Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 octobre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé l'autorisation de séjourner en France, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois suivant le jugement à intervenir, subsidiairement, d'enjoindre au préfet de Seine-Maritime de réexaminer sa situation dans le même délai, de lui remettre un récépissé de demande de titre de séjour dans un délai de quinze jours avant le jugement à intervenir, en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Lepeuc au titre des dispositions combinées des articles 37 alinéa 2 de la loi n° 91-647 et L. 761-1 du code de justice administrative, subsidiairement, de mettre à la charge de l'Etat cette même somme à verser à Monsieur A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Par un jugement n° 2204610 du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Lepeuc, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois suivant l'arrêt à intervenir ; subsidiairement, d'enjoindre au préfet de Seine-Maritime de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant l'arrêt à intervenir ;
4°) d'enjoindre au préfet de Seine-Maritime de lui remettre un récépissé de demande de titre de séjour dans le délai de quinze jours suivant l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Lepeuc sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement attaqué est entaché d'une substitution de motifs irrégulière ;
- il n'a pas été mis à même de faire valoir ses observations ;
- il ne ressort pas des écritures du préfet de la Seine-Maritime que celui-ci ait demandé une telle substitution de motifs.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- cette décision est entachée d'irrégularité faute de saisine préalable de la commission du titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur de droit ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
- cette décision est illégale ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne le pays de renvoi :
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ;
- la décision est entachée d'un défaut de motivation ;
- la décision est entachée de défaut de base légale.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juin 2023.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2024, le préfet de Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Viard, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... est un ressortissant algérien né le 26 mars 1989 à Akbou en Algérie. Il déclare être entré en France en avril 2019 et a sollicité le 2 août 2022, son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à titre principal et, subsidiairement, sur le fondement des dispositions de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien. Par un arrêté du 18 octobre 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente de jours et a fixé son pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 13 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien susvisé : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. / Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit / (...) 5° au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ". Aux termes de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
3. L'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, ne s'applique pas aux ressortissants algériens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Les stipulations de l'accord franco-algérien n'interdisent toutefois pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation au regard notamment des dispositions précitées de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. En l'espèce, il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet de
la Seine-Maritime a procédé à cette appréciation et décidé à l'issue de celle-ci qu'une mesure de régularisation n'était pas justifiée. Or, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport du 11 mai 2023 de la communauté Emmaüs, dont l'authenticité n'est pas contestée par le préfet, que M. A... justifie de trois années ininterrompues de compagnonnage et du caractère réel et sérieux de cette activité. En outre, au regard de son niveau en langue française, de son expérience au sein d'Emmaüs, et de la profession de tourneur-fraiseur exercée de 2011 à 2018 en Algérie, M. A... bénéficie de sérieuses perspectives d'intégration professionnelle. Enfin, il ressort également des pièces du dossier que M. A... justifie d'une vie sociale tant au sein de la communauté Emmaüs qu'en dehors. Dans ces conditions, et alors que ne bénéficiant pas encore d'un titre de séjour, le préfet de la Seine-Maritime ne pouvait opposer à l'intéressé l'absence de contrat de travail, le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation doit être accueilli.
5. Il s'ensuit que l'arrêté du 18 octobre 2022 refusant à M. A... la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination doit être annulé.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
8. Eu égard aux motifs d'annulation ci-dessus retenus, et sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de l'intéressé, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. A... d'un certificat de résidence l'autorisant à travailler. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. M. A... a obtenu l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Lepeuc renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat, le versement au profit de celle-ci de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1 : Le jugement n° 2204610 du 13 avril 2023 du tribunal administratif de Rouen et l'arrêté du 18 octobre 2022 du préfet de la Seine-Maritime sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. A... un certificat de résidence l'autorisant à travailler dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Lepeuc une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation par celle-ci à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Marie Lepeuc.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Viard, présidente de chambre,
- M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
Le président-assesseur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente-rapporteure,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Chloé Huls-Carlier
N° 23DA01335 2