembre 2023 en tant qu'il rejette ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 11 avril 2023 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de certificat de résidence ;
2°) de rejeter la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime et de confirmer le jugement du 10 novembre 2023 en tant qu'il annule les décisions du 11 avril 2023 portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, ou, à titre subsidiaire, de lui délivrer, dans l'attente du réexamen de sa situation, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à verser à son conseil la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou, à titre subsidiaire, de le condamner à lui verser directement cette somme,
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de certificat de résidence :
- elle est insuffisamment motivée,
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle,
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dans la qualification de son comportement en menace à l'ordre public,
- elle méconnaît les stipulations des articles 6-1 et 6-5 de l'accord franco-algérien modifié,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation par le préfet au regard de son pouvoir de régularisation.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- les éléments retenus par le jugement attaqué relativement à sa durée de présence en France justifient l'annulation de la décision d'éloignement en date du 11 avril 2023 pour méconnaissance des dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- cette décision est par ailleurs illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour,
- elle méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 611-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français,
- elle est insuffisamment motivée.
Par ordonnance du 27 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juillet 2024.
Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. B... le 14 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié,
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Thulard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 24 janvier 1983, déclare être entré en France au cours de l'année 1989, alors qu'il était mineur. A sa majorité, l'intéressé s'est vu délivrer un certificat de résidence de dix ans, valable jusqu'au 7 juin 2011, puis, compte tenu de ses condamnations pénales, un certificat de résidence d'un an, renouvelé jusqu'au 7 juin 2013. Par courrier du 29 novembre 2021, reçu le 15 décembre suivant, M. B... a sollicité un certificat de résidence sur le fondement des articles 6-1 et 6-5 de l'accord franco-algérien modifié susvisé. Par un arrêté du 11 avril 2023, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination.
2. M. B... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Rouen qui, par un jugement du 10 novembre 2023, a rejeté ses conclusions à fin d'annulation du refus de certificat de résidence qui lui avait été opposé et a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination.
3. Le préfet de la Seine-Maritime interjette appel de ce jugement en tant qu'il annule sa décision portant obligation de quitter le territoire français. M. B..., dont la demande d'aide juridictionnelle a été présentée dans le délai d'appel et dont le mémoire du 7 juin 2024, faute de tout élément permettant d'établir la date à laquelle il a reçu notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle, doit être regardé comme ayant été présenté dans ce délai, interjette pour sa part appel du jugement du 10 novembre 2023 en tant qu'il rejette ses conclusions à fin d'annulation du refus de certificat de résidence qui lui a été opposé le 11 avril 2023.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien modifié susvisé : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. / Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / 1) au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant / (...) / 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; / (...) ".
5. Ces stipulations ne privent pas l'autorité compétente du pouvoir qui lui appartient de refuser à un ressortissant algérien la délivrance d'un certificat de résidence d'un an lorsque sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public.
6. Il résulte de la motivation de l'arrêté du 11 avril 2023 que le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à la demande de certificat de résidence déposée par M. B... sur le fondement du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien modifié au seul motif de la menace à l'ordre public que constituerait sa présence en France. Pour caractériser une telle menace, il ressort des pièces du dossier qu'il s'est fondé sur une condamnation qui aurait été prononcée le 22 mai 2023 à l'encontre de l'intéressé pour des faits de vol. Toutefois, M. B... a contesté dans ses écritures en appel avoir fait l'objet d'une condamnation à cette date, sans que le préfet n'apporte le moindre élément en réplique. Dans ces conditions, les faits qui peuvent être reprochés à M. B... consistent en des condamnations qui ont été prononcées en 2002, 2003, 2004, 2006, 2007 et 2010, pour de faits de violence, d'outrage, d'escroquerie et d'usage illicite de stupéfiants, soit il y a entre douze et vingt-et-un ans à la date de la décision contestée. Une dernière condamnation, antérieure de plus de cinq ans à la date de la décision de refus de certificat de résidence contestée, est intervenue le 23 mars 2018 mais elle est relative à des faits de port d'arme de catégorie D sans motif légitime et a consisté en une simple amende d'un montant de 300 euros. Aucun autre fait récent, pouvant être établis par des signalements ou des rappels à la loi, n'a été rapporté par le préfet de la Seine-Maritime ni ne ressort des pièces du dossier. Ainsi, pour répréhensible qu'ait pu être le comportement de M. B... au cours des années 2000, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date du 11 avril 2023, sa présence en France constituait une menace actuelle pour l'ordre public. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime a entaché sa décision de refus de certificat de résidence attaquée d'une erreur dans l'appréciation de son comportement au regard de l'ordre public.
7. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 11 avril 2023 refusant de lui délivrer un certificat de résidence.
8. Pour ce seul motif et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête d'appel de M. B..., il y a lieu d'annuler cette décision ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de destination.
9. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à se plaindre que le jugement qu'il conteste a annulé sa décision du 11 avril 2023 obligeant M. B... à quitter le territoire français et sa requête d'appel doit être rejetée.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Eu égard au motif qui le fonde, le présent arrêt implique seulement d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de cette notification.
Sur les frais de l'instance :
11. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et, sous réserve que l'avocat de M. B... renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Mukendi Ndonki.
DECIDE :
Article 1er : La décision du 11 avril 2023 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer un certificat de résidence à M. B... est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de cette notification.
Article 3 : Le jugement du 10 novembre 2023 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Mukendi Ndonki, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Mukendi Ndonki renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. B... est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de la Seine-Maritime, à M. A... B... et à Me Mukendi Ndonki.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°23DA02222