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29/08/2024 | FRANCE | N°23DA01475

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 29 août 2024, 23DA01475


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler la décision du 29 septembre 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé l'association Temps de vie à procéder à son licenciement pour motif disciplinaire, la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique formé à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 29 septembre 2020 et la décision du 16 juillet 2021 par laquelle la minist

re du travail a expressément rejeté ce recours hiérarchique, et, d'autre part, de refus...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler la décision du 29 septembre 2020 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé l'association Temps de vie à procéder à son licenciement pour motif disciplinaire, la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique formé à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 29 septembre 2020 et la décision du 16 juillet 2021 par laquelle la ministre du travail a expressément rejeté ce recours hiérarchique, et, d'autre part, de refuser d'autoriser son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 2103909, 2106846 du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a donné acte à M. B... du désistement de ses conclusions tendant à ce que la juridiction refuse d'autoriser son licenciement et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 juillet 2023, le 11 décembre 2023, le 18 décembre 2023, le 15 janvier 2024, le 26 janvier 2024 et le 22 mai 2024, les deux derniers mémoires n'ayant pas été communiqués, M. B..., représenté par Me Bade, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 juin 2023 ;

2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 29 septembre 2020, de la décision implicite de la ministre du travail rejetant son recours hiérarchique et de la décision expresse du 16 juillet 2021 rejetant ce recours hiérarchique ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué a omis de répondre au moyen tiré du vice de forme dont est entachée la décision implicite rejetant son recours hiérarchique ;

- cette décision implicite est entachée d'un vice de forme dès lors que la ministre du travail n'a pas répondu à sa demande de communication des motifs de cette décision, en méconnaissance de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision du 29 septembre 2020 a été prise par une autorité incompétente ;

- les faits reprochés ne sont pas matériellement établis ;

- eu égard à leur degré de gravité, ces faits ne justifient pas un licenciement ;

- ce licenciement présente un lien avec ses fonctions de représentation.

Par des mémoires en défense enregistrés le 24 octobre 2023 et le 29 avril 2024, l'association Temps de vie, représentée par Me Sellier-Suty, conclut au rejet de la requête, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du requérant au titre des frais d'instance non compris dans les dépens exposés devant le tribunal administratif, et à ce qu'une somme de même montant soit mise à la charge du requérant sur le même fondement au titre des frais d'instance non compris dans les dépens exposés devant la cour.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

Par une ordonnance du 30 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 28 mai 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Bade, représentant M. B..., et de Me Sellier-Suty, représentant l'association Temps de vie.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été recruté en novembre 1993 par l'association Temps de vie, qui a pour objet la réalisation de missions de caractère social et sanitaire, pour occuper le poste de maître de maison, chargé des services généraux, de l'hygiène et du fonctionnement d'un établissement accueillant des enfants. Détenteur des mandats de délégué syndical et de représentant syndical au sein du comité social et économique, il a été mis en cause en raison de comportements inappropriés à l'égard de collègues, conduisant l'association Temps de vie à saisir l'inspection du travail, le 3 août 2020, d'une demande d'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 29 septembre 2020, l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement de M. B.... Celui-ci a présenté un recours hiérarchique le 25 novembre 2020 contre cette décision auprès de la ministre du travail. Par une première requête enregistrée sous le n° 2103909, M. B... a demandé au tribunal administratif de de Lille d'annuler la décision du 29 septembre 2020 et la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours hiérarchique. Par une seconde requête enregistrée sous le n° 2106846, l'intéressé a saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 29 septembre 2020 et de la décision explicite de la ministre du travail du 16 juillet 2021 rejetant son recours hiérarchique. Par un même jugement du 20 juin 2023, le tribunal administratif a joint ces deux demandes et les a rejetées. M. B... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. M. B... soutient que le tribunal administratif a omis de répondre à son moyen tiré du vice de forme dont est entachée la décision implicite rejetant son recours hiérarchique, dont il a vainement demandé la communication des motifs, dans les conditions prévues par l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, la ministre du travail a expressément rejeté ce recours hiérarchique par une décision du 16 juillet 2021 qui s'est substituée à la décision implicite initiale, de telle sorte que les conclusions à fin d'annulation de cette dernière décision devaient être regardées comme dirigées contre la seule décision explicite du 16 juillet 2021, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif au point 1 de son jugement. Il en résulte que la décision implicite de rejet ne peut plus être utilement contestée au motif que l'administration a méconnu les dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration en ne communiquant pas au requérant les motifs de sa décision implicite dans le délai d'un mois qu'elles lui impartissent. Les premiers juges, qui ont analysé le moyen précité dans les visas du jugement, l'ont implicitement écarté comme inopérant et, ce faisant, n'ont entaché leur décision d'aucune irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe des décisions contestées :

3. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que le moyen tiré du vice de forme dont est entachée la décision implicite rejetant le recours hiérarchique de M. B... doit être écarté comme inopérant.

4. En second lieu, il résulte des articles L. 2421-3 et R. 2421-1 du code du travail que la demande d'autorisation de licenciement d'un délégué syndical ou d'un représentant syndical au comité social et économique est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. Conformément à l'arrêté du 20 décembre 2019 portant organisation régionale du système d'inspection du travail et localisation et délimitation des unités de contrôle et des sections d'inspection du travail des Hauts-de-France, l'établissement dans lequel travaille M. B..., situé sur le territoire de la commune de Merville, dépend de l'inspecteur du travail de la section 01 de l'unité de contrôle 04 Lille-Ouest de l'unité départementale Nord-Lille. Par une décision du 16 septembre 2020 portant affectation des agents de contrôle dans les unités de contrôle et gestion des intérims de l'unité départementale du Nord Lille, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a désigné l'inspecteur du travail de la section 02 de l'unité de contrôle 04 et, en cas d'absence ou d'empêchement de ce dernier, l'inspectrice du travail de la section 03 de l'unité de contrôle 04 pour assurer l'intérim de leur collègue de la section 01 de la même unité de contrôle, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci. Mme C..., inspectrice de la section 03 de l'unité de contrôle 04, était donc compétente pour signer la décision du 29 septembre 2020 en l'absence des inspecteurs du travail des sections 01 et 02. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ces deux derniers inspecteurs n'auraient été ni absents, ni empêchés lors de la signature de la décision contestée, et M. B... ne produit à l'instance aucun élément en ce sens. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de Mme C... pour prendre la décision litigieuse doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne des décisions contestées :

5. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

6. En premier lieu, M. B... a reconnu, notamment au cours de l'enquête contradictoire conduite par l'inspectrice du travail avoir remis à une stagiaire, en 2017, une feuille comportant, d'un côté, la mention " pour toi le droit de cuissage rime avec c'est d'un autre d'âge ", suivie d'un dessin représentant un homme vêtu d'une peau de bête et muni d'un gourdin qui tient par les cheveux une femme en partie dénudée et trainée à terre, ce dessin étant suivi du mot " ou ", et, de l'autre côté de la feuille, la mention " droit de cuissage rime avec massage " avec un dessin représentant une femme dénudée allongée sur le ventre, sur laquelle un homme, seulement figuré par un torse lui-même dénudé, pratique un massage. Le requérant a également reconnu avois remis à une autre stagiaire, l'année suivante, un dessin représentant une princesse faisant un doigt d'honneur. S'il soutient que ce dessin était dépourvu de toute mention, il ressort du témoignage de sa destinataire qu'il était accompagné d'un texte se référant encore au droit de cuissage. Par suite, les faits reprochés, commis dans le cadre professionnel, sont établis et présentent un caractère fautif justifiant une sanction.

