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10/10/2024 | FRANCE | N°23DA01017

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 10 octobre 2024, 23DA01017


Vu la procédure suivante :



Procédure antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Eure l'a obligé à quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de destination, d'enjoindre au préfet, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour pluriannuelle dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, et subsidiairement de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, de lui délivrer une autorisation

provisoire de séjour dans le délai de huit jours à compter du jugement à intervenir et de mett...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2022 par lequel le préfet de l'Eure l'a obligé à quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de destination, d'enjoindre au préfet, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour pluriannuelle dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, et subsidiairement de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de huit jours à compter du jugement à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat à titre principal, une somme de 1 600 euros hors taxes à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et à titre subsidiaire, la même somme à lui verser directement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2205194 du 11 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de l'Eure de délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire " à M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. A..., sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive .

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 juin 2023, le préfet de l'Eure demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Il soutient que le refus de titre est motivé par la menace à l'ordre public voire la menace sérieuse à l'ordre public que constitue M. A....

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2024, M. A..., représenté par Me Vincent Souty, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros hors taxes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le refus d'octroi d'un titre de séjour à un protégé subsidiaire en cas de " raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre public " posé par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 n'a pas fait l'objet d'une transposition dans le droit national, le législateur a bien entendu octroyer une réserve d'appréciation de la menace à l'ordre public au profit exclusif de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile , s'agissant des cas de retraits de la protection subsidiaire, le préfet était donc en situation de compétence liée pour délivrer une carte de séjour ;

- le refus de titre et la décision portant obligation de quitter le territoire français sont entachés d'erreur de fait ;

- ces décisions sont insuffisamment motivées ;

- ces décisions sont entachées de défaut d'examen et de défaut de saisine de la commission du titre de séjour ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la directive .

Par une décision du 26 septembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Douai a maintenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle à M. A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente,

- les conclusions de M. Stéphane Eustache, rapporteur public,

- et les observations de Me Souty, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan, a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire le 27 mars 2014. Par une décision du 13 juin 2018, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lui a retiré le bénéfice de cette protection. La Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision le 2 mars 2022. M. A... a, à la suite de l'arrêt de la Cour nationale du droit d'asile, demandé le renouvellement de son titre de séjour en qualité de bénéficiaire de la protection subsidiaire. Par un arrêté du 19 décembre 2022, le préfet de l'Eure a rejeté cette demande, a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Saisi par M. A..., le tribunal administratif de Rouen, par un jugement du 11 mai 2023, a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de l'Eure de délivrer à l'intéressé une carte de séjour pluri annuelle portant la mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de l'Eure relève appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui a obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de protection subsidiaire en application du présent livre se voit délivrer un titre de séjour dans les conditions et selon les modalités prévues au chapitre IV du titre II du livre IV. ". Aux termes de l'article L. 424-9 du même code, qui prend place dans le chapitre IV intitulé " titres de séjour accordés aux bénéficiaires d'une protection internationale (articles L424-1 à L. 424-21) " du titre II du livre IV : " L'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire se voit délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire " d'une durée maximale de quatre ans. (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 432-1 qui prend place dans le livre IV, titre III " procédure administrative " et dans le chapitre II " refus et retrait des titres de séjour " du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 412-5 de ce même code qui prend place dans le dans le livre IV, titre I " dispositions générales " et dans le chapitre II: " conditions générales de séjour ", " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". ".

4. Les dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2 font un lien entre le livre V " droit d'asile et autres protections internationales " du même code qui est consacré à l'octroi d'une protection internationale et le livre IV " séjour en France " où les articles L. 410-1 à L. 446-5 sont, eux, relatifs à la délivrance des visas et titres de séjour requis en France. Le renvoi opéré par cet article L. 561-1 au chapitre IV du titre II du livre IV du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile quant aux conditions et modalités de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire " ne saurait faire obstacle à l'application ni des dispositions de l'article L. 432-1, ni de celles de l'article L. 412-5 du même code, qui sont des dispositions d'ordre général qui ont vocation à s'appliquer à tous les titres de séjour qu'elles mentionnent, y compris à la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire ". M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'autorité préfectorale serait en situation de compétence liée pour délivrer un titre de séjour au bénéficiaire d'une protection internationale.

