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13/06/2024 | FRANCE | N°23DA00979

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 13 juin 2024, 23DA00979


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Les Deux Frères a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison d'un établissement dont elle est propriétaire à Steenvoorde (Nord).



La société à responsabilité limitée (SARL) Condiprim a demandé au tribunal ad

ministratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments de cotisation foncière de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Les Deux Frères a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison d'un établissement dont elle est propriétaire à Steenvoorde (Nord).

La société à responsabilité limitée (SARL) Condiprim a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments de cotisation foncière des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des années 2015 à 2018 à raison du même établissement, qu'elle exploite pour les besoins de ses activités.

Par un jugement nos 2006627, 2006629 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Lille a, premièrement, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande de la SARL Condiprim à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance, en matière de cotisation foncière des entreprises, deuxièmement, réduit les bases de taxe foncière sur les propriétés bâties assignées, au titre des années 2017 et 2018, à la SCI Les Deux Frères, troisièmement, réduit les bases de cotisation foncière des entreprises assignées, au titre des années 2015 à 2018, à la SARL Condiprim, quatrièmement, déchargé la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim, respectivement, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties et des suppléments de cotisation foncière des entreprises en litige, en conséquence de ces réductions de bases, cinquièmement, mis à la charge de l'Etat le versement, à la SCI Les Deux Frères et à la SARL Condiprim, chacune, de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, enfin, rejeté le surplus des conclusions de ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 mai 2023 et le 20 mai 2024, et par un mémoire enregistré le 24 mai 2014 qui n'a pas été communiqué, la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim, représentées par Me Guey-Balgairies, demandent à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement en tant qu'il ne leur donne pas entière satisfaction ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties et des suppléments de cotisation foncière des entreprises restant en litige ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en tant qu'il ne leur accorde qu'une réduction insuffisante des bases de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises qui leur ont été assignées ;

4°) de prononcer une réduction supplémentaire de leurs bases imposables à la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la cotisation foncière des entreprises, consistant en l'exclusion d'un montant de 291 579,30 euros correspondant à la valeur de matériels et outillages exonérés ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- à titre principal, c'est à tort, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, que l'administration a retenu que des moyens techniques importants étaient mis en œuvre, dans l'établissement de Steenvoorde, pour les besoins de l'exercice, par la SARL Condiprim, de ses activités ;

- à supposer que la cour regarderait comme importants les moyens techniques que la SARL Condiprim met en œuvre dans cet établissement, elle ne pourrait retenir que le rôle joué par ces moyens, dans le cadre de l'exercice de ses activités, est prépondérant ;

- en ne qualifiant pas d'industriel, au sens de l'article 1499 du code général des impôts, cet établissement à l'issue d'un précédent contrôle, l'administration a pris une position formelle sur une situation de fait au regard de la loi fiscale dont elles sont fondées à se prévaloir sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, dont le deuxième alinéa, issu de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, retient que des positions tacites, correspondant à une absence de rectification, peuvent valablement être opposées à l'administration ; quand bien même la disposition issue de cette loi serait écartée comme non invocable, il n'en resterait pas moins que l'administration a pris position sur la qualification de son établissement dans le cadre d'un redressement antérieur ;

- à titre subsidiaire, c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas fait droit à son moyen tiré de ce que la valeur locative des installations frigorifiques devait être exclue de ses bases imposables, alors que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, elles pouvaient bénéficier de l'exonération prévue au 11° de l'article 1382 du code général des impôts, puisqu'elles ne constituent pas des installations de stockage au sens du 1° de l'article de ce code ; la doctrine administrative publiée le 22 mai 2019 sous la référence BOI-IF-TFB-10-10-20 conforme, en son paragraphe n°30, son analyse sur ce point.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la SARL Condiprim met en œuvre, dans son établissement de Steenvoorde, pour les besoins de l'activité de stockage et de conditionnement de fruits tropicaux qu'elle y exerce, des moyens techniques importants ;

