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10/07/2024 | FRANCE | N°23DA00890

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 10 juillet 2024, 23DA00890


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner solidairement le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance à lui verser la somme totale de 514 265,89 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises par cet établissement lors de l'intervention de chirurgie orthopédique du 6 juin 2012.



Par un jugement n° 2004179 du 26 mars 2023, le tribunal administratif d'

Amiens a condamné solidairement le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner solidairement le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance à lui verser la somme totale de 514 265,89 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises par cet établissement lors de l'intervention de chirurgie orthopédique du 6 juin 2012.

Par un jugement n° 2004179 du 26 mars 2023, le tribunal administratif d'Amiens a condamné solidairement le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance à verser à Mme C... la somme de 126 881,62 euros au titre de la réparation de ses préjudices et a condamné le centre hospitalier de Saint-Quentin à verser à l'intéressée la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 mai 2023, 22 janvier 2024 et 12 février 2024, Mme C..., représentée par Me Sylvie Racle, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en portant le montant de la condamnation solidaire du centre hospitalier de Saint-Quentin et de la société Relyens Mutual Insurance à 516 265,88 euros ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Quentin est engagée à raison des fautes commises lors de l'intervention du 6 juin 2012 ; ainsi que la commission régionale de conciliation et d'indemnisation l'avait d'ailleurs retenu dans son avis, ces fautes sont à l'origine directe et certaine de l'ensemble des complications qu'elle a rencontrées et des séquelles qu'elle a conservées, en particulier l'instabilité de son épaule, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire application d'un coefficient de perte de chance de 90 % ;

- elle est fondée à solliciter, au titre de la réparation de ses préjudices, les indemnités suivantes : 2 277,07 euros au titre des pertes de gains professionnels actuelles, 3 900 euros au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire, 2 650,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 6 000 euros au titre des souffrances endurées, 15 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 303 898,17 euros au titre des pertes de gains professionnels actuelles, 31 200 euros au titre de l'assistance par une tierce personne permanente, 60 000 euros au titre des frais de véhicule adapté, 49 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément et 10 000 euros au titre du préjudice sexuel.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 décembre 2023 et 14 février 2024, le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance, représentés par le cabinet Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête d'appel de Mme C... et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en ramenant le montant de leur condamnation à de plus justes proportions.

Ils soutiennent que :

- dès lors que, compte tenu de la gravité du traumatisme initial qu'elle avait subi, Mme C... aurait pu conserver des séquelles même en cas de prise en charge conforme aux règles de l'art, les fautes commises par l'établissement doivent seulement être regardées comme étant à l'origine d'une perte de chance de 90 % ;

- les préjudices de Mme C... doivent être évalués, avant application du coefficient de perte de chance, de la manière suivante : 2 107,45 euros au titre des pertes de gains professionnels actuelles, 2 571 euros, sur la base d'un taux horaire de 12 euros ou, subsidiairement, 3 000 euros sur la base d'un taux horaire de 14 euros au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire, l'assistance par une tierce personne permanente doit être évaluée sur la base d'un taux horaire de 12 euros, 1 740 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire sur la base d'un coefficient de 13 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire total, 3 000 euros au titre des souffrances endurées, 1 800 euros au titre du préjudice esthétique permanent ; l'indemnisation du préjudice esthétique temporaire, des pertes de gains professionnels postérieures au 21 janvier 2016, des frais de véhicule adapté, du préjudice d'agrément et du préjudice sexuel doit être écartée.

La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Aisne, à laquelle Mme C... est affiliée, qui n'a pas produit de mémoire.

