Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'office public de l'habitat (OPH) de Fourmies à lui verser une indemnité de 51 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des illégalités entachant ses notations, attribuées au titre des années 2012, 2013 et 2014.
Par un jugement n° 1909799 du 2 août 2022, le tribunal administratif de Lille a condamné l'OPH de Fourmies à verser la somme de 2 000 euros à M. A... et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Maachi, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 2 août 2022 en tant qu'il limite le montant des réparations à la somme de 2 000 euros ;
2°) de condamner l'OPH de Fourmies à lui verser la somme de 51 000 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de l'OPH de Fourmies une somme de 2 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les illégalités commises par l'administration dans l'établissement de ses notations de 2012 à 2014 sont fautives et de nature à engager sa responsabilité ;
- il a subi une perte de rémunération évaluée à la somme de 10 000 euros ;
- il subit un préjudice de carrière évalué à 15 000 euros ;
- les notations dont il a fait l'objet constituent des mesures vexatoires et humiliantes à l'origine d'un syndrome anxio-dépressif justifiant l'indemnisation de son préjudice moral pour un montant de 26 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2024, l'OPH de Fourmies, représenté par Me Bodart, conclut, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué ou, à défaut, au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a omis de statuer sur l'exception de prescription quadriennale ;
- la créance du requérant est atteinte par la prescription quadriennale ;
- le préjudice moral allégué n'est pas établi, de sorte qu'aucune indemnisation n'est due à ce titre ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Guilbeau, représentant l'OPH de Fourmies.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., adjoint administratif territorial de première classe au sein de l'office public de l'habitat (OPH) de Fourmies, a contesté les notations qui lui ont été attribuées au titre des années 2012 et 2013 et en a obtenu l'annulation devant le tribunal administratif de Lille par deux jugements du 2 février 2016, confirmés par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 23 novembre 2017, au motif que ces notations étaient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation. Par deux jugements du 27 mars 2019, le tribunal administratif a de nouveau annulé les notations établies, en exécution des jugements précédents, au titre des années 2012 et 2013, ainsi que la notation de l'année 2014, pour le même motif. Par un courrier du 16 juillet 2019, M. A... a sollicité auprès de l'OPH de Fourmies l'indemnisation de ses préjudices matériel et moral en faisant état de l'illégalité de ses notations et des mesures vexatoires et humiliantes dont il estime avoir été victime. En l'absence de réponse, il a saisi le tribunal administratif de Lille de ses conclusions indemnitaires, d'un montant total de 51 000 euros. Par un jugement du 2 août 2022, le tribunal administratif a accordé une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des illégalités fautives commises par l'administration et a rejeté le surplus de la demande. M. A... relève appel de ce jugement et demande à nouveau devant la cour la condamnation de l'OPH de Fourmies à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices pour un montant de 51 000 euros. Par la voie de l'appel incident, l'office sollicite l'annulation de ce jugement et le rejet des conclusions indemnitaires du requérant.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Dans son mémoire en défense présenté au greffe du tribunal administratif de Lille le 8 février 2021, avant la clôture de l'instruction, l'OPH de Fourmies a opposé l'exception de prescription quadriennale aux créances dont se prévalait M. A.... Si le tribunal administratif n'était pas tenu de se prononcer sur ce moyen invoqué en défense avant de rejeter au fond, comme il l'a fait, les conclusions tendant à l'indemnisation des pertes de revenus, du préjudice de carrière et des préjudices, en lien avec une dégradation de l'état de santé de l'intéressé, résultant de mesures vexatoires et humiliantes, il ne pouvait accueillir les conclusions tendant à la réparation du préjudice moral imputables aux illégalités fautives commises par l'administration sans statuer sur l'exception de prescription quadriennale dont il était saisi. Par suite, l'OPH de Fourmies est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a omis de statuer sur cette exception.
3. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a accordé la somme de 2 000 euros à M. A..., de se prononcer immédiatement sur ce point par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par l'appelant devant le tribunal administratif.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Il résulte de l'instruction que M. A..., qui avait obtenu une note chiffrée de 17,5 sur 20 en 2011, s'est vu attribuer une note globale de 9,5 sur 20 en 2012, 2013 et 2014, en raison notamment d'un abaissement des appréciations portées sur les connaissances professionnelles, sur le critère d'exécution, d'initiative, de rapidité et de finition, sur le sens du travail en commun et des relations avec le public et sur la ponctualité et l'assiduité. Si, eu égard à son comportement dans le cadre du service, l'administration a pu constater une dégradation de la manière de servir de M. A... au cours de l'année 2012, cette circonstance ne pouvait justifier une note chiffrée de huit points inférieure à celle obtenue en 2011, en l'absence de toute démonstration d'une moindre efficacité de l'intéressé dans l'exercice de ses attributions, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif de Lille dans les jugements précités des 2 février 2016 et 27 mars 2019 qui ont annulé les notations attribuées à M. A... comme entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
5. Toute illégalité affectant une décision administrative est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'autorité administrative. Seuls les préjudices directs et certains qui résultent de cette illégalité fautive sont indemnisables.
