Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 juillet 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale", ou " ascendant à charge " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard, à titre subsidiaire de délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir, une autorisation provisoire de séjour, dans l'attente du réexamen de sa situation, sous astreinte de cent euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2304058 du 29 février 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, et de la munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour et il a condamné l'Etat à verser 1 000 euros au conseil de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 mars 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule l'arrêté du 3 juillet 2023 et enjoint la délivrance d'un titre de séjour ;
2°) de rejeter la requête de Mme B....
Il soutient que :
- Mme B... ne peut se prévaloir d'une entrée régulière à une date certaine et c'est à juste titre qu'une carte de résident sur le fondement de l'article L. 423-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lui a été refusée ;
- la simple présence en France de ses enfants alors qu'elle effectue régulièrement des allers-retours avec le Sénégal et une pathologie chronique pour laquelle elle n'a pas demandé de titre à raison de son état de santé ne justifiaient pas la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ;
- quant au rejet nécessaire des moyens de première instance, il s'en remet à ses écrits de première instance annexés à sa requête d'appel.
La requête a été communiquée à Mme B... qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 13 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 3 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Borot, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 29 février 2024 en tant qu'il annule son arrêté du 3 juillet 2023 refusant à Mme B... la délivrance d'un titre de séjour, l'oblige à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination et lui enjoint de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale" à Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et de la munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Mme A... B..., ressortissante sénégalaise née le 6 avril 1956, est mère de deux enfants français qui vivent en France avec leurs propres enfants. Elle effectuait régulièrement des allers-retours entre la France et le Sénégal. A la suite du décès de son conjoint en 2020, elle affirme s'être retrouvée isolée au Sénégal et est arrivée pour la dernière fois en France le 18 janvier 2022 munie d'un visa délivré par les autorités espagnoles. Elle souligne être prise en charge par son fils qui dispose d'un logement spacieux et de ressources suffisantes et qu'elle s'occupe de ses petits-enfants dont les deux parents travaillent. Toutefois, elle ne saurait être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où elle a vécu durant la majeure partie de son existence, y compris quelques années après le décès, le 10 août 2020 de son époux et d'où les liens avec ses enfants peuvent être maintenus à l'occasion de visites et où ils peuvent continuer à lui adresser de l'argent comme ils l'ont fait par le passé. L'aide qu'elle apporte à son fils pour la garde de ses petits-enfants à partir de 2022 ne suffit pas à justifier de son insertion en France. Mme B... indique qu'elle souffre d'un diabète mal équilibré et de douleurs thoraciques. Les certificats médicaux établis les 24 août et 8 novembre 2023 par un médecin généraliste, d'ailleurs postérieurement à l'arrêté en cause, se bornent à faire état de ce que l'arrêt des traitements pourrait avoir de graves conséquences. Ces éléments ne permettent pas de considérer que l'absence de traitement pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni que Mme B... ne pourrait pas recevoir au Sénégal le traitement qu'elle indique lui être nécessaire et qu'elle a pu suivre par le passé. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé, au motif d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, son arrêté du 3 juillet 2023 refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme B..., l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme B... devant le tribunal administratif de Rouen.
Sur les autres moyens soulevés :
4. En premier lieu, l'arrêté en cause vise les textes dont il fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. Il n'avait pas à indiquer de manière exhaustive l'ensemble des éléments afférents à la situation personnelle et familiale de Mme B..., mais en mentionne les éléments pertinents. Il comporte des considérations de fait suffisamment détaillées pour mettre l'intéressée à même de comprendre les motifs des décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination qui lui sont opposées . Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ne peut qu'être écarté. Il ne ressort pas des pièces du dossier, ni des motifs de l'arrêté en litige que le préfet n'aurait pas procédé à un examen sérieux et complet de la situation de Mme B... avant de prendre les décisions en cause. Ce moyen doit également être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". Pour les motifs exposés au point 2, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
6. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 2, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de Mme B... doivent également être cartés.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité (...). Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950." .
8. Mme B... se borne à mettre en avant son état de santé. Pour les motifs exposés au point 2, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
9. En cinquième lieu, compte-tenu de ce qui a été précédemment exposé, Mme B... n'est pas fondée à se prévaloir de l'illégalité de la décision de refus de séjour au soutien des conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elle n'est pas plus fondée à se prévaloir de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien des conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er et 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 3 juillet 2023 refusant à Mme B... la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination de sa reconduite à la frontière et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et de la munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour et que les demandes de première instance de Mme B... doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du 29 février 2024 du tribunal administratif de Rouen sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... B....
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Seine-Maritime
Délibéré après l'audience publique du 12 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M.Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024
La présidente-assesseure,
Signé : I. LegrandLa présidente de chambre,
Présidente-rapporteure
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA00487 2