Par ordonnance du 12 mars 2024, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 28 mars 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gilles Ponchon, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., née le 25 mai 1979, a été victime, le 17 février 2012, d'un accident du travail au cours duquel elle a subi un traumatisme violent à l'épaule droite. Elle a été prise en charge par le service des urgences du centre hospitalier de Guise qui a procédé à une immobilisation de son bras droit par une attelle coude au corps pendant une semaine et a prescrit des séances de rééducation. Devant la persistance de ses douleurs et de ses troubles fonctionnels, Mme C... a réalisé divers examens et a été orientée par son médecin traitant vers un chirurgien orthopédique du centre hospitalier de Saint-Quentin. Celui-ci a proposé un geste chirurgical, dit " D... ". L'intervention a été réalisée au centre hospitalier de Saint-Quentin le 6 juin 2012. Mme C... a été autorisée à regagner son domicile le 8 juin suivant. Les suites opératoires ont été marquées par la réapparition et la majoration des douleurs et des troubles fonctionnels ainsi que le développement de deux complications : une algodystrophie dont les effets ont perduré jusqu'à l'été 2013 et une thrombophlébite humérale droite imposant le suivi d'un traitement anticoagulant à titre viager. Mme C... a conservé des douleurs et une limitation fonctionnelle de l'épaule droite ainsi qu'un retentissement psychologique.

2. Souhaitant faire la lumière sur les conditions de sa prise en charge par le centre hospitalier de Saint-Quentin, Mme C... a saisi, le 25 mars 2014, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de Picardie, qui a sollicité une expertise médicale, dont le rapport a été établi le 2 novembre 2014. Par un avis du 14 janvier 2015, la CRCI a estimé que la réparation incombait à l'assureur du centre hospitalier de Saint-Quentin en raison des fautes commises à l'occasion de la prise en charge de Mme C.... A la suite d'une demande indemnitaire préalable formée par Mme C... le 30 septembre 2019, la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), depuis devenue la société Relyens Mutual Insurance, lui a adressé, par un courrier du 5 juin 2020, une proposition d'indemnisation d'un montant de 72 734 euros. Mme C... l'a refusée et a saisi le tribunal administratif d'Amiens, le 30 décembre 2020, d'une requête indemnitaire tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Saint-Quentin et de la société Relyens Mutual Insurance à lui verser une somme totale de 514 265,89 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

3. Par un jugement du 26 mars 2023, le tribunal administratif d'Amiens, retenant que le centre hospitalier de Saint-Quentin avait commis des fautes lors de la prise en charge de Mme C... à l'origine d'une perte de chance de 90 % d'éviter les complications et séquelles qu'elle a conservées, a condamné solidairement l'établissement et la société Relyens Mutual Insurance à verser à l'intéressée la somme de 126 881,62 euros. Mme C... relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme précitée et demande à la cour de la porter à 516 265,88 euros. Le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance concluent au rejet de la requête de Mme C... et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, de ramener le montant de la condamnation prononcée à leur encontre à de plus justes proportions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Quentin :

S'agissant de la faute :

4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I.- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...) ".

5. Mme C... réitère qu'elle n'a pas bénéficié d'une prise en charge conforme aux règles de l'art. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour la cour, par adoption des motifs exposés aux points 2 à 6 du jugement attaqué, de retenir que le diagnostic d'instabilité de l'épaule droite était erroné, que l'intervention réalisée le 6 juin 2012 était prématurée et non indiquée et que Mme C... n'a été informée ni des risques de l'intervention, ni des alternatives thérapeutiques possibles. Il s'ensuit que le centre hospitalier de Saint-Quentin doit être regardé comme ayant commis des fautes de nature à engager sa responsabilité, ce que celui-ci n'a contesté ni devant le tribunal administratif d'Amiens ni devant la cour.

S'agissant de la perte de chance :

6. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

7. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que l'intervention réalisée le 6 juin 2012 n'a permis de résorber ni les douleurs de Mme C... ni les troubles fonctionnels de son épaule droite. Mme C... a en outre développé deux complications connues de cette chirurgie : une algodystrophie dont les effets ont perduré jusqu'à l'été 2013 et une thrombophlébite humérale droite imposant le suivi d'un traitement anticoagulant à titre viager. Mme C... a conservé des douleurs et une limitation fonctionnelle de son épaule, à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent que l'expert a évalué à 25 %.