En ce qui concerne les pertes de revenus et le préjudice de carrière :
6. En premier lieu, M. A... soutient que les notations illégales dont il a fait l'objet de 2012 à 2014 ont eu pour effet de le priver d'éléments de rémunération, qu'il évalue à la somme globale de 10 000 euros. Toutefois, s'il ressort d'un courrier de l'OPH de Fourmies du 19 avril 2013 que la note de 9,5 sur 20 attribuée en 2012 a entraîné la suppression de l'indemnité d'administration et de technicité à compter du 1er avril 2013, l'administration a produit devant les premiers juges des éléments, non contestés par l'appelant, indiquant que sa situation a fait l'objet d'une régularisation financière pour la période du 1er avril 2013 au 30 juin 2015. M. A... ne produit aucun élément laissant supposer que cette régularisation, d'un montant total de 7 543 euros, serait insuffisante.
7. En second lieu, M. A... invoque un préjudice de carrière au motif que les notations litigieuses l'auraient privé de toute chance de promotion. Toutefois, si la fiche de notation de l'année 2011 fait état de sa volonté d'obtenir une promotion interne, l'autorité hiérarchique s'est bornée à mentionner dans ce même document que sa demande serait transmise à l'autorité compétente " afin de définir le cadre d'emploi correspondant aux tâches confiées et la possibilité d'évolution dans le cadre d'une promotion ". En l'absence de tout autre élément versé au dossier, les seules mentions précitées ne sont pas de nature à établir une chance sérieuse de promotion avant l'abaissement de la notation de M. A... en 2012. Par suite, ce dernier n'établit pas l'existence d'un préjudice de carrière.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'exception de prescription invoquée par l'OPH de Fourmies, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de pertes de revenus et d'un préjudice de carrière.
En ce qui concerne le préjudice moral :
9. En premier lieu, le premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose que : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Lorsque le préjudice allégué par un agent public résulte d'une décision individuelle explicite illégale, le fait générateur de la créance doit être rattaché, sous réserve des cas prévus à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise, mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée.
10. L'OPH de Fourmies soutient que les notations litigieuses ont été notifiées à M. A... le 23 mars 2013 pour la notation de l'année 2012, le 16 mai 2014 pour la notation de l'année 2013, et le 16 mars 2015 pour la notation de l'année 2014, de telle sorte que sa créance était prescrite le 16 juillet 2019 quand il a demandé l'indemnisation des préjudices en résultant. Toutefois, alors que la date de notification retenue pour la notation de l'année 2014 ne permet pas de constater que la créance était prescrite au titre de cette notation, il résulte de l'instruction que les notations des années 2012 et 2013, annulées une première fois par le tribunal administratif le 2 février 2016, ont été de nouveau établies, et donc notifiées, à une date postérieure à février 2016, avant d'être également annulées par des jugements du 27 mars 2019. Aucune prescription ne peut donc être opposée au titre des notations illégales des années 2012 et 2013, qui ont été réitérées par l'administration après février 2016. Par suite, l'exception de prescription quadriennale ne peut qu'être écartée.
11. En second lieu, M. A... soutient qu'il a fait l'objet de mesures vexatoires et humiliantes, dont participent les notations litigieuses, qui sont à l'origine d'une altération grave de son état de santé. D'une part, s'il produit des documents médicaux indiquant qu'il souffre d'un état dépressif en lien avec le cadre professionnel, ces éléments ne permettent pas d'établir l'existence des mesures vexatoires et humiliantes et de la mise à l'écart dont il estime être victime. A cet égard, le rapport du médecin psychiatre mentionnant que l'appelant " a été harcelé sur son lieu de travail ce qui a été reconnu par le tribunal administratif " est dépourvu de valeur probante quant à l'existence de tels agissements dès lors que le tribunal ne s'est jamais prononcé sur ce point. D'autre part, si M. A... souffre d'un trouble dépressif justifiant son placement en congé de longue maladie à compter du 27 août 2015, reconnu imputable au service selon un avis favorable de la commission départementale de réforme, il ne résulte pas de l'instruction que l'état de santé de l'intéressé trouverait son origine dans les notations illégalement attribuées.
12. En revanche, il résulte de l'instruction que le caractère illégal des notations dont M. A... a fait l'objet est en lui-même à l'origine d'un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l'espèce, en lui allouant la somme de 2 000 euros.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander la condamnation de l'OPH de Fourmies à lui verser la somme de 2 000 euros en réparation de ses préjudices.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il s'ensuit que les conclusions présentées par les parties sur le fondement de ces dispositions sont rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1909799 du tribunal administratif de Lille du 2 août 2022 est annulé.
Article 2 : L'OPH de Fourmies est condamné à verser à M. A... une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral. Les conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Lille en vue de l'indemnisation de son préjudice moral sont rejetées pour le surplus.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à l'Office public de l'habitat de Fourmies.
Délibéré après l'audience publique du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 octobre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 22DA02024