Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Axima Concept a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille à lui verser, d'une part, la somme de 566 061,15 euros en réparation des préjudices résultant de la résiliation, pour un motif d'intérêt général, du marché dont elle était titulaire, cette somme étant assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts, et, d'autre part, l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros en application de l'article 40 de la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013.
Par un jugement n° 2004599 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er août 2023, la société Axima Concept, représentée par Me Mouriesse, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juin 2023 ;
2°) de condamner le CHU de Lille à lui verser la somme de 566 061,15 euros toutes taxes comprises en réparation des préjudices résultant de la résiliation, pour un motif d'intérêt général, du marché dont elle était titulaire, cette somme étant assortie des intérêts moratoires, des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de condamner le CHU de Lille à lui verser l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros en application de l'article 40 de la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 ;
4°) de mettre à la charge du CHU de Lille une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a statué infra petita, omettant de répondre aux moyens tirés de la résiliation partielle du marché pour un motif d'intérêt général et de la modification substantielle du contrat ;
- l'ordre de service n° 38 portant suppression de la construction du bâtiment SAMU/SMUR/CAP ne constitue pas une simple diminution de la masse des travaux prévus mais doit être considéré comme un acte de résiliation partielle du marché ;
- même en l'absence de stipulations contractuelles sur ce point, le pouvoir adjudicateur peut décider de résilier une phase prévue par un marché public de travaux, pour un motif d'intérêt général, ouvrant droit à l'indemnisation des préjudices en résultant pour le titulaire ;
- cette résiliation partielle, qui se définit comme une restriction de l'objet du marché, est sans rapport avec la diminution du montant des travaux, prévue par l'article 16.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés de travaux, qui n'affecte que la consistance des ouvrages ;
- la construction du bâtiment neuf SAMU/SMUR/CAP, prévue au titre d'une cinquième phase de la tranche ferme, fait partie intégrante de l'objet du marché, et la restriction apportée à celui-ci lui ouvre droit à indemnisation en application de l'article 46.4 du CCAG applicable aux marchés de travaux ;
- la restriction de l'objet du marché s'apprécie indépendamment du montant de la diminution des travaux, de la superficie supprimée ou d'un lien éventuel avec les autres constructions du projet ;
- le maître d'ouvrage ne saurait se prévaloir de l'absence d'ordre de service prescrivant le commencement des travaux litigieux pour refuser l'indemnisation des frais et investissements engagés pour leur réalisation ;
- elle a droit au paiement d'une indemnité de résiliation pour un montant de 38 318,85 euros hors taxes ;
- elle a également droit au paiement du montant des frais et investissements engagés pour l'exécution de cette cinquième phase pour un montant de 303 108,15 euros hors taxes ;
- la résiliation partielle est à l'origine d'une perte d'industrie évaluée au montant de 130 290,63 euros hors taxes ;
- à titre subsidiaire, l'ordre de service n° 38 constitue une modification irrégulière du contrat dès lors qu'il a pour objet de supprimer l'un des ouvrages prévus au marché, qu'il a réduit le montant du marché dans une importante proportion, et qu'il a modifié le calendrier d'exécution des prestations, de telle sorte qu'elle a droit à l'indemnisation de ses préjudices.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2023, le centre hospitalier régional et universitaire de Lille, représenté par la SCP Gros, Hicter, D'Halluin et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 9 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 6 mai 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Detrez-Cambrai, représentant la société Axima Concept, et de Me Hicter, représentant le CHU de Lille.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille a lancé le 4 juillet 2013 un appel d'offres en vue de la construction et de la réhabilitation de l'hôpital cardio-vasculaire et pulmonaire prévues, pour la tranche ferme, en cinq phases dont la dernière se rapporte à des travaux de relocalisation du service d'aide médicale urgente (SAMU), du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) et du centre antipoison. Par un marché conclu le 23 janvier 2014, le lot n° 2 " fluides " a été confié à un groupement d'entreprises dont la société Axima Concept est mandataire pour un montant global et forfaitaire fixé à 23 236 500 euros hors taxes et pour une durée globale d'exécution de soixante-douze mois. Au cours du chantier, un ordre de service a été notifié à la société le 12 janvier 2018, l'informant que les travaux relatifs à la construction du bâtiment destiné au SAMU, au SMUR et au centre antipoison étaient supprimés, représentant une réduction du montant du marché de 766 377,14 euros hors taxes. Estimant que cet ordre de service constituait une résiliation partielle du marché pour un motif d'intérêt général lui ouvrant droit à réparation, la société Axima Concept a saisi le Comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges (CCIRA) de Nancy le 22 mars 2018 qui a rendu un avis le 4 mars 2019 en faveur d'une indemnisation de la société. Celle-ci a ensuite saisi le tribunal administratif de Lille en sollicitant la condamnation du CHU de Lille à l'indemniser