Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... F..., Mme B... A... épouse F... et leurs trois enfants ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Lille (CHRU) à leur verser la somme totale de 210 858,25 euros en réparation des préjudices subis à la suite de la prise en charge de M. C... F... dans cet établissement.
Par un jugement n° 2007630 du 24 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit à leur demande et a condamné le CHRU de Lille à leur verser la somme totale de 26 923,30 euros dont 23 723,30 euros pour M. C... F....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 juillet 2023 et 10 juin 2024, M. F..., représenté par Me Zimmermann, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement attaqué ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Lille à lui verser une somme complémentaire de 166 750 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Lille le paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les souffrances qu'il a endurées doivent être évaluées à la somme de 25 000 euros ;
- son préjudice professionnel, son préjudice de carrière, ses pertes de gains futurs et l'incidence professionnelle de l'accident médical doivent être indemnisées à hauteur de 141 750 euros.
Par un mémoire, enregistré le 2 octobre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de la partie succombante les dépens.
Il fait valoir que :
- le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il a jugé que les conditions d'intervention au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies et l'a mis hors de cause pour ce motif ;
- si les experts ont retenu qu'une infection nosocomiale est à l'origine du dommage, le déficit fonctionnel permanent imputable à cette infection est de 5 %, soit un taux inférieur au seuil déclenchant la responsabilité au titre de la solidarité nationale.
Par un mémoire, enregistrés le 26 avril 2024, le centre hospitalier régional universitaire de Lille, représenté par la SARL le Prado-Gilbert, demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelant et tendant à la majoration de ses préjudices ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,
- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de M. F....
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., alors âgé de 42 ans, a été reçu en consultation au centre hospitalier de Roubaix en raison de cervicalgies, des céphalées et des nausées. Un scanner réalisé le 16 août 2017 dans cet établissement a mis en évidence une tumeur cérébrale bénigne de type hémangioblastome, qui a été partiellement retirée le 21 août 2017 au sein du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille. De retour à son domicile le 29 août 2017, M. F... a constaté un écoulement anormal de liquide céphalo-rachidien provenant d'une cicatrice crânienne, séquelle de l'ablation tumorale. Il a été de nouveau hospitalisé au CHRU de Lille jusqu'au 5 septembre 2017 afin de parfaire la suture de cette cicatrice. Souffrant à nouveau de maux de tête et de vomissements, le patient a été admis au CHRU de Lille le 13 septembre 2017 pour une reprise de la cicatrice crânienne réalisée le 15 septembre 2017. Au cours de cette intervention, un germe de type proteus mirabilis a été découvert, à l'origine d'une méningite infectieuse. Un traitement antibiotique lui a alors été prescrit jusqu'au 30 octobre 2017. M. F... a dû se présenter aux urgences du CHRU de Lille le 22 décembre 2017 en raison d'une récidive de la méningite. Le patient a été hospitalisé jusqu'au 2 février 2018, en alternant les traitements à son domicile et à l'hôpital, puis a dû se rendre dans un centre spécialisé afin de bénéficier d'une rééducation de la parole et de la marche.
2. Par ordonnance du 4 juin 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a ordonné, à la demande de M. F..., une expertise et désigné le professeur D... pour y procéder. Par ordonnance du 19 juin 2019, le docteur E... a été désignée comme sapiteur. Le rapport d'expertise a été déposé le 13 décembre 2019. Par courrier recommandé du 6 juillet 2020 avec accusé de réception, M. F..., son épouse et ses enfants ont sollicité du CHRU de Lille l'indemnisation de leurs préjudices. Par jugement n° 2007630 du 24 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a condamné le CHRU de Lille à lui verser la somme de 23 723,30 euros. M. F... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait droit qu'en partie à sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Lille :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ".
4. Pour l'application de ces dispositions, doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial, une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la prise en charge de la tumeur cérébrale dont souffrait M. F... a été faite dans les règles de l'art et que la fuite de liquide céphalon-rachidien dont a été victime l'intéressé ne tient pas à une faute de l'hôpital. Toutefois, la contamination de M. F... par le germe de type proteus mirabilis, détecté à la suite de la ponction lombaire pratiquée le 15 septembre 2017 et dont il n'apparaît pas qu'elle aurait été présente ou en incubation lors de l'hospitalisation de M. F... au CHRU de Lille le 17 août 2017, constitue une infection nosocomiale qui trouve son origine dans la prise en charge de la victime par cet établissement du 17 au 29 août 2017. Selon les conclusions de l'expertise, cette infection a entraîné une méningite qui représente un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 5 %, inférieur au seuil de 25 % à partir duquel les conséquences d'une telle infection sont prises en charge au titre de la solidarité nationale. Dès lors, les conséquences de la méningite infectieuse dont a souffert M. F... doivent être prises en charge par le CHRU de Lille. Par suite, il y a lieu de confirmer la mise hors de cause de l'ONIAM.
