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04/07/2024 | FRANCE | N°23DA01107

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 04 juillet 2024, 23DA01107


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... Dheilly a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet, née du silence gardé par le département du Nord sur sa demande formulée le 11 septembre 2020 de se voir accorder la protection fonctionnelle, d'autre part, d'enjoindre au département du Nord de se prononcer sur le bénéfice de cette protection dans le délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir.



Par un

jugement n° 2100538 du 19 avril 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Dheilly a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet, née du silence gardé par le département du Nord sur sa demande formulée le 11 septembre 2020 de se voir accorder la protection fonctionnelle, d'autre part, d'enjoindre au département du Nord de se prononcer sur le bénéfice de cette protection dans le délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2100538 du 19 avril 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 juin 2023 et le 27 mars 2024, M. Dheilly, représenté par Me Abrassard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental du Nord a rejeté sa demande tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle ;

3°) d'enjoindre au département du Nord de se prononcer sur sa demande d'octroi de la protection fonctionnelle, dans un délai de quinze jours suivant la décision de la Cour à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du département du Nord une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'apportait pas d'éléments laissant présumer qu'il est victime d'agissements devant être qualifiés de harcèlement moral ;

- ces faits sont caractérisés par la circonstance que sa suspension de fonctions et les poursuites disciplinaires se sont fondées sur quatre fiches de signalement lui imputant des comportements de harcèlement sexuel et des propos sexistes ; les faits rapportés dans ces signalements sont mensongers et n'avaient pour objectif que de le discréditer auprès de la hiérarchie ;

- les auteurs des signalements n'ont pas cherché à se protéger, elles ont eu pour unique objectif de le mettre en difficulté et de compromettre son avenir professionnel ;

- le harcèlement moral ressort également de ce que ses droits à la défense n'ont pas été respectés dès lors qu'il a été victime d'une enquête à charge et qu'il était dans l'incapacité de se défendre compte tenu de sa maladie ;

- de même, le département a refusé de lui octroyer un congé de longue maladie, contre l'avis du comité médical ;

- il a été suspendu de ses fonctions alors qu'il était déjà en arrêt maladie ;

- l'ensemble de ces éléments révèlent qu'il a fait l'objet d'agissements concertés ayant des conséquences sur son avenir professionnel, alors qu'il était dans un état de particulière fragilité et dans l'impossibilité de se défendre compte tenu de son état de santé ;

- cet acharnement s'est poursuivi par l'émission de titre de recettes et un refus de congé de longue maladie irréguliers, tous deux annulés par des jugements rendus le 26 mars 2024 par le tribunal administratif de Lille.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 janvier 2024 et un mémoire enregistré le 29 avril 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le département du Nord, représenté par Me Fillieux, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. Dheilly au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 27 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 avril 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Abrassart pour M. Dheilly et de Me Dantec pour le département du Nord.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... Dheilly, recruté par le département du Nord en 2017 par un contrat à durée indéterminée en qualité d'administrateur territorial hors classe, occupait les fonctions de directeur au sein de la direction territoriale d'Avesnes-sur-Helpe. Ayant été alerté sur des difficultés de management au sein de la direction de prévention et d'action sociale (DTPAS) de l'Avesnois mettant en cause M. Dheilly, le président du conseil départemental du Nord a confié à l'inspection générale des services (IGS) départementaux une mission d'enquête et, dans l'attente, par un arrêté du 24 août 2020, a suspendu l'intéressé de ses fonctions. A la suite de la remise du rapport de l'IGS et après avoir recueilli l'avis du conseil de discipline réuni le 22 avril 2021, par un arrêté du 27 mai 2021, le président du conseil départemental du Nord a décidé de licencier M. Dheilly sans préavis, ni indemnité. Auparavant, par un courrier en date du 11 septembre 2020, M. Dheilly avait sollicité du président du conseil départemental du Nord, l'octroi de la protection fonctionnelle en faisant valoir que sa suspension de fonctions ainsi que les poursuites disciplinaires envisagées contre lui étaient en lien avec des agissements de harcèlement moral dont il était victime. En l'absence de réponse à sa demande d'octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle, M. Dheilly a saisi le tribunal administratif de Lille. Il relève appel du jugement du 19 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les conclusions d'annulation de la décision refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ". L'article 11 de la même loi dispose que : " A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".

3. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

4. En premier lieu, pour caractériser la situation de harcèlement moral dont il allègue avoir été victime, M. Dheilly soutient que les quatre signalements dont il a fait l'objet en août 2020 de la part de quatre agentes de son service dénonçant des agissements sexistes et des faits de harcèlement sexuel de sa part, dans le cadre de ses fonctions de directeur au sein de la direction territoriale d'Avesnes-sur-Helpe, ont eu pour unique objectif de le mettre en difficulté et de compromettre son avenir professionnel. A cet effet, M. Dheilly expose, d'une part, que les agentes à l'origine de ces signalements, confrontées à des difficultés professionnelles, ont témoigné contre lui par des récits mensongers de manière à le discréditer auprès de la hiérarchie et, d'autre part, que tant l'enquête administrative menée par l'inspection générale des services sur laquelle le département du Nord s'est fondé pour mener la procédure disciplinaire avant de prononcer son licenciement pour faute que la procédure disciplinaire elle-même ont été conduites dans des conditions irrégulières, méconnaissant ses droits à la défense. Toutefois, il résulte de la décision de la cour de céans rendue dans l'instance n° 23DA02084 également appelée à l'audience du 18 juin 2024, que le licenciement sans préavis ni indemnité de M. Dheilly prononcé le 27 mai 2021 par le président du conseil départemental du Nord à raison notamment des faits dénoncés dans les signalements précités, n'est entaché d'aucune irrégularité de procédure, ni d'aucune autre illégalité formelle ou de fond. Il s'ensuit qu'aucun fait de harcèlement moral ne saurait être présumé du fait des signalements dont l'appelant a fait l'objet.

5. En deuxième lieu, et pour les mêmes motifs, la circonstance que l'intéressé était placé en congé de maladie lorsqu'il a été suspendu temporairement de ses fonctions à raison de ces faits ne saurait davantage participer d'un comportement susceptible d'être qualifié de harcèlement moral de la part de l'administration. De la même manière, le placement d'un agent en arrêt de travail ne faisant pas obstacle à l'engagement de poursuites disciplinaires, aucun agissement de cette nature ne saurait être imputé au département de ce chef.

6. En troisième lieu, pour dénoncer un acharnement de son employeur, M. Dheilly se prévaut de ce qu'un titre exécutoire daté du 9 juin 2021 d'un montant de 25 414,90 euros en vue de la récupération de traitements versés dans le cadre d'un congé de maladie, a été irrégulièrement émis à son encontre. S'il ressort du dispositif du jugement n° 2106733 rendu le 26 mars 2024, qu'à la demande de M. Dheilly, le tribunal administratif de Lille a annulé partiellement ce titre à hauteur de la somme de 17 306,99 euros, il résulte toutefois des motifs de cette décision juridictionnelle, que ce titre de recettes a été annulé au seul motif de l'absence de signature de son auteur. Un tel motif lié au non-respect des formes encadrant l'émission du titre de recette ne révèle aucune intention malveillante de la part du département du Nord.

7. En quatrième et dernier lieu, pour alléguer d'une autre forme d'acharnement dont il aurait été la cible, M. Dheilly se prévaut de ce qu'à sa demande, le tribunal administratif de Lille, par un jugement n° 2108043 également rendu le 26 mars 2024, a annulé l'arrêté du 12 mai 2021 par lequel le président du conseil départemental du Nord a refusé de faire droit à sa demande de placement en congé de grave maladie. Il résulte toutefois des motifs de cette décision juridictionnelle, que pour annuler cet arrêté, le tribunal a retenu qu'en s'abstenant de saisir le comité médical supérieur alors qu'il contestait l'avis du comité médical, le président du conseil départemental a méconnu les dispositions de l'article 25 du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux. Là encore, un tel motif lié au non-respect de la procédure applicable ne révèle aucune intention malveillante de la part du département du Nord.

8. Au vu de l'ensemble de ces éléments, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les faits allégués par l'appelant, pris isolément ou dans leur ensemble, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la décision par laquelle le président du conseil départemental du Nord a implicitement rejeté la demande de M. Dheilly, tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle, n'étant entachée ni d'erreur d'appréciation, ni d'erreur de droit, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 19 avril 2023 attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de celle-ci et à ce qu'il soit enjoint au département du Nord de lui accorder le bénéfice de cette protection.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département du Nord, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. Dheilly. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. Dheilly une somme de 1 000 euros à verser au département du Nord au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. Dheilly est rejetée.

Article 2 : M. Dheilly versera au département du Nord la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Dheilly et au département du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

No 23DA01107 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01107
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SELARL RESSOURCES PUBLIQUES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;23da01107 ?
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