Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler le titre de perception émis le 8 septembre 2021 par la ministre des armées en vue du remboursement des frais de formation spécialisée à hauteur d'un montant de 72 467,78 euros, ensemble la décision du 13 janvier 2022 portant rejet de son recours administratif, d'autre part, de le décharger de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par ce titre de perception.
Par un jugement n° 2201085 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé le titre de perception émis le 8 septembre 2021 par la ministre des armées en vue du remboursement des frais de formation spécialisée à hauteur d'un montant de 72 467,78 euros, ensemble la décision du 13 janvier 2022 portant rejet de son recours administratif et a déchargé M. B... de l'obligation de payer cette somme.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 et 16 août 2023, le ministre des armées demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur de droit en ce qui concerne l'application combinée des dispositions des articles L. 4139-13, R. 4139-50 et R. 4139-51 du code de la défense ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, ces dispositions n'impliquent pas que le militaire doive s'engager par écrit à suivre une formation spécialisée ; cet engagement découle de la position statutaire et réglementaire dans laquelle se trouve le militaire ;
- il en résulte que l'obligation de remboursement à laquelle est tenu le militaire admis à suivre une formation spécialisée lorsqu'il ne satisfait pas à la durée d'engagement prévue pour cette formation, fixée par l'arrêté ministériel pris en application de l'article R. 4139-50, n'est pas subordonnée à la souscription d'un engagement écrit de la part de l'intéressé ;
- ce remboursement peut être exigé quand bien même le militaire n'a pas signé le formulaire annexé à cet arrêté dès lors que l'accomplissement de cette formalité constitue une simple mesure visant à confirmer la bonne information du militaire intéressé dont la méconnaissance est insusceptible de lui rendre inopposable l'obligation de remboursement prévue par le code de la défense ;
- les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le mémoire en défense produit en première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Moumni, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre des armées ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 20 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 avril 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- l'arrêté du 8 août 2011 fixant la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Moumni, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... a signé, le 17 novembre 2011, un contrat d'engagement de dix ans en qualité d'élève officier du personnel navigant, dans la filière pilote. D'abord affecté au centre de formation militaire initiale situé sur la base aérienne 701 de Salon de Provence, M. B... a ensuite obtenu son brevet de pilote d'avion du premier degré le 28 novembre 2014 puis son brevet de pilote du second degré le 11 mai 2015. Le 20 juin 2019, il a souscrit un contrat d'engagement en qualité d'officier sous contrat rattaché au corps des officiers de l'armée de l'air, pour une durée de huit ans prenant effet à compter de sa date de nomination au grade de sous-lieutenant, contrat ne devenant définitif qu'à l'issue d'une période probatoire de six mois. Par un courrier du 30 octobre 2019, M. B... a dénoncé son contrat au cours de cette période probatoire. Par une décision du 12 décembre 2019, la ministre des armées l'a radié des contrôles à compter du 16 décembre 2019 et l'a par ailleurs informé qu'il était tenu au versement d'une somme de 72 467,78 euros correspondant au remboursement de ses frais de formation. Par un courrier du 31 mai 2021, la ministre des armées lui a rappelé son obligation de remboursement et l'a informé qu'un titre de perception lui serait adressé par la direction départementale des finances publiques (DDFIP). Le 8 septembre 2021, la DDFIP du Finistère a ainsi émis à son encontre un titre de recettes d'un montant de 72 467,78 euros. M. B... a contesté ce titre par un recours préalable le 3 décembre 2021 adressé à la DDFIP, qui l'a transmis à l'ordonnateur du ministère des armées. Son recours gracieux ayant été rejeté le 13 janvier 2022, M. B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, l'annulation de ce titre de recettes et, d'autre part, la décharge de l'obligation de payer la somme de 72 467,78 euros. Le ministre des armées relève appel du jugement du 20 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé le titre de perception émis le 8 septembre 2021 exigeant de M. B... le remboursement des frais de formation spécialisée à hauteur d'un montant de 72 467,78 euros et l'a déchargé de l'obligation de payer cette somme.