8. Toutefois, il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que, même si Mme C... avait été prise en charge conformément aux règles de l'art et n'avait pas été exposée à l'intervention inutile réalisée le 6 juin 2012 et aux risques d'échec ou de complication de celle-ci, elle n'était pas certaine, compte tenu de la gravité des séquelles du traumatisme du 17 février 2012, d'obtenir des résultats satisfaisants et de retrouver l'usage normal de son épaule droite. Il résulte en effet des mentions de son rapport que l'expert a estimé que la probabilité que la prise en charge conforme aux règles de l'art soit un échec et que Mme C... conserve des séquelles était de 10 %. Si Mme C... conteste cette appréciation en appel, elle ne démontre ni que la probabilité retenue par l'expert est erronée, ni que les séquelles qu'elle a conservées de l'échec et des complications de l'intervention inutile du 6 juin 2012 et celles qu'elle aurait pu conserver de l'échec d'une prise en charge conforme aux règles de l'art n'auraient pas été du même ordre.

9. Il résulte de ce qui précède que, si les fautes commises par le centre hospitalier de Saint-Quentin ont fait perdre à Mme C... une chance de refuser l'intervention, d'éviter son échec et ses complications et de bénéficier d'alternatives thérapeutiques, elle ne pouvait en revanche pas se soustraire à un risque de 10 %, inhérent au violent traumatisme de l'épaule droite dont elle a été victime le 17 février 2012, de conserver des séquelles comparables. Il s'ensuit que les fautes commises par le centre hospitalier de Saint-Quentin doivent être regardées comme ayant seulement fait perdre à Mme C... une chance d'éviter ses séquelles de 90 %. C'est donc dans cette seule proportion que le centre hospitalier de Saint-Quentin et son assureur, la société Relyens Mutual Insurance, doivent être condamnés à indemniser les préjudices de Mme C....

En ce qui concerne la liquidation des préjudices :

10. Il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014 qui n'est, sur ce point, contesté par aucune des parties, que l'état de santé de Mme C... doit être regardé comme consolidé à la date du 3 septembre 2013.

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

Quant aux pertes de gains professionnels actuelles :

11. Il résulte de l'instruction que Mme C... occupait depuis 2008, dans une enseigne de la grande distribution, un poste de caissière gondolière polyvalente sous contrat à durée indéterminée. Elle a été placée en arrêt de travail à la suite de l'accident de travail et du traumatisme de son épaule droite survenus le 17 février 2012. Mme C... était toujours en arrêt de travail à la date de l'intervention fautive, le 6 juin 2012. Il ne résulte pas de l'instruction que, même si cette intervention n'avait pas eu lieu et si Mme C... avait été prise en charge conformément aux règles de l'art, les séquelles conservées de l'accident initial auraient alors permis son retour en service. L'expert mentionne dans son rapport établi le 2 novembre 2014 que les séquelles causées par le traumatisme initial avaient " des chances de guérir, soit médicalement, soit après un traitement chirurgical décompressif, sur une durée que l'on peut évaluer entre six et douze mois ". S'agissant plus particulièrement de l'imputabilité de l'arrêt de travail aux fautes du centre hospitalier de Saint-Quentin, l'expert retient que, s'il est " imputable à l'intervention " pendant la période d'hospitalisation correspondante du 6 au 8 juin 2012, il n'est en revanche, pour la période ultérieure, entre le 9 juin 2012 et la date de consolidation, que " partiellement imputable à la pathologie et à l'indication erronée ". Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l'arrêt de travail de Mme C... est imputable à l'accident du travail du 17 février 2012 jusqu'à l'expiration d'un délai de huit mois suivant la survenue de celui-ci, soit jusqu'au 17 octobre 2012, et qu'il n'est imputable aux complications et séquelles conservées de l'intervention inutilement subie qu'au-delà de cette date.

12. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance ne sont tenus d'indemniser les pertes de gains professionnels temporaires subies par Mme C... qu'entre le 17 octobre 2012 et le 3 septembre 2013, date de consolidation. Il résulte de l'instruction, notamment des avis d'impôt sur les revenus établis au titre des deux années précédant celle du dommage, que Mme C... a perçu 14 691 euros de revenus salariaux en 2010 et 13 486 euros en 2011, soit un salaire moyen de 1 174 euros nets par mois ou 38,49 euros nets par jour. Il en résulte qu'entre le 17 octobre 2012 et le 3 septembre 2013, soit 322 jours, elle aurait dû percevoir un total de 12 393,78 euros de revenus salariaux. Il résulte également de l'instruction que, sur cette même période, Mme C... a uniquement perçu des indemnités journalières de 35,59 euros, soit un total de 11 459,98 euros. Il en résulte des pertes de gains professionnels actuelles de 933,80 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 90 % mentionné au point 9, il y a lieu de lui accorder une indemnité à ce titre d'un montant de 840,42 euros.

Quant à l'assistance par une tierce personne temporaire :

13. Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail. Afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail, il y a lieu, ainsi d'ailleurs que le prévoit le référentiel de l'ONIAM, de calculer l'indemnisation sur la base d'une année de 412 jours.

14. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que l'état de Mme C... a nécessité, entre son retour à domicile, le 9 juin 2012, et la date de consolidation de son état de santé, le 3 septembre 2013, du fait des douleurs et de l'immobilisation de son épaule droite, une aide non spécialisée d'une tierce personne pour accomplir les actes de la vie courante de trois heures par semaine. Toutefois, il résulte également de l'instruction, ainsi qu'il a déjà été dit au point 11, que Mme C..., avant l'intervention, subissait déjà des douleurs et troubles fonctionnels de l'épaule droite depuis la survenue du traumatisme initial le 17 février 2012 et que, même si l'intervention fautive n'avait pas été réalisée, leurs effets se seraient encore fait sentir au-delà du 6 juin 2012. L'expert retient d'ailleurs que le besoin d'aide par une tierce personne est " imputable à la complication à partir du 4ème mois ". Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le besoin d'aide par une tierce personne de trois heures par semaine est imputable à l'accident du travail du 17 février 2012 jusqu'au 17 octobre 2012, et qu'il n'est imputable aux complications et séquelles conservées de l'intervention inutilement subie qu'au-delà de cette date.

15. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance ne sont tenus d'indemniser l'assistance par une tierce personne temporaire qu'entre le 17 octobre 2012 et le 3 septembre 2013, date de consolidation, soit 46 semaines qu'il y a lieu de porter à 52,2 pour tenir compte des dimanches, jours fériés et jours de congés, ainsi qu'il a été dit au point 13. Compte tenu des besoins d'assistance par une tierce personne non spécialisée rappelés au point précédent, d'un montant moyen de 14 euros par heure, qui, contrairement à ce que soutient Mme C..., est représentatif des valeurs du salaire minimum interprofessionnel de croissance et des taux moyens des cotisations sociales obligatoires sur cette période, et de ce qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle ait perçu des prestations destinées à financer une aide humaine, il sera fait une exacte évaluation du coût de l'assistance par une tierce personne temporaire en le fixant à la somme de 2 192,40 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 90 % mentionné au point 9, il y a lieu de lui accorder une indemnité à ce titre d'un montant de 1 973,16 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

16. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que Mme C... a subi, en lien avec les fautes du centre hospitalier de Saint-Quentin, un déficit fonctionnel temporaire de 100 % du 6 au 8 juin 2012, soit trois jours, puis de 25 % du 9 juin 2012 au 3 septembre 2013, soit 452 jours. En se fondant sur les périodes et cotations ainsi retenues par l'expert et sur un montant de 13,50 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire total, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme C... en lui allouant, après application du coefficient de perte de chance de 90 %, une indemnité de 1 409,40 euros.

