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10/07/2024 | FRANCE | N°23DA01891

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 10 juillet 2024, 23DA01891


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2023 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2300661 du 12 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administrati

f de Lille a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2023 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2300661 du 12 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Héloïse Marseille, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2023 du préfet du Nord ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de procéder au réexamen de sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours et sous une astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît les articles L. 521-1, L. 521-7, L. 542-2 et R. 521-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant refus d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués au préfet du Nord qui n'a pas produit de mémoire en défense, malgré une mise en demeure adressée le 7 mai 2024.

Par une ordonnance en date du 28 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 juin 2024 à 12 heures.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 septembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;

- la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 25 juin 2020, Ministerio fiscal (C-36/20) ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 3 mai 1991, a été interpellé en situation irrégulière le 23 janvier 2023. Par un arrêté du même jour, le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 12 mai 2023, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes des deuxième et troisième alinéas du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " Lorsqu'une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande. / Si la demande de protection internationale est présentée à d'autres autorités qui sont susceptibles de recevoir de telles demandes, mais qui ne sont pas, en vertu du droit national, compétentes pour les enregistrer, les États membres veillent à ce que l'enregistrement ait lieu au plus tard six jours ouvrables après la présentation de la demande. " Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement ". L'article L. 521-7 du même code dispose que : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 311-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2 (...) ". L'article L. 542-2 du code précité prévoit que : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : (...) 2° Lorsque le demandeur : (...) c) présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; d) fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un Etat autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale ". Aux termes de l'article L. 541-1 de ce même code : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français ", et de l'article L. 541-2 du même code : " L'attestation délivrée en application de l'article L. 521-7, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile statuent ". Aux termes de l'article L. 542-3 du même code : " Lorsque le droit au maintien sur le territoire français a pris fin dans les conditions prévues aux articles L. 542-1 ou L. 542-2, l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 521-4 du même code : " Lorsque l'étranger se présente en personne auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, en vue de demander l'asile, il est orienté vers l'autorité compétente ".

3. Par son arrêt susvisé du 25 juin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'il ressort des deuxième et troisième alinéas du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive 2013/32/UE que les " autres autorités " au sens de cette directive, au nombre desquelles figurent les services de police, sont tenues, d'une part, d'informer les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière des modalités d'introduction d'une demande de protection internationale et, d'autre part, lorsqu'un ressortissant a manifesté sa volonté de présenter une telle demande, de transmettre le dossier à l'autorité compétente aux fins de l'enregistrement de la demande. Aux termes des dispositions combinées des articles L. 521-1 et R. 521-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui assurent la transposition de la directive 2013/32/UE, les services de police sont tenus de transmettre au préfet, et ce dernier d'enregistrer, la demande d'asile formulée par un étranger au cours de son audition par ces services.

4. Par son arrêt, la Cour de justice a également dit pour droit, d'une part, que l'acquisition de la qualité de demandeur de protection internationale ne saurait être subordonnée ni à l'enregistrement ni à l'introduction de la demande, d'autre part, que le fait, pour un ressortissant d'un pays tiers, de manifester sa volonté de demander la protection internationale devant une " autre autorité ", au sens du deuxième alinéa du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive 2013/32/UE, suffit à lui conférer la qualité de demandeur de protection internationale et, enfin, que la situation d'un tel demandeur de protection internationale ne saurait relever, à ce stade, du champ d'application de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

5. Il ressort des pièces du dossier que, lors de son audition par les services de police, le 23 janvier 2023, M. B... a déclaré avoir quitté son pays d'origine en raison de menaces dont il aurait fait l'objet et a indiqué à deux reprises vouloir demander l'asile. Il a ainsi manifesté, sans équivoque, sa volonté de demander l'asile lors de cette audition, ce que le préfet du Nord a d'ailleurs admis dans les motifs de l'arrêté contesté. Le préfet ne soutient pas que le requérant entrait dans les cas de refus de délivrance de l'attestation de demande d'asile limitativement prévus par l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionné ci-dessus, ce qui ne ressort par ailleurs d'aucun élément du dossier. En outre, la circonstance, relevée par le préfet dans l'arrêté litigieux, que M. B... n'aurait entamé aucune démarche depuis son arrivée en France, qui remonte au demeurant à seulement un peu plus de quatre mois, ne permettait pas de refuser l'enregistrement de sa demande d'asile mais seulement de placer l'examen de celle-ci en procédure accélérée. Il s'ensuit que M. B... bénéficiait du droit de se maintenir sur le territoire français dans les conditions fixées par l'article L. 541-1 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès le moment où il a manifesté sa volonté de demander l'asile lors de son audition du 23 janvier 2023. Dès lors que M. B... ne pouvait pas, en l'espèce, faire l'objet d'une mesure d'éloignement avant qu'il ne soit statué sur sa demande d'asile. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet du Nord du 23 janvier 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et, par voie de conséquence, celle des décisions du même jour fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Le présent arrêt annulant l'obligation faite à l'intéressé de quitter le territoire français et les décisions subséquentes implique nécessairement, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet du Nord délivre, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, à M. B... une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu, en l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

8. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Héloïse Marseille, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de celui-ci le versement à Me Héloïse Marseille de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2300661 du 12 mai 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 23 janvier 2023 du préfet du Nord est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, une autorisation provisoire de séjour à M. B....

Article 4 : L'Etat versera à Me Héloïse Marseille une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Héloïse Marseille renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord et à Me Héloïse Marseille.

Délibéré après l'audience publique du 25 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- M. Guillame Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de la formation

de jugement,

Signé : M. C...

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

N°23DA01891 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01891
Date de la décision : 10/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Baronnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : MARSEILLE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-10;23da01891 ?
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