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03/07/2024 | FRANCE | N°24DA00750

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 03 juillet 2024, 24DA00750


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les arrêtés du préfet de la Seine-Maritime du 2 avril 2024 portant d'une part obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant un an et d'autre part assignation à résidence pendant quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2401300 du 10 avril 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rouen a annul

les arrêtés, enjoint au préfet de réexaminer la demande de M. B... et condamné l'Etat à verser u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler les arrêtés du préfet de la Seine-Maritime du 2 avril 2024 portant d'une part obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant un an et d'autre part assignation à résidence pendant quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2401300 du 10 avril 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés, enjoint au préfet de réexaminer la demande de M. B... et condamné l'Etat à verser une somme de 1 000 euros au titre des frais de justice.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 avril 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif.

Il soutient que son arrêté n'est pas entaché d'un vice de procédure susceptible d'entraîner son annulation.

Par un mémoire enregistré le 17 juin 2024, M. B..., représenté par Me Antoine Mary, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé.

M. B... a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 17 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Heinis, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'aide juridictionnelle provisoire :

1. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, d'admettre provisoirement M. B... à l'aide juridictionnelle.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-383/13 du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise.

3. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

3. Lors de l'audition de M. B... le 2 avril 2014 à 9 heures 14, il a été constaté que celui-ci " ne comprend pas suffisamment la langue française " et avait donc besoin d'un interprète en " langue arabe qu'il comprend ". Or l'intéressé a été entendu, lors de l'audition qui a suivi à 11 heures, sans le concours d'un interprète.

4. Toutefois, en premier lieu, M. B... a répondu, lors de la seconde audition, à toutes les questions posées sur son identité, les raisons de son départ, son parcours, sa situation familiale, son pays, sa situation administrative, la non remise de son passeport ou d'une pièce d'identité, ses moyens de subsistance et viatique et la perspective d'un éloignement.

5. En deuxième lieu, si M. B..., d'une part, a déclaré lors de l'audience devant le tribunal qu'en l'absence d'un interprète, il n'avait pas compris la question posée sur la présence de membres de sa famille en France et qu'il n'avait donc pas pu évoquer la présence en France de son oncle qui lui prêtait un appartement et de la famille de celui-ci, d'autre part, soutient en appel qu'il n'a pas davantage pu mentionner la perspective de son embauche par son oncle, les circonstances ainsi invoquées ne conféraient pas un droit au séjour à l'intéressé.

6. Dans ces conditions, la violation alléguée du droit d'être entendu n'a pas effectivement privé M. B... de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

Sur les autres moyens invoqués par M. B... :

7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal.

8. L'auteure des arrêtés, cheffe du bureau de l'éloignement, bénéficiait d'une délégation de signature sur le fondement de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 et d'un arrêté du 21 mars 2024 signé par le préfet et régulièrement publié.

9. Conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 613-1, L. 613-2 et L. 732-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les arrêtés ont énoncé dans leurs considérants ou leurs dispositifs les motifs de droit et de fait qui ont fondé leurs différentes décisions.

10. M. B..., né en 2001, a vécu la majeure partie de sa vie en Egypte où résident ses parents. Il est célibataire sans enfant. Il a déclaré être entré en France sans visa " entre mars et avril 2023 " et s'y est maintenu sans chercher à régulariser sa situation jusqu'à son interpellation lors d'un contrôle d'identité le 2 avril 2024.

11. Si une personne que M. B... présente comme son oncle a attesté qu'elle souhaitait l'embaucher comme solier-moquettiste dans sa société de revêtements de sol et peinture, aucune candidature n'ayant été reçue pour ce poste malgré deux offres déposées à Pôle Emploi, il ne ressort des pièces du dossier ni que l'intéressé ait acquis une expérience pour un tel emploi, ni que son oncle ait déposé des offres à Pôle Emploi.

12. Dans ces conditions, les arrêtés n'étaient pas entachés d'erreur manifeste d'appréciation et n'ont pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'interdiction de retour en France n'a pas violé les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. Les dispositions de la directive 2008/115 ne font pas obstacle à ce qu'une obligation de quitter le territoire français soit prise, sans délai de départ volontaire, dans le cas prévu aux articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la condition que cette mesure ait été prise conformément aux exigences de forme et de fond prévues aux articles 7 et 12 de la directive. Le moyen tiré de l'incompatibilité de ces articles L. 612-2 et L. 612-3 avec cette directive doit donc être écarté.

14. Il ne ressort des pièces du dossier ni que le préfet se soit cru tenu de décider une assignation à résidence ni, alors que M. B... avait déclaré lors de son audition le 2 avril 2024 que son passeport était en Egypte, que le motif de cette assignation tiré du temps nécessaire à l'obtention d'un laissez-passer consulaire, était entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

15. Il résulte de ce qui précède que tous les moyens ci-dessus invoqués par M. B..., par voie d'action ou d'exception, doivent être écartés.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal a annulé ses arrêtés.

Sur l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative :

17. La présente décision n'implique aucune mesure d'exécution.

Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

18. La demande présentée par M. B... et son conseil, partie perdante, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : M. B... est admis à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le jugement du 10 avril 2024 est annulé.

Article 3 : Les conclusions de M. B... à fin d'annulation, à fin d'injonction et au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Seine-Maritime, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... et à Me Antoine Mary.

Délibéré après l'audience publique du 26 juin 2024 à laquelle siégeaient :

M. Marc Heinis, président de chambre,

M. François-Xavier Pin, président assesseur,

M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. Heinis L'assesseur le plus ancien,

Signé : F-X. Pin

La greffière,

Signé : Sophie Cardot

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Sophie Cardot

2

N° 24DA00750


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24DA00750
Date de la décision : 03/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Marc Heinis
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL MARY & INQUIMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-03;24da00750 ?
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