- le rôle de ces moyens techniques pour la réalisation des opérations pour lesquelles l'immeuble à évaluer est utilisé est prépondérant ;

- la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim ne sont pas fondées à soutenir que l'absence de rectification, à l'issue d'un précédent contrôle en matière d'impositions locales, constituerait une prise de position formelle de l'administration sur une situation de fait au regard de la loi fiscal qu'elles seraient susceptibles d'invoquer sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, alors que le service n'a, en réalité, pris aucune position expresse sur la qualification, au regard de la loi fiscale, de l'établissement en cause ; les appelantes ne peuvent utilement se prévaloir, à cet égard, des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, qui ne sont pas applicables aux contrôles ayant donné lieu à l'envoi d'un avis de vérification à une date antérieure au 1er janvier 2019 ;

- dès lors que les installations frigorifiques mises en œuvre par la SARL Condiprim sont utilisées pour le stockage des fruits, au sein de zones spécifiquement prévues à cet effet, elles sont au nombre des équipements visés au 1° de l'article 1381 du code général des impôts, de sorte qu'elles ne peuvent bénéficier de l'exonération prévue au 11° de l'article 1382 de ce code.

Les parties ont, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, été informées, par une communication du 15 mai 2024, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office.

Une réponse à cette communication a été produite, par Me Guey-Balgairies, pour la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim et enregistrée au greffe le 20 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Guey-Balgairies, représentant la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société civile immobilière (SCI) Les Deux Frères est propriétaire d'un immeuble situé à Steenvoorde (Nord), dans lequel la société à responsabilité limitée (SARL) Condiprim exerce ses activités, consistant essentiellement à stocker et à conditionner des fruits tropicaux. Cette dernière société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière notamment d'impositions locales, sur la période s'étendant du 1er janvier 2014 au 30 septembre 2017. A l'issue de ce contrôle, estimant que l'activité exercée dans l'établissement de Steenvoorde présentait un caractère industriel au sens et pour l'application des dispositions de l'article 1499 du code général des impôts, l'administration a retenu qu'il y avait désormais lieu d'évaluer ces locaux selon les règles définies à cet article pour la détermination, d'une part, des bases de taxe foncière sur les propriétés bâties assignées à la SCI Les Deux Frères au titre des années 2017 et 2018, et, d'autre part, des bases de cotisation foncière des entreprises assignées à la SARL Condiprim au titre des années 2015 à 2018.

2. L'administration a fait connaître à ces deux sociétés son analyse par un courrier qu'elle leur a adressé, à chacune, le 9 juillet 2018. Les cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties et les suppléments de cotisation foncière des entreprises résultant des nouvelles bases ainsi notifiées ont été mis en recouvrement, respectivement, le 31 décembre 2018, à hauteur d'un montant total, en droits et pénalités, de 37 490 euros et le 30 avril 2019, à hauteur d'un montant total, en droits et pénalités, de 124 296 euros.

3. Les réclamations que la SCI Les Deux Frères, d'une part, et la SARL Condiprim, d'autre part, ont formées ayant été rejetées, ces deux sociétés ont porté le litige devant le tribunal administratif de Lille en lui demandant, s'agissant de la première, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison de l'établissement dont elle est propriétaire à Steenvoorde et, pour la seconde, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments de cotisation foncière des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des années 2015 à 2018 à raison du même établissement, qu'elle exploite pour les besoins de ses activités.

