Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 3 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée.
Par un jugement n° 2302616 du 10 novembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint de délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à l'avocate de Mme C... en application des dispositions de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- dès lors que Mme C..., au terme de cinq années d'études en France, n'a validé aucun diplôme, qu'elle s'est réorientée une première fois et qu'elle a redoublé deux fois en 1ère et en 3ème année de licence, elle ne peut être regardée comme justifiant d'une progression significative dans ses études, ni de leur sérieux ;
- si Mme C... a produit devant le tribunal administratif de Rouen un relevé de notes, pour l'année universitaire 2022/2023, attestant de sa réussite et de l'obtention de sa licence de psychologie, cette circonstance n'est pas de nature à infirmer l'appréciation quant au caractère sérieux du suivi de ses études et elle est en tout état de cause postérieure à l'arrêté attaqué ;
- c'est dès lors à tort que les premiers juges se sont fondés sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 9 de l'accord franco-gabonais du 2 décembre 1992 pour annuler l'arrêté du 3 avril 2023 pris à l'encontre de Mme C... ;
- aucun des autres moyens soulevés en première instance par l'intéressée n'était fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2024, Mme C..., représentée par Me Djehanne Elatrassi, conclut au rejet de la requête d'appel du préfet et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son avocate en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, ou subsidiairement une somme de 1 500 euros à lui verser directement en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la décision portant refus de séjour est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'incompétence dès lors qu'il n'est pas établi que son signataire disposait d'une délégation à cet effet ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 9 de la convention franco-gabonaise du 2 décembre 1992 et les dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors, en particulier, qu'elle ne peut pas être regardée comme ayant manqué de sérieux et d'assiduité dans le suivi de ses études ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de l'ancienneté de son séjour en France et de son parcours d'études sur le territoire ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle procède d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée par voie de conséquence de l'insuffisance de motivation de la décision de refus de séjour ;
- elle est entachée d'incompétence dès lors qu'il n'est pas établi que son signataire disposait d'une délégation à cet effet ;
- elle a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendue ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle procède d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'incompétence dès lors qu'il n'est pas établi que son signataire disposait d'une délégation à cet effet ;
- elle a été prise en méconnaissance de son droit d'être entendue ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le préfet ne démontre pas en quoi sa vie ne serait pas menacée en cas de retour dans son pays d'origine ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La clôture de l'instruction est intervenue automatiquement trois jours francs avant l'audience, dans les conditions prévues à l'article R. 613-2 du code de justice administrative.
Mme C... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention conclue le 2 décembre 1992 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République gabonaise relative à la circulation et au séjour des personnes ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., née le 30 janvier 1996, de nationalité gabonaise, est entrée en France le 17 septembre 2017 sous couvert d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ". Elle a été mise en cette même qualité en possession d'un titre de séjour, renouvelé sans interruption jusqu'au 14 novembre 2022. Elle en a sollicité le renouvellement le 31 août 2022. Par un arrêté du 3 avril 2023, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 10 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen, saisi d'une requête de Mme C..., a annulé cet arrêté et a enjoint de renouveler son titre de séjour dans un délai d'un mois.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 9 de la convention conclue le 2 décembre 1992 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République gabonaise relative à la circulation et au séjour des personnes : " Les ressortissants de chacune des Parties contractantes désireux de poursuivre des études supérieures ou d'effectuer un stage de formation de niveau supérieur sur le territoire de l'autre doivent, outre le visa de long séjour prévu à l'article 4, justifier d'une attestation d'inscription ou de préinscription dans l'établissement d'enseignement où s'effectue le stage, ainsi que, dans tous les cas, de moyens d'existence suffisants. / Ces dispositions ne font pas obstacle à la possibilité d'effectuer dans l'autre État d'autres types d'études ou de stages de formation dans les conditions prévues par la législation applicable ". Aux termes de l'article 12 de cette convention : " Les dispositions de la présente convention ne font pas obstacle à l'application des législations respectives des deux Parties contractantes sur l'entrée et le séjour des étrangers sur tous les points non traités par la convention ". Il résulte de ces stipulations que le renouvellement d'un titre de séjour portant la mention " étudiant " est conditionné par le caractère réel et sérieux du suivi de ses études par l'étranger.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est entrée en France en septembre 2017 pour suivre des études supérieures. A la suite de son échec en première année de licence en droit en 2017/2018, elle s'est réorientée vers une licence en psychologie, domaine dont elle n'a pas dévié depuis lors et dans lequel elle a progressé. Si elle n'avait certes pas encore obtenu le diplôme de licence lorsqu'elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour le 31 août 2022, il ressort des pièces du dossier qu'elle venait alors tout juste d'échouer à sa troisième année en totalisant une moyenne générale de 9,123 sur 20, proche du seuil d'admission. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'elle n'a jamais été défaillante aux examens, plusieurs attestations du corps enseignant produites faisant au contraire état de son assiduité aux enseignements. Il ressort en outre des pièces du dossier que Mme C..., réinscrite en troisième année de licence de psychologie au titre de l'année 2022/2023, venait, à la date de la décision attaquée, de valider le premier semestre de cette année avec une moyenne de 14,25 sur 20. Elle a par la suite obtenu le diplôme de licence au terme de cette année avec la mention " assez bien " et une moyenne générale de 13,013 sur 20, ce dont la juridiction peut tenir compte dès lors qu'il révèle l'assiduité et le sérieux dont Mme C... faisait preuve à la date à laquelle l'arrêté attaqué a été pris. Le préfet de la Seine-Maritime n'apporte aucun élément de nature à révéler que le suivi d'études ne serait pas le principal motif du séjour de Mme C... en France. Il en résulte qu'en retenant que Mme C... n'établissait pas le caractère réel et sérieux du suivi de ses études et en lui refusant pour ce motif le renouvellement du titre de séjour portant la mention " étudiant " qu'elle sollicitait, le préfet de la Seine-Maritime a méconnu les stipulations citées au point précédent. Le moyen en ce sens doit, dès lors, être accueilli.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 3 avril 2023 et a enjoint de délivrer à Mme C... le titre de séjour portant la mention " étudiant " sollicité par celle-ci. Ses conclusions d'appel tendant à l'annulation de ce jugement et au rejet de la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Rouen doivent, dès lors, être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
5. Mme C... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Djehanne Elatrassi, avocate de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Djehanne Elatrassi de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Elatrassi une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Elatrassi renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime, à Mme B... C... et à Me Djehanne Elatrassi.
Délibéré après l'audience publique du 9 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 août 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de la formation
de jugement,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA02229