Quant aux souffrances endurées :

17. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que Mme C... a subi, du fait des erreurs du centre hospitalier de Saint-Quentin, une intervention chirurgicale qui n'était pas nécessaire, alors qu'elle aurait pu bénéficier d'une prise en charge médicale moins douloureuse. Elle a en outre développé des complications spécifiques à cette intervention. Les souffrances, physiques et morales, ainsi endurées par Mme C... ont été évaluées par l'expert à 3 sur 7. Dès lors que Mme C... n'aurait pas été exposée à une telle intervention si elle avait été prise en charge dans des conditions conformes aux règles de l'art, les souffrances endurées doivent être regardées comme étant entièrement en lien avec la faute du centre hospitalier de Saint-Quentin et il n'y a pas lieu d'appliquer le coefficient de perte de chance de 90 %. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par Mme C... en lui allouant une indemnité de 3 500 euros.

Quant au préjudice esthétique temporaire :

18. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que Mme C... a conservé trois cicatrices de l'intervention du 6 juin 2012. La convalescence a nécessité, pendant trois semaines, une immobilisation de son bras droit par une attelle coude au corps. Elle a conservé par la suite des difficultés de mobilité de son épaule droite et a développé une amyotrophie. Il en résulte un préjudice esthétique temporaire qui a été évalué par l'expert à 0,5 sur 7. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme C... en lui allouant, après application du coefficient de perte de chance de 90 %, une indemnité de 720 euros.

S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :

Quant aux pertes de gains professionnels futures :

19. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 11, Mme C... occupait depuis 2008, dans une enseigne de la grande distribution, un poste de caissière gondolière polyvalente sous contrat à durée indéterminée. Il résulte tant du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014 que des examens réalisés les 1er et 15 octobre 2016 par le médecin du travail que les séquelles conservées par Mme C... s'opposent à la reprise de cette activité. Elle a été licenciée par son employeur à compter du 21 janvier 2016. Toutefois, si elle a ultérieurement été admise au bénéfice d'une rente d'invalidité puis de l'allocation aux adultes handicapés, il ne résulte pour autant pas de l'instruction qu'elle soit totalement et définitivement inapte à l'exercice de toute activité professionnelle. L'expert retient, dans son rapport, qu'une reconversion sur un poste de type administratif est envisageable. De la même manière, le médecin du travail a considéré qu'un reclassement pouvait être envisagé sur un poste permettant de ne pas solliciter l'épaule droite et de peu solliciter l'épaule gauche, tels que des petits travaux manuels sur plan de travail dans le périmètre de l'avant-bras ou des travaux administratifs, informatiques ou de contrôle qualité. Il résulte également de l'instruction qu'avant son licenciement, l'employeur avait proposé à Mme C... un reclassement sur un poste de conseillère de vente, qui avait recueilli l'avis favorable des délégués du personnel et du médecin du travail, mais qu'elle l'a refusé. Alors qu'elle était âgée de seulement 34 ans à la date de consolidation de son état de santé et que le déficit fonctionnel permanent de 25 % qu'elle conserve est concentré au niveau de l'épaule et du bras droits, qui n'est pas chez elle le bras dominant puisqu'elle est gauchère, elle ne justifie d'aucune considération de nature à faire obstacle à une reconversion professionnelle adaptée à son état de santé et susceptible de lui procurer le même niveau de ressources qu'antérieurement à la survenue du dommage. Dans ces conditions, les pertes de gains professionnels futures qu'elle dit subir ne peuvent être regardées comme étant en lien direct et certain avec les fautes commises par le centre hospitalier de Saint-Quentin au-delà du 21 janvier 2016, date de son licenciement.