4. Par un jugement du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Lille a, premièrement, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande de la SARL Condiprim à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d'instance, en matière de cotisation foncière des entreprises, deuxièmement, réduit les bases de taxe foncière sur les propriétés bâties assignées, au titre des années 2017 et 2018, à la SCI Les Deux Frères, troisièmement, réduit les bases de cotisation foncière des entreprises assignées, au titre des années 2015 à 2018, à la SARL Condiprim, quatrièmement, déchargé la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim, respectivement, des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties et des suppléments de cotisation foncière des entreprises en litige, en conséquence de ces réductions de bases, cinquièmement, mis à la charge de l'Etat le versement, à la SCI Les Deux Frères et à la SARL Condiprim, chacune, de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, enfin, rejeté le surplus des conclusions de ces demandes. La SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim relèvent appel de ce jugement en tant qu'il ne leur donne pas entière satisfaction.

Sur les conclusions relatives à la taxe foncière sur les propriétés bâties :

5. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. / Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : / (...) / 4° Sur les litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l'audiovisuel public, à l'exception des litiges relatifs à la contribution économique territoriale ; / (...) / Par dérogation aux dispositions qui précèdent, en cas de connexité avec un litige susceptible d'appel, les décisions portant sur les actions mentionnées au 8° peuvent elles-mêmes faire l'objet d'un appel. Il en va de même pour les décisions statuant sur les recours en matière de taxe foncière lorsqu'elles statuent également sur des conclusions relatives à cotisation foncière des entreprises, à la demande du même contribuable, et que les deux impositions reposent, en tout ou partie, sur la valeur des mêmes biens appréciée la même année. / (...)".

6. Il résulte de ces dispositions de l'article R 811-1 du code de justice administrative, que, si le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges concernant la taxe foncière sur les propriétés bâties, les jugements relatifs à cette taxe peuvent toutefois faire l'objet d'un appel devant la cour administrative d'appel lorsque le premier juge a statué par un seul jugement, d'une part, sur des conclusions relatives à la taxe foncière, d'autre part, sur des conclusions relatives à la cotisation foncière des entreprises à la demande du même contribuable, et que ces impositions reposent, en tout ou partie, sur la valeur des mêmes biens appréciée la même année.

7. Il résulte de l'instruction que, par les demandes qu'elles ont, respectivement, présentées au tribunal administratif de Lille, la SCI Les Deux Frères et à la SARL Condiprim, qui sont deux contribuables distincts, ont, d'une part, contesté la cotisation supplémentaire de taxe foncière à laquelle la SCI Les Deux Frères a été assujettie au titre des années 2017 et 2018, à raison de l'établissement de Steenvoorde, et, d'autre part, la cotisation foncière des entreprises à laquelle la SARL Condiprim a été assujettie, à raison du même établissement, au titre des années 2015 à 2018. Or, quand bien même ces deux litiges, sur lesquels le tribunal administratif a statué par un seul jugement, concernaient les mêmes biens, la condition de connexité posée par les dispositions précitées de l'article R. 811-1 du code de justice administrative ne peut, eu égard aux règles de détermination des bases respectives de ces deux impôts et à la circonstance que les deux litiges avaient été introduits par deux contribuables distincts, être regardée comme satisfaite, de sorte que la voie de l'appel n'est pas ouverte à l'égard du jugement du 30 mars 2023 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il se prononce sur la cotisation supplémentaire de taxe foncière à laquelle la SCI Les Deux Frères a été assujettie au titre des années 2017 et 2018. Il y a, dès lors, lieu de transmettre au Conseil d'Etat le jugement des conclusions correspondantes de la requête introduite, devant la cour, contre ce jugement, par la SCI Les Deux Frères et à la SARL Condiprim.

Sur les conclusions relatives à la cotisation foncière des entreprises :

En ce qui concerne les conclusions principales :