de ses préjudices pour un montant total de 566 061,15 euros. La société Axima concept relève appel du jugement du 13 juin 2023 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La société Axima soutenait devant le tribunal administratif que l'abandon des travaux concernant le SAMU, le SMUR et le centre antipoison n'avait pas pour effet une simple diminution du montant des travaux fixé au marché initial, mais constituait, du fait de la suppression d'un des ouvrages qui y était prévu, une restriction apportée à l'objet du marché. La société en déduisait que la décision de ne pas réaliser les travaux litigieux revêtait le caractère d'une résiliation partielle lui ouvrant droit à réparation dans le cadre prévu par l'article 46 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux (CCAG-Travaux). Si, pour justifier son droit à réparation, la société Axima Concept a également invoqué une modification profonde du contrat, elle se référait sur ce point à son argumentation principale visant à démontrer que la suppression des travaux avait entraîné une restriction de l'objet du marché. Le tribunal administratif a répondu de façon suffisante à la contestation dont il était saisi en relevant qu'aucune stipulation du marché ne prévoyait la possibilité d'une résiliation partielle, que l'exécution du contrat avait continué en dépit de la suppression d'une partie des travaux et que celle-ci avait pour effet une diminution du montant des travaux inférieure au seuil en deçà duquel l'indemnisation est exclue en application de l'article 16.1 du CCAG-Travaux. Dans ces conditions, les premiers juges, qui ne se sont pas mépris sur la portée des conclusions dont ils étaient saisis, n'ont entaché leur jugement d'aucune irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 16.1 du CCAG-Travaux : " Si la diminution du montant des travaux, par rapport au montant contractuel, est supérieure à la diminution limite définie à l'alinéa suivant, le titulaire a droit à être indemnisé en fin de compte du préjudice qu'il a éventuellement subi du fait de cette diminution au-delà de la diminution limite. / La diminution limite est fixée : - pour un marché à prix forfaitaires, à 5 % du montant contractuel (...) ". En application de l'article 15 du même document, le " montant des travaux " s'entend du montant des travaux évalués, au moment de la décision de diminution du montant des travaux, à partir des prix initiaux du marché et le " montant contractuel des travaux " est le montant des travaux résultant des prévisions du marché, c'est-à-dire du marché initial éventuellement modifié par les avenants intervenus. Aux termes de l'article 46.4 du CCAG-Travaux : " Résiliation pour motif d'intérêt général : / Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. / Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité, dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché. / Le titulaire doit, à cet effet, présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de deux mois compté à partir de la notification de la décision de résiliation ".
4. Il résulte de l'instruction que l'ordre de service n° 38 adressé le 12 janvier 2018 à la société Axima Concept par le CHU de Lille a pour objet de supprimer les travaux relatifs à la construction du bâtiment destiné au SAMU, au SMUR et au centre antipoison, constituant la cinquième phase de la tranche ferme du marché, et non de résilier ce marché pour un motif d'intérêt général. Alors qu'aucune stipulation du contrat ne prévoie la possibilité d'une " résiliation partielle ", il n'est pas contesté par la société appelante que le marché a continué d'être exécuté en dépit de l'abandon d'une partie des travaux. Aucune indemnité de résiliation n'est donc due à la société Axima Concept en application de l'article 46.4 du CCAG-Travaux, notamment l'indemnité de résiliation. En outre, la modification du projet décidée par le CHU de Lille induit une diminution du montant des travaux de 766 377 euros hors taxes, correspondant à moins de 3,3 % du montant contractuel du marché litigieux, conclu à prix forfaitaires. Dans ces conditions, cette diminution du montant des travaux, inférieure au seuil de 5 % du montant contractuel prévu par l'article 16.1 du CCAG-Travaux, n'ouvre droit à aucune indemnisation. Compte tenu de ces conséquences financières et de la circonstance que la modification du projet porte sur une superficie de 3269 m² alors qu'étaient initialement envisagés la construction de 39500 m² de surface nouvelle et la restructuration de 34000 m² de surface existante, il n'est pas démontré que la suppression des travaux litigieux a pour effet une modification substantielle du marché. Au demeurant, pas plus en appel qu'en première instance, la société Axima Concept n'apporte d'éléments justifiant des frais, des investissements et du préjudice d'industrie pour lesquels elle demande une indemnisation. Par suite, elle n'est pas fondée à demander la condamnation du CHU de Lille à réparer les conséquences dommageables de la suppression d'une partie des travaux prévus au marché dont elle est titulaire.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la société Axima Concept n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Lille, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la société Axima Concept demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante la somme de 2 000 euros dont le CHU de Lille demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Axima Concept est rejetée.
Article 2 : La société Axima Concept versera une somme de 2 000 euros au CHU de Lille sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Axima Concept et au centre hospitalier universitaire de Lille.
Délibéré après l'audience publique du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 23DA01557