Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision implicite de rejet, née du silence conservé par le ministre de la justice sur son recours administratif, reçu le 11 mars 2020, dirigé contre la décision refusant de lui accorder un avancement, la décision implicite prononçant sa rétrogradation, la décision mettant fin à la mise à sa disposition à titre gratuit d'un logement de fonctions, la décision le plaçant en mi-traitement pour congé de maladie ordinaire et tendant à être placé en congé de longue maladie à compter du 14 octobre 2019, d'autre part d'enjoindre au ministre de la justice de régulariser sa situation en le plaçant rétroactivement dans les fonctions de chef des détentions à compter de janvier 2019, d'en tirer les conséquences pécuniaires en ce qui concerne son traitement et l'indemnité de fonctions et d'objectifs (IFO), de mettre à sa disposition à titre gratuit le logement attaché à ces fonctions, et de le placer en congé de longue maladie à compter du 14 octobre 2019, avec maintien de son plein traitement à compter de janvier 2020, et, enfin, de condamner l'État à lui verser la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi en raison d'une situation de harcèlement moral, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2004074 du 20 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision implicite refusant de placer M. B... en congé de longue maladie à compter du 14 octobre 2019, a enjoint au ministre de la justice de le placer en congé de longue maladie à compter de cette date et a rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 août 2022, le ministre de la justice demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit aux demandes de M. B....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur ce que la pathologie de M. B... remplissait les conditions relatives à l'octroi d'un congé de longue durée prévues par les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dès lors que M. B... n'avait pas présenté la demande tendant au bénéfice d'un tel congé prévue par les dispositions de l'article 35 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés ;
- pour le surplus, il s'en rapporte aux moyens développés dans le mémoire en défense présenté en première instance.
Par un mémoire, enregistré le 12 décembre 2022, M. B..., représenté par Me Blalouz, conclut au rejet de la requête et demande en outre à la cour :
1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 20 juin 2022 du tribunal administratif de Rouen en tant que celui-ci a rejeté partiellement ses demandes à fin d'annulation et d'injonction et rejeté dans sa totalité sa demande à fin d'indemnisation ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler la décision refusant de lui accorder un avancement, la décision implicite prononçant sa rétrogradation, la décision mettant fin à la mise à disposition à titre gratuit d'un logement de fonctions pour nécessité absolue de service et d'enjoindre à l'administration de procéder rétroactivement à la régularisation de sa situation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre de la justice ne sont pas fondés ;
- il a été orienté par la médecine du travail vers un congé de longue maladie ;
- le syndrome anxieux réactionnel dont il a été atteint était en lien avec son environnement professionnel ;
- à la suite de la modification de l'organigramme du centre de détention
de Val-de-Reuil, il aurait dû être nommé sur le poste unique de chef des détentions et bénéficier de l'avancement, ainsi que de l'indemnité de fonctions et d'objectifs correspondants ;
- il a fait l'objet d'une décision implicite de rétrogradation qui, constitutive d'une sanction, a été prise par une autorité incompétente et n'est justifiée par aucune faute, a entraîné une diminution du montant de l'indemnité de fonctions et d'objectifs perçues, ainsi que la perte du bénéfice du logement pour nécessité absolue de service lié aux fonctions antérieurement exercées ;
- l'administration pénitentiaire a commis à son égard un manquement fautif aux règles de protection des agents publics contre le harcèlement ;
- la dégradation de son état de santé subie en raison de cette faute est à l'origine d'un préjudice moral devant être évalué à 6 000 euros.
Par une ordonnance du 8 décembre 2022 la clôture de l'instruction a été fixée au 20 janvier 2023.