5. L'arrêté du19 décembre 2022 relève que M. A... a été condamné le 1er août 2016 à 300 euros d'amende pour conduite sans permis et sans assurance, le 29 août 2016 à deux mois de prison avec sursis pour des faits identiques, le 14 novembre 2016 à trois mois de prison avec sursis pour outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique et menace de crime ou délit contre les personnes à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, le 16 novembre 2026 à trois cents euros d'amende pour conduite d'un véhicule sans permis et sans assurance et le 25 août 2017 à dix mois de prison pour escroquerie, menace et outrage à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, dégradation de bien public. Par cet arrêté, le préfet de l'Eure, estimant que M. A... représentait une menace pour l'ordre public, lui a refusé, sur le fondement de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le renouvellement de son titre de séjour en qualité de bénéficiaire de la protection subsidiaire. Devant la cour, le préfet souligne que l'article L. 412-5 du même code lui permettait également de prendre une telle décision de refus.

6. Toutefois, aux termes de l'article 24 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 : " (...). / 2. Dès que possible après qu'une protection internationale a été octroyée, les États membres délivrent aux bénéficiaires du statut conféré par la protection subsidiaire et aux membres de leur famille un titre de séjour valable pendant une période d'au moins un an et renouvelable pour une période d'au moins deux ans, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre public ne s'y opposent. ".

7. Tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires

8. La directive du 13 décembre 2011, dont le délai de transposition a expiré le 21 décembre 2013, a été transposée en droit interne par la loi n°2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l'asile. Toutefois, si la loi a modifié l'ancien article L. 313-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle n'a pas complétement assuré la transposition de la directive en laissant subsister la possibilité offerte par le 1° de cet article de refuser la délivrance d'un titre de séjour au bénéficiaire de la protection subsidiaire pour une absence de " menace pour l'ordre public ", comme le prévoit encore l'actuel article L. 412-5 du même code. Or, il résulte clairement de l'article 24 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, que seule une raison impérieuse de sécurité nationale ou d'ordre public peut s'opposer à la délivrance d'un titre de séjour au bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire. Les dispositions de cet article sont inconditionnelles et suffisamment précises et peuvent être invoquées par un justiciable à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, comme le fait M. A... dans son mémoire en défense devant la cour. Les dispositions des articles L. 432-1 et L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce qu'elles permettent le refus de délivrance d'un titre de séjour au bénéficiaire de la protection subsidiaire pour une menace simple à l'ordre public, qui est une exigence moins favorable pour l'intéressé que ce que prévoit la directive, sont donc incompatibles avec les objectifs de l'article 24 de la directive 2011/95/UE et ne sauraient permettre à l'autorité préfectorale de refuser la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire ", sauf à démontrer que des raisons impérieuses liées à l'ordre public le justifient.

9. Le préfet de l'Eure fait valoir que des raisons impérieuses à l'ordre public justifient le refus de titre de séjour opposé à M. A... et doit être regardé comme ayant demandé à la cour une substitution de motif en ce sens. Outre les troubles à l'ordre public mentionnés par l'arrêté et décrits au point 5, le préfet fait valoir dans sa requête que M. A... aurait commis en 2015 des infractions à la législation sur les stupéfiants, un vol et en 2018, des violences sur conjoint, qui n'ont pas donné lieu à des condamnations, que son profil sur un réseau social comprend notamment des photographies d'armes automatiques et, que lors de son audition du 23 août 2017, il a proféré des menaces de mort contre les forces de l'ordre et tenu des propos violents à l'encontre de la France et de ses autorités. Cependant, dans son arrêt du 2 mars 2022, la Cour nationale du droit d'asile relève " l'ancienneté des infractions constitutives d'une atteinte à l'autorité de l'État et l'absence de condamnation postérieure à ces faits, datant de près de cinq ans ", que " l'intéressé n'est pas radicalisé et n'a pas suscité d'inquiétude ou de remontée d'information particulière durant ses périodes d'incarcération. Les rapports de détention (...) indiquent, au contraire, qu'il a adopté, lors de ses détentions, un comportement correct et respectueux ", et qu'il a entrepris des démarches de réinsertion. Ces éléments ne permettent pas de considérer que des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l'ordre public justifient le refus de renouvellement titre de séjour de M. A.... Dans ces conditions, le préfet de l'Eure n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen, par un jugement du 11 mai 2023, a annulé son arrêté du 19 décembre 2022 et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une carte de séjour pluri annuelle portant la mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Souty, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Souty une somme de 1 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Eure est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Souty une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Souty renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... A... et à Me Vincent Souty.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Eure.

Délibéré après l'audience publique du 26 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M.Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2024.

La présidente-assesseure,

Signé : I. LegrandLa présidente de chambre,

Présidente-rapporteure

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA01017 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01017
Date de la décision : 10/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : SOUTY

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-10;23da01017 ?
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