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02/10/2024 | FRANCE | N°23DA01692

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 octobre 2024, 23DA01692


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 10 octobre 2019 par laquelle le président du conseil régional des Hauts-de-France a refusé de lui verser la rémunération correspondant aux heures supplémentaires qu'il a effectuées entre le 1er janvier 2014 et le 10 octobre 2019, et de condamner la région Hauts-de-France à lui verser la somme de 983 588,65 euros ou, à défaut, celle de 876 132,09 euros en paiement de ses heures supplémentair

es et la somme de 60 000 euros en réparation de son préjudice moral.



Par un ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 10 octobre 2019 par laquelle le président du conseil régional des Hauts-de-France a refusé de lui verser la rémunération correspondant aux heures supplémentaires qu'il a effectuées entre le 1er janvier 2014 et le 10 octobre 2019, et de condamner la région Hauts-de-France à lui verser la somme de 983 588,65 euros ou, à défaut, celle de 876 132,09 euros en paiement de ses heures supplémentaires et la somme de 60 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1910559 du 23 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 août 2023 et le 21 juin 2024, M. A..., représenté par Me Ferrand, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 juin 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 10 octobre 2019 ;

3°) de condamner la région Hauts-de-France à lui verser, d'une part, la somme de 974 490,95 euros ou, à défaut, celle de 876 132,09 euros en rémunération de ses heures supplémentaires, et, d'autre part, la somme de 60 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

4°) de mettre à la charge de la région Hauts-de-France une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'article 2 du décret du 19 mai 2005 relatif aux modalités de la rémunération ou de la compensation des astreintes et des permanences dans la fonction publique territoriale méconnaît les objectifs de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 en tant qu'il limite le temps de travail de l'agent en situation d'astreinte aux seules interventions sans tenir compte des contraintes qui lui sont imposées, susceptibles d'affecter sa faculté de se consacrer à ses propres intérêts lorsqu'il n'est pas sollicité ;

- il a l'obligation de demeurer à son domicile, dans lequel il est logé par nécessité absolue de service, afin d'être disponible en permanence à l'égard de l'employeur et pouvoir réagir face aux interventions imprévues et urgentes en utilisant le téléphone, des logiciels et des sites d'information et en remplaçant des agents absents, de sorte que le temps passé sous régime d'astreinte doit être considéré comme du temps de travail ;

- il est conduit au cours de ses périodes d'astreinte à intervenir loin de son domicile, auprès de divers ouvrages à Calais et sur le site de Boulogne-sur-Mer ;

- les interventions qui lui sont demandées sont fréquentes et génèrent des contraintes telles qu'il n'est pas en mesure d'organiser librement son temps d'activité pendant ses périodes d'astreinte ;

- il a droit à la rémunération des heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale de travail, soit 133 heures par semaine correspondant à la différence entre le nombre d'heures que compte une semaine et cette durée légale ;

- cette rémunération s'établit pour la période de janvier 2014 à octobre 2019, après déduction des onze semaines de congés qu'il a pu prendre effectivement et des heures supplémentaires effectivement rémunérées, à la somme de 974 490,95 euros ;

- ce montant doit être ramené à la somme de 885 229,79 euros dans l'hypothèse où il conviendrait de déduire le nombre de jours de congés allégués par la collectivité ;

- il justifie d'un préjudice moral évalué à la somme de 60 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2024, la région Hauts-de-France, représentée par Me Schmidt-Sarels, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le droit à rémunération revendiqué par le requérant est prescrit pour la période antérieure au 1er janvier 2015 ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 16 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 25 juin 2024.

La région Hauts-de-France a présenté un mémoire le 16 juillet 2024, après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le décret n° 2005-542 du 19 mai 2005 ;

- le décret n° 2012-752 du 9 mai 2012 ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 mars 2021 D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija, aff. C-344/19 et R.J. c/ Stadt Offenbach am Main, aff. C-580/19 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Avonture-Herbaut, représentant la région Hauts-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., technicien de la fonction publique territoriale, exerce son activité à la direction de la mer, des ports et du littoral de la région des Hauts-de-France, dans laquelle il a successivement occupé les fonctions d'agent d'exploitation, de coordinateur d'atelier puis, depuis le 18 mai 2015, de responsable d'un centre d'exploitation au port de Calais. Il a bénéficié de la concession d'un logement par nécessité absolue de service du 1er décembre 2006 au 1er août 2021. Estimant que l'ensemble de ses heures de travail ne lui avaient pas été payées, M. A... a saisi son employeur le 2 juillet 2019 afin d'obtenir le règlement d'heures supplémentaires et l'indemnisation de divers préjudices résultant selon lui du régime d'astreinte permanente auquel il est soumis, y compris pendant les périodes de congés et de repos. Sa demande a été rejetée par une décision du président du conseil régional du 10 octobre 2019. M. A... a saisi le tribunal administratif de Lille afin d'obtenir l'annulation de cette décision de rejet et la condamnation de la région à lui verser la somme de 983 588,65 euros à titre principal ou celle de 876 132,09 euros à titre subsidiaire, en règlement des heures supplémentaires non payées, ainsi que la somme de 60 000 euros en réparation de son préjudice moral. Par un jugement du 23 juin 2023, le tribunal administratif a rejeté la demande de M. A... qui en relève appel et réitère devant la cour l'ensemble de ses conclusions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, l'article 5 du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale prévoit que l'organe délibérant de la collectivité détermine les cas dans lesquels il est possible de recourir à des astreintes, les modalités de leur organisation et la liste des emplois concernés. Aux termes de l'article 1er du décret du 19 mai 2005 relatif aux modalités de la rémunération ou de la compensation des astreintes et des permanences dans la fonction publique territoriale : " Conformément aux articles 5 et 9 du décret du 12 juillet 2001 susvisé, bénéficient d'une indemnité non soumise à retenue pour pension ou, à défaut, d'un repos compensateur certains agents des collectivités territoriales et des établissements publics en relevant : / 1° Lorsqu'ils sont appelés à participer à une période d'astreinte ; / 2° Lorsque des obligations liées au travail imposent à un agent de se trouver sur son lieu de travail habituel, ou en un lieu désigné par son chef de service, pour nécessité de service, sans qu'il y ait travail effectif ou astreinte ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle l'agent, sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'administration, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif ainsi que, le cas échéant, le déplacement aller et retour sur le lieu de travail (...) ".

3. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts du 9 mars 2021 D.J c/ Radiotelevizija Slovenija et RJ c/ Stadt Offenbach am Main (aff. C-344/19 et C-580/19), exception faite de l'hypothèse particulière relative au congé annuel payé, visée à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, cette directive se borne à réglementer certains aspects de l'aménagement du temps de travail afin d'assurer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s'appliquer à la rémunération des travailleurs, laquelle relève des dispositions pertinentes du droit national. Cette directive ne s'oppose par conséquent pas à l'application d'une réglementation d'un Etat membre, d'une convention collective de travail ou d'une décision d'un employeur qui, aux fins de la rémunération d'un service de garde, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n'est accompli, même lorsque ces périodes doivent être considérées, dans leur intégralité, comme du " temps de travail " pour l'application de cette directive.

4. Il résulte de ce qui précède que M. A... ne peut utilement invoquer l'incompatibilité de l'article 2 du décret du 19 mai 2005, dont l'unique objet est de déterminer les modalités d'indemnisation des agents effectuant des astreintes et des permanences dans la fonction publique territoriale, avec les objectifs de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003. Le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 2 du décret du 19 mai 2005 méconnaissent ces objectifs ne peut donc qu'être écarté.

5. En second lieu, aux termes de l'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales (...) sont fixées par la collectivité (...), dans les limites applicables aux agents de l'Etat, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature, applicable aux agents de la fonction publique territoriale en vertu de l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ". Il résulte des dispositions de l'article 2 du décret du 19 mai 2005, citées au point 2, que si, pendant une période d'astreinte, l'agent n'est pas à la disposition permanente et immédiate de son employeur, il a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer son service.

6. La circonstance que l'employeur mette à la disposition des agents, pour les périodes d'astreinte, un logement situé à proximité ou dans l'enceinte du lieu de travail, pour leur permettre de rejoindre le service dans les délais requis, n'implique pas que le temps durant lequel un agent bénéficie de cette convenance soit qualifié de temps de travail effectif, dès lors que cet agent n'est pas à la disposition permanente et immédiate de son employeur et peut, en dehors des temps d'intervention, vaquer librement à des occupations personnelles.

7. Logé par nécessité absolue de service, M. A... soutient qu'il a l'obligation de rester à son domicile à la disposition de son employeur afin d'intervenir à tout moment, de sorte que ses années de service accomplies sous un régime d'astreinte de janvier 2014 à octobre 2019 doivent être intégralement considérées comme du temps de travail effectif, à l'exception des congés dont il a pu effectivement bénéficier. Toutefois, si le requérant produit une fiche de poste dont il ressort que son emploi de responsable du centre d'exploitation exige une " disponibilité permanente ", ni la circonstance qu'il soit soumis à un régime d'astreinte, ni celle qu'il bénéficie d'un logement concédé par nécessité absolue de service n'impliquent que les périodes d'astreinte soient comptabilisées comme du temps de travail effectif. Il ressort des pièces du dossier que le logement concédé gratuitement est situé à proximité immédiate du lieu de travail de M. A..., ce qui lui permet de s'adonner à ses occupations personnelles lorsqu'il n'est pas sollicité pour une intervention. D'après le tableau de ses interventions, lequel au demeurant ne porte que sur la période de septembre 2019 à janvier 2020, M. A... intervient pendant ses astreintes essentiellement par voie téléphonique, en consultant, en cas de sollicitation, des logiciels et sites d'informations permettant de vérifier la situation météorologique ou le niveau des eaux. Si, dans le cadre de ses astreintes, M. A... soutient devoir procéder immédiatement au remplacement d'un agent absent ou empêché afin d'assurer la continuité du service ou être particulièrement sollicité en période de crue, il n'est pas démontré, notamment par le tableau précité, que ces interventions présenteraient un caractère permanent, et non ponctuel, et exigeraient de sa part une réactivité toujours immédiate. Le requérant ne justifie pas avoir été privé de la possibilité de prendre ses congés annuels, ni, par voie de conséquence, de ce qu'il aurait réalisé des heures supplémentaires pendant les périodes de congés. Par ailleurs, il n'est pas contesté que les interventions qui ont nécessité une mobilisation de sa part en dehors des heures normales de service ont donné lieu au versement d'heures supplémentaires. Dans ces conditions, il n'est pas établi que les périodes d'astreinte de M. A... de janvier 2014 à octobre 2019 devraient être regardées dans leur totalité comme du temps de travail effectif donnant lieu au versement d'heures supplémentaires. En l'absence de faute commise sur ce point, le requérant ne justifie pas du préjudice moral allégué.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la région Hauts-de-France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. A... demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme dont la collectivité demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la région Hauts-de-France présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la région Hauts-de-France.

Délibéré après l'audience publique du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 octobre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 23DA01692


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01692
Date de la décision : 02/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCHMIDT-SARELS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-02;23da01692 ?
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