Les parties ont été informées, par courrier du 21 mai 2024, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public tiré de ce que les conclusions d'appel incident de M. B... se rapportent à un litige distinct de l'appel principal et sont, par suite, irrecevables.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., affecté au centre de détention de Val-de-Reuil en 2005, a été promu au grade de capitaine du personnel de surveillance pénitentiaire en 2013. Souffrant d'un trouble anxiodépressif, il a été placé en congé de maladie ordinaire du 14 octobre 2019 au 6 septembre 2020 et a été muté à la maison d'arrêt de Rouen à compter du 1er septembre 2020. Par une décision du 15 février 2020, le directeur du centre de détention de Val-de-Reuil a prolongé du 11 janvier 2020 au 27 mars 2020 le congé de maladie ordinaire accordé à M. B..., en précisant qu'il bénéficiait du maintien de son plein traitement au titre des périodes allant du 15 octobre 2019 au 3 janvier 2020 et du 16 février 2020 au 23 février 2020, et qu'il passait en demi-traitement au titre des périodes allant du 4 janvier 2020 au 15 février 2020, puis du 24 février 2020 au 27 mars 2020. Par un courrier du 3 mars 2020, reçu par les services du ministère de la justice le 11 mars 2020, M. B... a, par l'intermédiaire de son conseil, demandé l'annulation de décisions de refus d'avancement et de rétrogradation prises à son encontre, ainsi que la reconstitution des avantages dont il avait été privé du fait de ces décisions et l'annulation de la décision mettant fin à la mise à disposition d'un logement de fonction pour nécessité absolue de service. Par le même courrier, M. B... demandait la substitution à " la prolongation d'une période de congé de maladie ordinaire soumise au passage à mi-traitement ", d'une " prolongation de congé de longue maladie avec maintien du traitement plein et des avantages associés ". Il demandait, enfin, le versement d'une somme de 6 000 euros en indemnisation du préjudice moral qu'il estimait avoir subi du fait d'une situation de harcèlement à l'origine de sa pathologie et de l'absence de mesures prises par l'administration de nature à la prévenir. M. B... a contesté devant le tribunal administratif de Rouen la décision du 15 février 2020 le plaçant à demi-traitement et la décision implicite née du silence conservé par le ministre de la justice à la suite du courrier du 3 mars 2020. Par un jugement du 20 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision implicite refusant à M. B... son placement en congé de longue maladie à compter du 14 octobre 2019, a enjoint au ministre de la justice de le placer en congé de longue maladie à compter de cette date et de procéder à la régularisation de son traitement, et a rejeté le surplus de ses demandes Le ministre de la justice relève appel de ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de M. B.... Ce dernier, pour sa part, conteste par la voie de l'appel incident le jugement du tribunal administratif de Rouen en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes.
Sur l'appel principal du ministre :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Rouen :
2. D'une part, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. / (...) / 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. L'intéressé conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence / (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 34, dans sa rédaction alors en vigueur, du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Lorsqu'un chef de service estime, au vu d'une attestation médicale ou sur le rapport des supérieurs hiérarchiques, que l'état de santé d'un fonctionnaire pourrait justifier qu'il lui soit fait application des dispositions de l'article 34 (3° ou 4°) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, il peut provoquer l'examen médical de l'intéressé dans les conditions prévues aux alinéas 3 et suivants de l'article 35 ci-dessous. Un rapport écrit du médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire concerné doit figurer au dossier ". Aux termes de l'article 35 de ce même décret : " Pour obtenir un congé de longue maladie ou de longue durée, les fonctionnaires en position d'activité ou leurs représentants légaux doivent adresser à leur chef de service une demande appuyée d'un certificat de leur médecin traitant spécifiant qu'ils sont susceptibles de bénéficier des dispositions de l'article 34 (3° ou 4°) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. / Le médecin traitant adresse directement au secrétaire du comité médical prévu aux articles 5 et 6 un résumé de ses observations et les pièces justificatives qui peuvent être prescrites dans certains cas par les arrêtés prévu à l'article 49 du présent décret. / (...) ".
4. Pour annuler la décision implicite refusant de placer M. B... en congé de longue maladie, le tribunal s'est fondé sur ce que la pathologie dont souffrait ce dernier remplissait les conditions prévues par les dispositions du 3° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984. Le ministre de la justice soutient, pour la première fois en appel, que M. B... n'avait pas présenté la demande, prévue par les dispositions de l'article 35 du décret du 14 mars 1986, tendant au bénéfice d'un congé de longue maladie, préalablement à l'intervention de la décision implicite rejetant sa demande de substitution d'un congé de longue maladie au congé de maladie ordinaire dont il bénéficiait.