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

8. Aux termes de l'article 1467 du code général des impôts : " La cotisation foncière des entreprises a pour base la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière situés en France, à l'exclusion des biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu des 11°, 12° et 13° de l'article 1382, dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence définie aux articles 1467 A et 1478, à l'exception de ceux qui ont été détruits ou cédés au cours de la même période. / (...) ". En outre, en vertu de l'article 1388 de ce code, la taxe foncière sur les propriétés bâties est établie d'après la valeur locative cadastrale de ces propriétés, déterminée conformément aux principes définis notamment par les articles 1494 à 1508. Les règles suivant lesquelles est déterminée la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties sont définies à l'article 1496 du code général des impôts pour les " locaux affectés à l'habitation ou servant à l'exercice d'une activité salariée à domicile ", à l'article 1498 pour " chaque propriété bâtie ou fraction de propriété bâtie, autres que les locaux mentionnés au I de l'article 1496, que les établissements industriels mentionnés à l'article 1499 " et à l'article 1499 pour les " immobilisations industrielles ". Revêtent un caractère industriel, au sens de ces articles, les établissements dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre, fût-ce pour les besoins d'une autre activité, est prépondérant.

9. Il résulte de l'instruction, que, pour les besoins de l'exercice de son activité de stockage et de conditionnement de fruits tropicaux qu'elle y met en œuvre, la SARL Condiprim disposait, dans son établissement de Steenvoorde, au cours des années de référence pour l'établissement de ses bases de cotisation foncière des entreprises, de locaux répartis en trois bâtiments offrant une surface totale de 6 769 m2, comprenant, dans un premier bâtiment d'une surface de 1 844 m², des bureaux, trois quais de chargement et de déchargement, un espace de stockage, ainsi qu'une chambre froide d'une surface de 840 m², dans un deuxième bâtiment, d'une surface de 2 525 m², une zone de froid positif d'une surface totale de 785 m² répartie en cinq cellules réfrigérées, ainsi que des chaînes de conditionnement et d'ensachage, enfin, dans un troisième bâtiment occupant la surface restante de 2 400 m², des zones de stockage, ainsi qu'une laveuse et une presse.

10. Si la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim soutiennent que le système informatisé de gestion de ses stocks de marchandises dont le vérificateur a constaté la mise en œuvre n'était pas encore entré en service au cours des années de référence, d'importants investissements ayant été effectués en juin et juillet 2017 et les équipements concernés ayant été, pour l'essentiel, mis en service au cours de l'année 2018, il résulte de l'instruction et notamment des éléments avancés par le ministre, non contestés par les sociétés appelantes, que les liasses fiscales déposées par la SARL Condiprim au titre des années 2015 et 2016 faisaient déjà état de matériels industriels représentant les valeurs respectives de 738 559 euros et 735 764 euros, auxquels il y avait lieu d'ajouter des équipements pris en crédit-bail, représentant les valeurs respectives de 328 674 euros et 488 860 euros, rapportés à un actif immobilisé total s'établissant à hauteur des montants respectifs de 1 668 688 euros et 1 665 489 euros, la valeur des matériels industriels alors mis en œuvre représentant ainsi déjà, au titre de ces deux années, près de la moitié de la valeur totale de l'actif immobilisé. En outre, ainsi que le relève le ministre, sans être davantage contredit, si les investissements réalisés au cours de l'année 2017 ont eu pour objet de réduire le plus possible le travail des manutentionnaires en automatisant la palettisation, en vue de leur expédition, des marchandises conditionnées, les chaînes de conditionnement et d'ensachage étaient déjà présentes au cours des années de référence, ce que les photographies produites au soutien du dernier mémoire des appelantes ne peuvent, à elles seules, suffire à mettre sérieusement en doute. Ainsi, selon les éléments avancés par le ministre et non contestés, une machine automatique de type " Automac 55 ", permettant d'emballer les fruits à vitesse rapide, a été acquise par la SARL Condiprim dès l'année 1997, de même qu'un groupe de pesage et étiquetage " Bizerba ", également en 1997, pour un prix de 27 440,82 euros, tandis qu'une peseuse-ensacheuse a été acquise en 2005, pour un prix de 84 940 euros, puis une ensacheuse en 2008, pour un prix de 24 500 euros. En outre, selon les mêmes éléments, figurent, depuis juillet 2014, parmi les biens pris en crédit-bail par la SARL Condiprim, une machine de conditionnement " Filpak " pour une valeur de 185 600 euros.

