Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 septembre 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de procéder sans délai à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 152,45 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2308039 du 20 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du préfet du Nord en date du 10 septembre 2023 et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 novembre 2023, le préfet du Nord, représenté par Me Rannou demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la requête de première instance comme non fondée.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit et doit être annulé ;
- les moyens tirés de l'incompétence, de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen de la situation personnelle du requérant doivent être écartés ;
- la mesure d'éloignement ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans, fondée sur les critères de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est suffisamment motivée et n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2024, M. B..., représenté par Me Lequien, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'appel du préfet du Nord est tardif ;
- l'appel est devenu sans objet dès lors que, par un arrêté du 19 février 2024, après avoir procédé au réexamen de sa situation, le préfet a pris un nouvel arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, qui vaut abrogation de l'arrêté du 10 septembre 2023 ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 15 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 6 mai 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- et les observations de Me Lequien, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant marocain né le 7 février 2001, a été interpellé à Lille le 9 septembre 2023 et a fait l'objet d'une retenue administrative aux fins de vérification de son identité et de son droit au séjour. A la suite de cette retenue, par un arrêté du 10 septembre 2023, le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 20 octobre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et enjoint un réexamen de la situation de M. B....
2. Contrairement à ce que soutient M. B..., la circonstance que, par un nouvel arrêté du 19 février 2024, le préfet du Nord, après avoir réexaminé sa situation, l'a obligé à quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, n'est pas de nature à priver d'objet l'appel formé par le préfet contre le jugement du 20 octobre 2023 annulant l'arrêté précédent du 10 septembre 2023.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle l'arrêté contesté a été pris, M. B... allègue une présence ininterrompue en France depuis 2014, année au cours de laquelle il est entré sur le territoire français à l'âge de treize ans. Il ressort des attestations qu'il verse au dossier, non sérieusement contredites par le préfet, que sa sœur, son frère et lui-même sont demeurés en France alors qu'ils étaient mineurs, après que leurs parents les aient abandonnés à la suite d'un voyage effectué au cours de l'année 2014. Sa présence depuis cette date sur le territoire français est établie par les certificats de scolarité produits, lesquels attestent qu'il a suivi sa scolarité à partir de l'année scolaire 2014-2015, avec une inscription au collège Boris Vian de Lille, jusqu'à l'année 2017-2018, au cours de laquelle il était inscrit en première année de certificat d'aptitude professionnelle dans la spécialité réparation de carrosseries. S'il ne justifie pas avoir ensuite validé ce diplôme, ni avoir poursuivi son cycle d'apprentissage ou s'être réorienté dans une autre voie afin d'envisager un avenir professionnel, il ressort des pièces du dossier qu'il a obtenu le 6 septembre 2023, une promesse d'embauche pour travailler dans une entreprise en qualité d'enduiseur. S'il ressort du rapport d'identification issu du fichier automatisé des empreintes digitales qu'il a fait l'objet, au cours des années 2017 et 2018, d'un signalement pour vol à la tire et de quatre signalements pour détention ou usage de stupéfiants, ces faits anciens n'ont pour autant fait l'objet d'aucune condamnation pénale. En outre, si l'intéressé a été interpellé le 9 septembre 2023 à bord d'un véhicule conduit par un mineur en possession de stupéfiants, son interpellation en tant que passager n'a donné lieu à aucune poursuite. Par ailleurs, les seuls liens familiaux qui lui restent sont constitués des membres de sa fratrie installée en France, c'est-à-dire sa sœur aînée née en 1987, qui a acquis la nationalité française et chez laquelle il est hébergé, et son autre sœur et son frère, qui résident régulièrement sur le territoire français sous couvert de titres de séjour. Dans les circonstances particulières de l'espèce, compte tenu des conditions de son entrée en France et de la durée de son séjour, et quand bien même M. B... s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français depuis sa majorité, le préfet du Nord a entaché son arrêté d'erreur manifeste d'appréciation en l'obligeant à quitter sans délai le territoire français.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que le préfet du Nord n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé sa décision du 10 septembre 2023 obligeant M. B... à quitter sans délai le territoire français, et par voie de conséquence, les décisions fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
5. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....
Copie en sera délivrée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 août 2024.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
Le président de la formation de jugement,
Signé : J-M. Guérin-Lebacq
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef, par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 23DA02179 2