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 4139-13 du code de la défense : " La démission du militaire de carrière ou la résiliation du contrat du militaire servant en vertu d'un contrat, régulièrement acceptée par l'autorité compétente, entraîne la cessation de l'état militaire. La démission ou la résiliation du contrat, que le militaire puisse bénéficier ou non d'une pension de retraite dans les conditions fixées au II de l'article L. 24 et à l'article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ne peut être acceptée que pour des motifs exceptionnels, lorsque, ayant reçu une formation spécialisée ou perçu une prime liée au recrutement ou à la fidélisation, le militaire n'a pas atteint le terme du délai pendant lequel il s'est engagé à rester en activité. / (...) ". Aux termes de l'article R. 4139-50 du même code : " Pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 4139-13, un arrêté conjoint du ministre de la défense et du ministre de l'intérieur fixe la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée. / Le militaire admis à une formation spécialisée s'engage à servir en position d'activité ou en détachement d'office, pour la durée fixée par l'arrêté mentionné au premier alinéa, à compter de la date d'obtention du titre validant la formation ou, à défaut, de la date de la fin de la formation. / (...) / Le lien au service exigé à l'issue d'une formation spécialisée n'est pas modifié en cas de changement de statut ". En outre, selon l'article R. 4139-51 de ce code : " Le militaire admis à suivre une formation spécialisée est tenu à un remboursement : / 1° Lorsqu'il ne satisfait pas à l'engagement prévu au deuxième alinéa de l'article R. 4139-50 ; / (...). / A moins qu'il en soit disposé autrement dans les statuts particuliers, le montant du remboursement est égal au total des rémunérations perçues pendant la période de formation spécialisée, affecté d'un coefficient multiplicateur dont le taux est fixé par l'arrêté mentionné au premier alinéa de l'article R. 4139-50. Ce montant décroît proportionnellement au temps obligatoire de service accompli à l'issue de cette formation spécialisée ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 8 août 2011 fixant la liste des formations spécialisées et la durée du lien au service qui leur est attachée, applicable à la date d'admission de M. B..., le 7 mai 2012, à la formation spécialisée pour l'obtention du brevet du personnel navigant air du second degré : " L'intitulé de la formation suivie, le lien au service exigé à l'issue de cette formation ainsi que le coefficient multiplicateur applicable en cas de rupture du lien au service sont portés à la connaissance du militaire, par écrit, par le formulaire joint en annexe IX, préalablement à l'admission à la formation spécialisée ". En outre, selon l'annexe V à cet arrêté, la durée du lien au service exigée à l'issue de la formation spécialisée " Brevet du personnel navigant air du 2e degré (BPN Air) " est de huit ans. Enfin, l'annexe IX prévoit l'existence d'un " Formulaire de reconnaissance relatif à l'admission à l'une des formations spécialisées fixées dans le présent arrêté " par lequel le candidat admis à une formation spécialisée " certifie avoir été informé(e) que je serai tenu(e) de rester en position d'activité ou en détachement d'office pendant une durée de ... à compter de la date de l'obtention du titre validant la formation ou, à défaut, de la date de la fin de la formation. En conséquence, je ne peux prétendre, sauf motifs exceptionnels, à une démission ou une résiliation de contrat, tant que je n'aurai pas atteint le terme du délai fixé ci-dessus (...) ".
4. Il résulte des dispositions précitées des articles R. 4139-50 et R. 4139-51 du code de la défense, précisées par l'arrêté du 8 août 2011, que la délivrance préalable, au militaire admis à une formation spécialisée, de l'information écrite relative à la durée pour laquelle il sera engagé à servir, à compter de la date d'obtention du titre validant la formation ou, à défaut, de la date de la fin de la formation, constitue une formalité substantielle de son consentement à ne pas rompre prématurément cet engagement et de l'obligation de remboursement à laquelle il est tenu en cas de rupture anticipée de celui-ci.
5. Il résulte de l'instruction que M. B... a conclu, le 17 novembre 2011, un acte d'engagement dans l'armée de l'air dans la spécialité " élève pilote ". Il a, dans ce cadre, à compter du 7 mai 2012, suivi une formation spécialisée à l'issue de laquelle il a obtenu, en mai 2015, son brevet du second degré du personnel navigant " air ". Il est constant que préalablement à son admission au cycle de formation spécialisée débutant le 5 mai 2012, M. B... n'a pas signé le formulaire auquel renvoie l'article 5 de l'arrêté du 8 août 2011 précité et il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait reçu une information équivalente par une autre voie, préalablement à son admission à cette formation. Dans ces conditions, à défaut pour M. B... d'avoir signé le formulaire de reconnaissance relatif à l'admission à l'une des formations spécialisées, prévu en annexe à l'arrêté du 8 août 2011, il ne peut être regardé comme s'étant engagé en toute connaissance de cause à respecter la durée de service lié à la formation suivie. Dès lors, il ne peut être tenu au remboursement des frais de formation spécialisée.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre des armées n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé le titre de perception émis le 8 septembre 2021 en vue du remboursement des frais de formation spécialisée à hauteur d'un montant de 72 467,78 euros, ensemble la décision du 13 janvier 2022 portant rejet de son recours administratif, et a déchargé M. B... de l'obligation de payer cette somme.
Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre des armées est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. A... B....
Copie en sera adressée à la direction départementale des finances publiques du Finistère.
Délibéré après l'audience publique du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 août 2024.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
Le président de la formation de jugement,
Signé : J-M. Guérin-Lebacq
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef, par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 23DA01630 2