Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté 19 septembre 2022 par lequel le préfet du Nord a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français.
Par un jugement n°2207927 du 23 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Mannessier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 mai 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour temporaire dans le délai d'un mois à compter du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande de titre de séjour, dans les mêmes conditions de délais et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à Me Mannessier, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme B... soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour,
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant,
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2024, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 23 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 juin 2024.
Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai a, par une décision du 7 septembre 2023, accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à Mme B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant,
- le traité sur l'Union européenne,
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Thulard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., née le 28 avril 1991 à Tazaghine (Maroc), de nationalité marocaine, est entrée en France le 17 février 2019 sous couvert d'un visa long séjour de type D, valable du 24 janvier 2019 au 24 avril 2019, pour rejoindre son époux. Ce dernier, de nationalité marocaine, est titulaire d'une carte de résident. Elle a sollicité le 20 janvier 2020 un premier titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " auprès de la préfecture de l'Hérault. Cette demande a été rejetée par une décision implicite née du silence gardé sur sa demande. Mme B... a, par la suite, sollicité le 8 décembre 2021 auprès de la préfecture du Nord la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " étranger malade ". Par un arrêté du 19 septembre 2022, le préfet du Nord a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination.
2. Mme B... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Lille qui, par un jugement du 23 mai 2023, a rejeté sa demande. Mme B... interjette appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / (...) ".
4. Par un avis du 5 avril 2022, le collège médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé que l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'elle pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé au Maroc et qu'elle pouvait voyager sans risque vers ce pays. Pour contester la teneur de cet avis quant à l'accès effectif des soins nécessités par son état de santé au Maroc, l'intéressée a levé le secret médical et a produit des pièces dont il ressort qu'elle souffre d'une pathologie du système lymphatique, la maladie de Hodgkin, qui a été diagnostiquée en France en août 2020. Mme B... a d'abord été traitée par chimiothérapie. Ce traitement était achevé depuis plusieurs mois le 19 septembre 2022, date à laquelle est intervenue la décision de refus de titre de séjour en litige. Il ressort des pièces du dossier que sa pathologie était alors considérée en rémission et que sa prise en charge médicale se limitait à une surveillance clinique et biologique, éventuellement complétée par des actes d'imagerie médicale.
5. En ce qui concerne la disponibilité effective de tels soins, le préfet du Nord a produit en première instance des éléments dont il ressort que de nombreux centres de radiothérapie et d'oncologie sont implantés au Maroc, y compris dans la région dont est originaire la requérante. Par ailleurs, si Mme B... fait valoir ne pas être personnellement immatriculée auprès de la caisse nationale de sécurité sociale du Maroc, elle ne démontre pas qu'elle n'aurait pas pu l'être sur simple demande à la date de la décision attaquée et ce alors que le préfet du Nord fait valoir que le Maroc a mis en place depuis 2011 un " régime d'assistance médicale " (RAMED) permettant aux personnes sans ressources résidant dans ce pays de bénéficier de soins pris en charge au titre de l'aide sociale. Le préfet soutient également sans être contredit que ce régime bénéficie actuellement à plusieurs millions de Marocains. Il démontre enfin que l'agence nationale de l'assurance maladie marocaine a reconnu la maladie de Hodgkin comme une affection de longue durée, ce qui est de nature à favoriser la prise en charge des patients en souffrant sur le plan tant médical que financier.
6. Dans ces conditions, le seul avis médical en date du 24 septembre 2021 produit par la requérante et selon lequel celle-ci " doit, afin de poursuivre son suivi, demeurer en France pour une durée indéterminée " n'est pas de nature à contredire l'avis du collège médical de l'OFII selon lequel elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé au Maroc. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit par conséquent être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. En l'espèce, aucune pièce au dossier ne permet d'établir que le mari de Mme B..., dont elle est séparée de corps depuis septembre 2020, date à laquelle elle a quitté la région montpelliéraine pour le département du Nord selon ses affirmations, aurait conservé la moindre relation avec sa fille, née environ deux mois auparavant, le 20 juin 2020. Dans une ordonnance d'orientation et de mesures provisoires en divorce en date du 10 mai 2022, le tribunal judiciaire de Montpellier a sur ce point estimé que le mari de la requérante ne justifiait pas avoir été tenu dans l'ignorance de la nouvelle adresse de son enfant et a noté l'absence d'engagement de sa part de toute démarche de nature à lui permettre d'exercer effectivement son autorité parentale pendant environ 18 mois. Si cette ordonnance lui reconnaît par ailleurs un droit de visite et d'hébergement, il n'est en rien établi qu'il aurait cherché à l'exercer effectivement antérieurement au 19 septembre 2022, date d'intervention de l'arrêté en litige. Enfin, cette ordonnance du juge judiciaire n'interdit pas à Mme B... de quitter la France avec sa fille dès lors qu'elle prévoit seulement qu'un changement de résidence d'un des deux parents doit donner lieu à une information du second quand elle est de nature à modifier les modalités d'exercice de l'autorité parentale, afin de lui permettre le cas échéant, en cas de désaccord, de saisir le juge aux affaires familiales. Dans ces conditions, en l'absence de tout lien effectif entre la fille mineure de Mme B... et son père, l'intérêt supérieur de cet enfant n'implique pas nécessairement sa résidence sur le territoire français. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peut être dès lors qu'écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Ainsi qu'il l'a été dit, rien ne n'oppose à ce que la cellule familiale composée de Mme B... et de sa fille mineure ne regagne le Maroc. Par ailleurs, une procédure de divorce était en cours à la date de la décision attaquée entre la requérante et son mari, si bien que les membres de sa famille présents régulièrement en France et qu'elle avait vocation à côtoyer à l'avenir se limitaient à une tante. Si la requérante allègue avoir été victime de faits de violences intrafamiliales, elle ne le démontre par aucune pièce, telle qu'à tout le moins un dépôt de plainte ou une main courante. L'intéressée n'est en outre pas totalement isolée dans son pays d'origine, où demeure son père et où elle a vécu jusqu'à ses 27 ans, y tissant ainsi nécessairement des liens. Elle ne justifie pas de son intégration professionnelle ou sociale depuis son entrée en France. Enfin, elle résidait sur le territoire national depuis trois ans et demi seulement à la date d'intervention du refus de titre de séjour qu'elle conteste. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, ce refus n'a pas porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En quatrième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier, eu égard notamment à la motivation retenue par le préfet du Nord dans son arrêté litigieux du 19 septembre 2022, que ce dernier a bien procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de la requérante avant de prendre la décision en litige. En particulier, la seule circonstance qu'il n'aurait pas explicitement mentionné l'existence d'une précédente demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " déposée le 20 janvier 2020 auprès du préfet de l'Hérault et ayant fait l'objet d'un rejet implicite, n'est pas de nature à caractériser un tel défaut d'examen, le préfet du Nord ayant notamment spécifiquement motivé sa décision au regard des liens privés et familiaux de Mme B... en France et au Maroc.
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander à la cour l'annulation de la décision par laquelle le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision de refus de titre de séjour n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, Mme B... ne saurait se prévaloir, par voie d'exception, de l'illégalité de cette décision pour demander l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
14. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux précédemment énoncés concernant la décision de refus de titre de séjour, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté. De même, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision d'éloignement sur la situation personnelle de Mme B....
15. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Il y a lieu par conséquent de rejeter ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction sous astreinte.
Sur les frais de l'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, soit condamné à payer au conseil de Mme B... la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Mannessier.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre
Signé : G. Borot La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°23DA01907