En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices :
S'agissant des préjudices professionnels :
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. F..., gérant associé depuis 2013 d'une société à responsabilité limitée exerçant une activité de restauration rapide sous franchise et située à proximité du stade Pierre Mauroy de Villeneuve d'Ascq, n'a pu exercer une activité professionnelle du 1er septembre 2017 au 31 juillet 2018, en raison de son état de santé. Les pertes de gains professionnels de la victime ont été indemnisées par le tribunal administratif de Lille à une somme non contestée en appel de 661,80 euros. Si le commerce tenu par l'intéressé a par ailleurs fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée qui a été clôturée par jugement du tribunal de commerce de Lille en date du 13 juin 2018 au motif d'une insuffisance d'actifs, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que cette procédure soit imputable aux seules conséquences de la méningite infectieuse contractée par l'intéressé. Il apparaît en effet que cette procédure a été ouverte dès le 11 décembre 2017 alors que le rapport d'expertise mentionne qu'en raison de l'intervention requise par la tumeur cérébrale vasculaire dont M. F... était atteint, celui-ci devait, en tout état de cause, cesser son activité professionnelle pendant une durée prévisible de trois mois du 16 août 2017 au 16 novembre 2017. Il ressort en outre de l'attestation d'un représentant d'une société conseillant la SARL Sub grand stade que les conséquences de l'indisponibilité de l'appelant ont pu être gérées par son épouse, elle-même salariée de la société, durant les premières semaines suivant l'apparition de la tumeur et par suite de l'infection nosocomiale, en raison notamment d'une activité estivale réduite. De même, les bilans comptables de la société établis pour les années 2014 à 2017 ne permettent pas d'imputer à la seule infection nosocomiale subie par M. F... les difficultés économiques de sa société et par suite sa liquidation. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le commerce de restauration rapide de l'appelant aurait pu continuer à exister à l'issue de la cessation par M. F... de son activité professionnelle pour une durée de trois mois du 16 août au 16 novembre 2017 et tenant à la seule intervention requise par la tumeur dont il était atteint. L'appelant n'établit pas par ailleurs avoir été dans l'impossibilité de revendre son fonds de commerce avant le début de la procédure de liquidation judiciaire. Par suite, M. F... n'est pas fondé à demander que la cour lui alloue une somme supplémentaire de 141 750 euros correspondant à la perte de son compte courant d'associé, pour un montant de 10 000 euros, à l'engagement des cautions personnelles qu'il avait contractées, pour des montants de 3 807,20 euros et 1 865,40 euros, à la perte de valeur de son fonds de commerce, soit 157 700 euros et à la perte de son salaire, soit 15 600 euros, ces préjudices étant minorés du fait d'un aléa commercial évalué à 75 %.
6. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'infection nosocomiale dont M. F... a souffert et qui est à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent d'un taux de 5 % ainsi qu'il a été dit ci-dessus a eu pour effet de le priver de toute perspective professionnelle en vue notamment de la création d'une nouvelle société, l'intéressé occupant désormais un emploi salarié moins rémunérateur. Par suite, l'appelant n'est pas fondé à demander une somme, au demeurant non chiffrée, au titre de l'incidence professionnelle.
S'agissant des souffrances endurées :
7. Il résulte de l'instruction et notamment des conclusions du rapport d'expertise des docteurs D... et E..., que l'infection nosocomiale contractée par M. F... lors de sa prise en charge par CHRU de Lille a été à l'origine de souffrances qui ont été évaluées par les experts à 4 sur une échelle de 0 à 7 et qui sont distinctes de celles qui ont été causées par sa pathologie initiale. Il apparaît ainsi que l'intéressé a subi plusieurs ponctions lombaires et qu'il a été victime de céphalées intenses accompagnées de nausées. Le traitement de la méningite, de sa récidive ainsi que de leurs conséquences a aussi nécessité des périodes d'hospitalisations et un alitement prolongé. Dans ces circonstances et eu égard en outre au syndrome dépressif dont M. F... a souffert , il y a lieu de confirmer la somme de 7 500 euros allouée en première instance au titre des souffrances endurées par l'intéressé.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 23 723,30 euros.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Lille, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. F... demande à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., au centre hospitalier régional universitaire de Lille et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience publique du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de la chambre,
Signé : B. ChevaldonnetLa greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA01280