20. Il s'ensuit qu'il y a lieu de considérer une indemnisation par le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance uniquement au titre de la période courant du 4 septembre 2013, lendemain de la consolidation de l'état de santé de Mme C..., au 21 janvier 2016, date de son licenciement, soit 870 jours. Ainsi qu'il a été dit au point 12, il y a lieu de considérer que Mme C... percevait dans son emploi, antérieurement au dommage, un salaire moyen de 1 174 euros nets par mois ou 38,49 euros nets par jour. Il en résulte qu'entre le 4 septembre 2013 et le 21 janvier 2016, elle aurait dû percevoir un total de 33 486,30 euros de revenus salariaux. Il résulte également de l'instruction que, sur cette même période, Mme C... a perçu des indemnités journalières de 35,59 euros entre le 4 septembre 2013 et le 25 septembre 2015 et des indemnités journalières de 24,33 euros entre le 2 octobre 2015 et le 1er novembre 2015, soit un total de 27 517,91 euros. Il résulte également de l'instruction qu'elle a en outre perçu, à compter du 26 septembre 2015, une rente d'invalidité d'un montant de 4 109,30 euros par an ou 11,26 euros par jour, soit un total, jusqu'au 21 janvier 2016, de 1 328,49 euros. Il en résulte donc, sur cette période, des pertes de gains professionnels de 4 639,90 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 90 % mentionné au point 9, il y a lieu de lui accorder une indemnité à ce titre d'un montant de 4 175,91 euros.

Quant à l'assistance par une tierce personne permanente :

21. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que Mme C... a nécessité, pendant les cinq années ayant suivi la consolidation de son état de santé, l'aide d'une tierce personne non spécialisée. Ce besoin d'aide par une tierce personne a été évalué par l'expert à trois heures par semaine. Mme C... n'apporte aucun élément de nature à établir que ce besoin a été sous-évalué. Compte tenu de cette évaluation, d'un montant moyen de 14 euros par heure, qui, contrairement à ce que soutient Mme C..., est représentatif des valeurs du salaire minimum interprofessionnel de croissance et des taux moyens des cotisations sociales obligatoires sur cette période, d'un nombre de semaines indemnisables de 59 par an, pour tenir compte des dimanches, jours fériés et jours de congés, ainsi qu'il a été dit au point 13, et de ce qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle ait perçu des prestations destinées à financer une aide humaine, il sera fait une exacte évaluation du coût de l'assistance par une tierce personne permanente en le fixant à la somme de 12 432 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 90 % mentionné au point 9, il y a lieu de lui accorder une indemnité à ce titre d'un montant de 11 188,80 euros.

Quant aux frais de véhicule adapté :

22. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que Mme C... conserve de l'échec et des complications de l'intervention fautive du 6 juin 2012 des douleurs et troubles de la mobilité de l'épaule droite, à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent évalué par l'experts à 25 %. Ces gênes fonctionnelles justifient le recours, pour la conduite automobile, à un véhicule à embrayage automatique et disposant d'une boule multifonctions au volant. L'indemnisation du surcoût auquel est exposée Mme C... à l'occasion de l'acquisition de chacun de ses véhicules doit être mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin. Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu des justificatifs apportés par Mme C... pour la première fois en appel, il sera fait une juste appréciation de ce surcoût en l'évaluant à 4 000 euros par véhicule, dont 1 500 euros au titre de l'embrayage automatique et 2 500 euros au titre de la boule multifonctions au volant. Dès lors qu'il ressort des mêmes justificatifs que Mme C... a pour la première fois fait l'acquisition d'un véhicule à embrayage automatique en 2017, sans faire réaliser à ce stade l'aménagement de la boule multifonctions au volant, il y a lieu de lui allouer une indemnité de 1 500 euros au titre de cette acquisition et de capitaliser son préjudice futur à compter de cette date. Compte tenu d'une fréquence de renouvellement d'un véhicule tous les dix ans, ainsi qu'elle le demande, il y a lieu d'évaluer à 400 euros le préjudice annuel qu'elle subit. Sur la base du coefficient de 47,696 applicable à une femme âgée de 38 ans selon le barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022 incluant un taux d'actualisation de 0 %, lequel correspond le mieux aux données économiques prévalant à la date du présent arrêt, il sera fait une juste appréciation du montant du préjudice futur subi par Mme C... en l'évaluant à la somme de 19 078,40 euros. Il en résulte donc un préjudice total de 20 578,40 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 90 % mentionné au point 9, il y a lieu de lui accorder une indemnité à ce titre d'un montant de 18 520,56 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

23. Aucune des parties ne conteste en appel l'indemnité de 49 000 euros allouée par les premiers juges au titre du déficit fonctionnel permanent.

