Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2204656 du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de le munir dans un délai de quinze jours d'un récépissé l'autorisant à exercer une activité professionnelle, et a mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 mai 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'apportait pas la preuve que l'identité et la date de naissance de M. C... n'étaient pas établies ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été méconnu ;
- le refus de titre de séjour n'a pas été pris en méconnaissance des articles L. 111-6 et L. 432-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni de l'article 47 du code civil.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2024, M. C..., représenté par Me Lepeuc, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par préfet de la Seine-Maritime ne sont pas fondés ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.
Par une ordonnance du 9 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juillet 2024.
M. C... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 juin 2023, rectifiée le 7 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. M. C..., ressortissant de la République du Congo, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 4 octobre 2018. S'étant déclaré mineur, il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime. Le 4 juin 2021, il a sollicité du préfet de la Seine-Maritime la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 28 avril 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à cette demande, a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de le munir dans un délai de quinze jours d'un récépissé l'autorisant à exercer une activité professionnelle et a mis une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des frais de l'instance. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ". L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son état civil, M. C... a présenté, à l'appui de sa demande, les réquisitions 4 juin 2018 du procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Pointe-Noire (Congo) aux fins de déclaration tardive de naissance, une copie d'acte de naissance délivré 26 novembre 2021, ainsi qu'un passeport congolais établie le 19 mars 2021, attestant d'une naissance le 21 mai 2003.
6. Les réquisitions aux fins de déclaration tardive de naissance et l'acte de naissance présentés par l'intéressé ont fait l'objet d'un examen technique documentaire par la cellule zonale de la fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Seine-Maritime et ont donné lieu, le 11 janvier 2022, à deux rapports d'un brigadier de police, analyste en fraude documentaire et à l'identité, produits pour la première fois en appel.
7. Pour écarter la force probante de ces documents, le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé sur l'avis des services de la police aux frontières qui a relevé, s'agissant des réquisitions du procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Pointe-Noire en date du 4 juin 2018, que le timbre humide apposé, de mauvaise qualité, ne comportait pas la devise de la République du Congo. Au demeurant, cette réquisition, qui a été rendue sur le fondement de la requête du père de M. C..., enregistrée le 1er juin 2018, soit près de quinze ans après la naissance alléguée de l'intimé, sans que l'intéressé n'apporte d'élément pour justifier cette déclaration tardive. Elle ne vise en outre aucun des documents requis par l'article 45 du code de la famille congolais devant normalement être produits à l'appui de la demande du déclarant. Au surplus, une telle inscription tardive ne pouvait au surplus intervenir, selon les dispositions de l'article 80 du code de la famille congolais, qu'après qu'ait été produit un certificat de non-inscription de l'acte, document dont la réquisition ne fait pas mention.
8. S'agissant de l'acte de naissance du 26 novembre 2021 produit par M. C..., et établi sur le fondement de cette déclaration tardive de naissance, le service de la police aux frontières a relevé l'utilisation sur ce document d'un timbre fiscal contrefait en raison de ses modalités d'impression ainsi que la mauvaise qualité du timbre humide utilisé dont les caractères sont irréguliers.
9. Au regard de la nature et de l'importance des diverses anomalies dont il est fait état ci-dessus, propres à renverser la présomption d'authenticité résultant de l'article 47 du code civil, et que ne sont pas sérieusement combattues par M. C..., le préfet de la Seine-Maritime, a pu légalement écarter comme dépourvus de valeur probante la déclaration tardive de naissance et l'acte de naissance produits par l'intimé et considérer qu'ils ne faisaient pas foi des éléments d'état civil qui y sont mentionnés.
10. Si M. C... se prévaut également d'un passeport congolais, délivré le 19 mars 2021, ce document, qui ne constitue pas un acte d'état civil, n'est pas de nature à justifier de son identité dès lors qu'il a été établi sur le fondement de documents non probants.
11. Compte tenu de ce qui vient d'être dit quant à l'absence de justification de l'état civil de l'intéressé, le préfet de la Seine-Maritime a pu légalement estimer, pour refuser de lui délivrer un titre de séjour, que M. C... ne remplissait pas la condition fixée par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tenant au placement de l'étranger auprès du service de l'aide sociale au plus tard le jour de ses seize ans. Au surplus, M. C..., dont les bulletins scolaires font état de manière récurrente d'un manque d'assiduité, ne justifie pas du caractère réel et sérieux de la formation qu'il suit en vue de l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle d'électricien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
12. Il suit de là que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 28 avril 2022 refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. C..., l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination au motif que l'intéressé remplissait l'ensemble des conditions posées par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés M. C... :
14. En premier lieu, par un arrêté du 29 août 2022, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture et aisément accessible sur internet, le préfet de la Seine-Maritime a donné délégation de signature à M. E... B..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, les décisions litigieuses. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.
15. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... ait présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet n'a pas davantage examiné d'office sa demande sur ce fondement. Par suite, M. C... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de cet article à l'appui de sa contestation de la décision de refus de titre de séjour litigieuse.
16. En troisième lieu, M. C..., qui déclare être entré le 4 octobre 2018 sur le territoire français où il a bénéficié d'une prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime en qualité de mineur étranger isolé, qui prépare un certificat d'aptitude professionnelle en qualité d'électricien et a obtenu à ce titre un contrat d'apprentissage, se prévaut du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation et des liens amicaux qu'il a noués en France. Toutefois, l'intéressé, célibataire et sans charge de famille, ne justifie pas de liens personnels intenses et stables en France et n'établit pas davantage être dépourvu de toute attache privée ou familiale au Congo où il a vécu pour l'essentiel, et où vivent les membres de sa famille avec lesquels il n'établit pas avoir rompu tout lien. En outre, M. C..., dont les bulletins de notes font état d'un manque d'assiduité, ne justifie pas du caractère sérieux de sa formation. Dans ces conditions, compte tenu notamment de la durée du séjour en France de l'intéressé et même s'il y dispose d'un contrat d'apprentissage, la décision attaquée ne porte pas au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite et en tout état de cause, le préfet n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. C... doit être écarté.
18. En dernier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour ni que la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 28 avril 2022, lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à M. C... et, dans l'attente, de le munir d'un récépissé l'autorisant à exercer une activité professionnelle et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.
20. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de cet arrêté, celles aux fins d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2204656 du 13 avril 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de la Seine-Maritime, à M. D... C... et à Me Marie Lepeuc.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. A...La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA00841