5. Si M. B... fait valoir que, reçu par un médecin généraliste et un médecin psychiatre du service de prévention, il a " été orienté en congé de longue maladie à compter du 4 janvier 2020 ", il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ait adressé à son chef de service, préalablement à la décision du 15 février 2020 le plaçant à demi-traitement, la demande de congé de longue maladie, rendue obligatoire par les dispositions de l'article 35 du décret du 14 mars 1986 pour bénéficier d'un tel congé. Si, en outre, dans le courrier adressé par son conseil au ministre de la justice, reçu le 11 mars 2020, M. B... demandait la substitution d'un congé de longue maladie au congé de maladie ordinaire dont il bénéficiait depuis le 14 octobre 2019, ce courrier n'était pas adressé à son chef de service et il n'est ni établi, ni même allégué, qu'y était joint un certificat médical de son médecin traitant spécifiant qu'il était susceptible de bénéficier d'un congé de longue maladie en application des dispositions du 3° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984. Ainsi, ce courrier, qui a donné lieu à une décision implicite de rejet née du silence conservé par le ministre de la justice, ne saurait davantage être regardé comme constituant la demande de congé de longue maladie exigée par les dispositions de l'article 35 du décret du 14 mars 1986. Si, par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que, lors de sa réunion du 28 août 2020, le comité médical départemental a émis un avis dans le sens de la qualification en congés de maladie ordinaire des congés accordés à M. B... depuis le 14 octobre 2019, et de l'aptitude de l'intéressé à reprendre le service à temps plein le 7 septembre 2020, cette circonstance ne suffit pas à démontrer que, préalablement à la décision implicite du ministre de la justice, l'intéressé ait adressé à l'administration une demande de congé de longue maladie conforme aux dispositions de l'article 35 du décret du 14 mars 1986, ou que son chef de service ait engagé une procédure en ce sens, ainsi que le permettent les dispositions de l'article 34 du même décret. Ce seul motif suffisait à justifier la décision contestée, à la date à laquelle celle-ci est intervenue.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, après avoir relevé que l'intéressé avait formé une demande de congé de longue maladie, ont retenu le moyen tiré de ce que la pathologie de M. B... remplissait les conditions prévues par le 3° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984.
En ce qui concerne l'autre moyen soulevé par M. B... :
7. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. B..., tant en première instance qu'en appel.
8. Si M. B... soutient également que la pathologie dont il souffrait était imputable au service, un tel moyen est, en tout état de cause, inopérant à l'encontre de la décision implicite lui refusant le bénéfice d'un congé de longue maladie, dont l'octroi n'est pas subordonné à une telle condition.
Sur l'appel incident de M. B... :
9. En premier lieu, dans son mémoire en défense présenté après l'expiration du délai d'appel, M. B... demande à la cour d'annuler le jugement en tant que celui-ci a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision refusant de lui accorder un avancement, de la décision implicite prononçant sa rétrogradation et de la décision mettant fin à la mise à disposition à titre gratuit d'un logement de fonctions pour nécessité absolue de service ainsi que les demandes à fin d'injonction accessoires aux demandes d'annulation. De telles conclusions soulèvent un litige distinct de celui relatif à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite lui refusant le bénéfice d'un congé de longue maladie, objet de l'appel principal du ministre.
10. En second lieu, les conclusions de M. B... tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant selon lui des manquements de l'administration à son obligation de protection contre le harcèlement dont il aurait dû bénéficier se rapportent à un litige distinct de l'appel principal.
11. Il s'ensuit que les conclusions d'appel incident présentées par M. B... sont irrecevables.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais, non compris par les dépens, exposés par M. B..., soient mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2004074 du 20 juin 2022 du tribunal administratif de Rouen est annulé en tant qu'il annule la décision implicite refusant de placer M. B... en congé de longue maladie à compter du 14 octobre 2019 et enjoint au ministre de la justice de le placer en congé de longue maladie à compter de cette date et de procéder à la régularisation de son traitement.
Article 2 : La demande de première instance de M. B... tendant à l'annulation de la décision implicite du ministre de la justice refusant de le placer en congé de longue maladie à compter du 14 octobre 2019 et à ce qu'il soit enjoint au ministre de la justice de le placer en congé de longue maladie à compter de cette date et de procéder à la régularisation de son traitement est rejetée.
Article 3 : Les conclusions d'appel incident de M. B... et celles qu'il présente sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de la justice.
Délibéré après l'audience publique du 4 juin 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2024.
La rapporteure,
Signé : D. BureauLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de la justice ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N° 22DA01776