7. En deuxième lieu, les dessins remis à une stagiaire en 2017 mettent en scène des femmes dans des positions dégradantes et dénigrantes et suggèrent un droit du supérieur hiérarchique de disposer de ses collègues féminines placées sous son autorité. Ces dessins, auquel s'ajoute celui remis à une autre stagiaire l'année suivante, qui se réfère encore au droit de cuissage, révèlent de la part de M. B... un comportement déplacé et répété à connotation sexiste et sexuelle. Si M. B... fait état de son humour " décalé " et de ses bonnes relations avec l'une des stagiaires, laquelle a la qualité d'amie sur le réseau social Facebook, les témoignages versés au dossier indiquent que les dessins précités ont provoqué un malaise chez leurs destinataires, placées sous l'autorité du requérant. Les circonstances que M. B... travaillait depuis plusieurs années au sein de l'association Temps de vie sans qu'aucun écart de comportement antérieur n'ait été signalé, ainsi qu'il ressort des témoignages produits en sa faveur, qu'il n'ait pas d'antécédents disciplinaires, que la plainte déposée contre lui pour harcèlement sexuel ait été classée sans suite le 27 novembre 2020, et que certains collègues ayant témoigné contre lui ont ensuite été promus ne sont pas de nature à atténuer la gravité de son comportement à l'égard de jeunes collègues, eu égard en outre à l'obligation d'exemplarité inhérente aux fonctions de maître de maison assurées par le requérant, chargé d'encadrer des enfants et des adolescents. Dans ces conditions, les faits reprochés sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

8. En dernier lieu, M. B... soutient que son licenciement fait suite aux nombreuses actions qu'il a engagées en sa qualité de représentant du personnel. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la dénonciation de risques psychosociaux au sein de l'entreprise à partir de 2017 l'aurait particulièrement exposé auprès de l'employeur alors que les éléments qu'il produit sur ce point émanent du médecin du travail. Il n'est pas établi que la mise en œuvre d'un nouveau logiciel et la réduction du nombre de places dans l'établissement, en 2016, se trouveraient à l'origine d'un conflit avec la direction alors que, sur le second point, l'association Temps de vie fait valoir sans être utilement contredite qu'elle soutenait les revendications syndicales pour défendre les intérêts de l'établissement auprès du département du Nord. Les procès-verbaux du comité économique et social produits à l'instance ne révèlent pas une hostilité particulière de l'employeur à l'égard de M. B..., dont les interventions sont le plus souvent conduites conjointement avec celles d'autres représentants. Si un droit d'alerte a été exercé en 2019 auprès du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail, les éléments produits sur ce point indiquent qu'un autre représentant que le requérant en est à l'origine. M. B..., qui a changé de syndicat à l'occasion des élections professionnelles de 2019, n'établit pas l'existence de manœuvres associant l'employeur et les membres de son ancien syndicat pour obtenir son éviction de l'entreprise. A cet égard, le certificat établi le 27 décembre 2023 par la responsable du syndicat de M. B..., qui reprend pour l'essentiel les allégations de l'intéressé, ne démontre pas non plus que l'employeur aurait pris en compte d'autres considérations que les fautes disciplinaires pour prononcer son licenciement. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'un lien entre son licenciement et l'exercice de ses mandats de représentation doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

En ce qui concerne l'application de ces dispositions par le tribunal administratif :

10. Si la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif a été rejetée, de sorte que ce dernier devait être regardé comme la partie perdante au sens des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges ont fait une inexacte application de ces dispositions en rejetant, dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées sur leur fondement par l'association Temps de vie. Par suite, l'association n'est pas fondée à solliciter l'annulation du jugement attaqué sur ce point.

En ce qui concerne les conclusions présentées devant la cour sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association Temps de vie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. B... demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme dont l'association demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : L'appel incident de l'association Temps de vie et ses conclusions présentées en appel sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'association Temps de vie et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience publique du 2 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 août 2024.

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : D. BureauLe président de la formation de jugement,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 23DA01475


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01475
Date de la décision : 29/08/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Guerin-Lebacq
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : BADE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-08-29;23da01475 ?
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