Quant au préjudice esthétique permanent :

24. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 2 novembre 2014, que Mme C... a conservé trois cicatrices de l'intervention du 6 juin 2012. Elle conserve en outre des difficultés de mobilité de son épaule droite et a développé une amyotrophie. Il en résulte un préjudice esthétique permanent qui a été évalué à 0,5 sur 7 par l'expert et à 2 sur 7 par la CRCI. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme C... en lui allouant, après application du coefficient de perte de chance de 90 %, une indemnité de 1 620 euros.

Quant au préjudice d'agrément :

25. Pour demander une indemnité de 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément, Mme C... se borne à se prévaloir, comme en première instance, de ce qu'elle ne peut plus reprendre ses activités de loisir, notamment avec sa famille, comme la marche, le vélo, la gymnastique, les visites de parcs d'attraction et le jardinage. Toutefois, elle n'établit pas, par les documents qu'elle produit, que ces activités avaient, avant la survenue du dommage, une place prépondérante dans sa vie ou ses loisirs. Ces conséquences du dommage sont au nombre des limitations de ses fonctions physiologiques, pertes de qualité de vie et troubles dans ses conditions d'existence qui ont déjà été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent. Alors que son déficit fonctionnel permanent est évalué à 25 % et est concentré au niveau de l'épaule et du bras droits, elle ne justifie pas de l'impossibilité de réaliser toute autre activité de loisir avec ses proches. Dès lors, le préjudice d'agrément qu'elle invoque n'est pas établi et elle n'est pas fondée à en demander l'indemnisation.

Quant au préjudice sexuel :

26. Les troubles fonctionnels de l'épaule droite conservés par Mme C... n'empêchent par eux-mêmes ni la réalisation de l'acte sexuel, ni la procréation. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que ces troubles nuisent en continu et en permanence à la qualité de ses rapports sexuels. La seule circonstance qu'elle ait divorcé postérieurement à la survenue du dommage ne suffit pas non plus à l'établir. Le préjudice sexuel qu'elle invoque n'est donc pas établi et elle n'est pas fondée à en demander l'indemnisation.

27. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est seulement fondée à demander la condamnation solidaire du centre hospitalier de Saint-Quentin et de la société Relyens Mutual Insurance à lui verser une indemnité totale de 88 048,25 euros. Il s'ensuit que, dans le cadre de la présente instance, elle n'est pas fondée à demander la réformation du jugement attaqué du 16 mars 2023 et la majoration de la condamnation solidaire qu'il prononce à l'encontre du centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance. Sa requête doit, dès lors, être rejetée. Le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance sont en revanche fondés, par la voie de l'appel incident, à demander à la cour que la somme de 126 881,62 euros qu'ils ont été condamnés à verser solidairement à Mme C... soit ramenée à 88 048,25 euros.

Sur les frais liés au litige :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : La somme de 126 881,62 euros que le centre hospitalier de Saint-Quentin et la société Relyens Mutual Insurance ont été solidairement condamnés à verser à Mme C... est ramenée à 88 048,25 euros (quatre-vingt-huit-mille-quarante-huit euros et vingt-cinq centimes).

Article 3 : Le jugement n° 2004179 du 16 mars 2023 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au centre hospitalier de Saint-Quentin, à la société Relyens Mutual Insurance et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne.

Délibéré après l'audience publique du 25 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de la formation

de jugement,

Signé : M. B...La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°23DA00890


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00890
Date de la décision : 10/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Baronnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : RACLE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-10;23da00890 ?
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