Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 25 septembre 2023 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2308498 du 23 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2023, M. B..., représenté par Me Güner, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté 25 septembre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- il a été rendu en violation du principe du contradictoire dès lors que, d'une part, le mémoire en défense lui a été communiqué après le début de l'audience et que l'instruction n'a pas été rouverte en dépit d'une demande en ce sens, et que, d'autre part, les pièces jointes à ce mémoire en défense ne lui ont pas été communiquées ;
- ce jugement est encore irrégulier en ce qu'il omet de viser son mémoire du 25 octobre 2023 ;
- l'arrêté contesté est entaché d'incompétence ;
- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendu ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et porte atteinte à sa vie privée ;
- l'interdiction de retour a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendu ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle présente un caractère disproportionné.
La requête a été communiquée au préfet du Nord qui n'a pas présenté d'observations.
Par une ordonnance du 13 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 juillet 2024, à 12 heures.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., ressortissant turc né le 4 mars 1998, déclare être entré sur le territoire français le 20 septembre 2019 pour y solliciter une protection internationale. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 mars 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 31 décembre 2020. La demande de réexamen de sa situation au titre de l'asile a été également rejetée, en dernier lieu, par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 12 octobre 2021. Par un arrêté du 25 septembre 2023, le préfet du Nord a obligé M. B... à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et lui a interdit le retour pour une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 23 novembre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 731-3 du code de justice administrative : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ". En vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article R. 741-2 du même code, relatif aux mentions obligatoires de la décision juridictionnelle, celle-ci doit faire " mention (...) de la production d'une note en délibéré ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est régulièrement saisi, à l'issue de l'audience, d'une note en délibéré émanant de l'une des parties, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision ainsi que de la viser, sans toutefois l'analyser dès lors qu'il n'est pas amené à rouvrir l'instruction et à la soumettre au débat contradictoire pour tenir compte des éléments nouveaux qu'elle contient.
3. Il ressort des pièces du dossier que, après l'audience publique, qui a eu lieu le 20 octobre 2023, mais antérieurement à la date à laquelle le jugement a été rendu public, le 23 novembre suivant, M. B... a adressé au tribunal administratif de Lille un " mémoire en réplique ", enregistré le 25 octobre 2023 au greffe de cette juridiction. Le jugement attaqué, dont les visas ne font pas mention de cette pièce qui devait être regardée comme une note en délibéré, est entaché, pour ce motif, d'irrégularité. Par suite, sans qu'il besoin de se prononcer sur les autres moyens d'irrégularité soulevés par M. B..., celui-ci est fondé à demander l'annulation de ce jugement.
4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 25 septembre 2023 :
5. En premier lieu, par un arrêté du 20 septembre 2023, publié le même jour au recueil n° 253 des actes de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation, en cas d'absence ou d'empêchement de la cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, à Mme C... A..., adjointe à la cheffe du bureau, à l'effet de signer, notamment, les décisions attaquées portant obligation de quitter le territoire français, refus d'accorder un délai de départ volontaire, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français. Si M. B... conteste l'absence ou l'empêchement de la cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, alléguant que le 25 septembre 2023 est un jour ouvré, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressée n'était ni absente, ni empêchée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.
6. En deuxième lieu, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité de son séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
7. Il ressort du procès-verbal du 25 septembre 2023 que, lors de son audition par les services de police, M. B... a été informé de la perspective que le préfet du Nord prenne à son encontre des décisions l'obligeant à quitter le territoire français à destination de son pays d'origine et lui interdisant le retour en France. Invité à présenter des observations sur les décisions ainsi envisagées, le requérant a fait part de son souhait de rester en France pour y travailler. Dès lors, et contrairement à ce qu'il soutient, son droit d'être entendu préalablement à l'adoption des décisions d'éloignement et d'interdiction de retour a été respecté.
8. En troisième lieu, M. B... fait état d'une présence en France depuis le 20 septembre 2019 et de son insertion dans la société française. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant s'est maintenu sur le territoire français sous couvert d'une demande d'asile rejetée à deux reprises par la Cour nationale du droit d'asile le 31 décembre 2020 et le 12 octobre 2021, et en dépit d'une première obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 16 novembre 2021. Il n'établit pas que l'autoentreprise qu'il indique avoir créée en 2020 aurait eu une activité effective. Si M. B... produit à l'instance des bulletins de paie dont il ressort qu'il a occupé un emploi à temps plein comme coffreur d'avril à décembre 2022, il n'apporte aucun élément laissant supposer le maintien d'une activité professionnelle à la date de l'arrêté attaqué. A cet égard, la déclaration d'autorisation de travail, établie le 20 avril 2023 en vue de son recrutement en contrat à durée indéterminée, ne comporte aucune mention indiquant qu'elle aurait été soumise à l'autorité compétente. M. B... est célibataire, sans charge de famille en France, et il n'est pas contesté que les membres de sa famille, notamment ses parents, résident en Turquie. Dans ces conditions, si l'intéressé fait encore état de son activité bénévole dans une association de danse folklorique, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en décidant son éloignement à destination de son pays d'origine, le préfet du Nord aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, ni qu'il aurait porté atteinte à son droit à une vie privée et familiale normale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
10. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué que, pour interdire le retour en France de M. B... pour une durée de deux ans, le préfet du Nord a tenu compte de la durée de sa présence sur le territoire français, soit quatre ans, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, et de l'absence de menace pour l'ordre public. Eu égard à ce qui a été dit au point 8, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord aurait fait une inexacte application des critères prévus par les dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en interdisant le retour de M. B... pendant deux ans. Ce dernier ne démontre pas non plus que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'une telle interdiction de retour sur sa situation eu égard aux circonstances, étrangères à ces quatre critères, dont il fait également état.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 25 septembre 2023. Par suite, sa demande présentée devant le tribunal administratif de Lille ne peut qu'être rejetée, ainsi que ses conclusions, présentées en appel, à fin d'injonction et tendant au versement d'une somme sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille n° 2308498 du 23 novembre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions présentées en appel à fin d'injonction et sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Güner.
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 septembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 23DA02284