11. Dès lors, ces locaux spécialement aménagés et équipés, au cours des années de référence, non seulement d'appareillages de production de froid et de chambres froides, mais aussi de chaînes d'ensachage et de conditionnement mécanisées, quand bien même ces chaînes ne permettaient pas une mise en œuvre intégralement mécanisée du conditionnement des fruits, doivent être regardés, pour la détermination des bases contestées de cotisations foncières des entreprises, comme constituant des moyens techniques importants et comme revêtant, dans ces conditions, un caractère prépondérant dans l'activité de la SARL Condiprim, alors même que les chambres froides n'occupent que 24 % de la surface totale des locaux et que le système de gestion automatisée des stockages et de préparation des commandes n'a été mis en service qu'à compter de l'année 2018. De même, la circonstance que le nombre des salariés de l'entreprise, affectés de manière prépondérante à la manutention des marchandises lors de leur réception, de leur stockage et de la préparation des commandes, s'est élevé, en moyenne, au cours des années de référence, à 16 personnes et que cet effectif a pu se trouver augmenté, en fonction des variations de l'activité, de 25 personnes soit 10 saisonniers et 15 intérimaires n'est pas de nature à remettre en cause le caractère prépondérant des moyens techniques mis en œuvre dans l'établissement, dès lors qu'il ne peut être sérieusement envisagé que ces salariés, même durant les périodes, d'ailleurs non identifiées précisément par les appelantes, où leur effectif a atteint 49 personnes, aient pu réaliser le conditionnement d'un volume annuel total de 12 000 tonnes de fruits en n'ayant recours, pour l'essentiel, qu'à des machines d'emballage et de conditionnement non automatisées. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a regardé l'établissement ainsi exploité par la SARL Condiprim comme présentant un caractère industriel au sens et pour l'application des dispositions de l'article 1499 du code général des impôts, et qu'elle a déterminé, pour la définition des bases de cotisation foncière des entreprises, la valeur locative de cet établissement selon les modalités visées par ces dispositions.

S'agissant de l'invocation d'une prise de position formelle de l'administration :

12. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. ". En vertu du 1° de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, la garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal.

13. Si, comme le font observer la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim, par un courrier qu'elle a adressé, le 13 mai 2014, à cette dernière société à la suite d'une précédente vérification de comptabilité engagée le 23 octobre 2013 et portant, notamment en matière d'impositions locales, sur la période s'étendant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012, l'administration lui a fait connaître que ce contrôle était achevé et qu'il se concluait " sans rectification ", sans que cette information ne soit appuyée par une quelconque précision complémentaire, ce courrier ne peut, eu égard à son contenu, être regardé comme contenant une prise de position formelle de l'administration sur la situation de l'établissement en cause au regard de la loi fiscale, au sens des dispositions, rappelées au point précédent, du 1° de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.

14. Par ailleurs, si, par une proposition de rectification adressée le 7 décembre 2009 à l'issue d'un contrôle encore précédent, à la SARL Condiprim, l'administration a fait connaître à cette société qu'elle entendait procéder à des rehaussements de ses bases à la taxe professionnelle, sans remettre en cause la méthode commerciale de détermination de la valeur locative de son établissement de Steenvoorde, qui était alors utilisée par le service, ce document, par lequel l'administration ne justifie par aucune motivation expresse le maintien de cette méthode, ne peut être regardé comme une prise de position formelle de l'administration sur ce point, au regard de la loi fiscale, qui soit susceptible d'être opposé à l'administration sur le fondement des dispositions, rappelées au point 12, du 1° de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.

15. La SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim ne sont pas fondées à invoquer les dispositions insérées au 12° de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, dès lors que l'avis de vérification informant la SARL Condiprim de l'engagement du contrôle à l'issue duquel les suppléments de cotisation foncière des entreprises en litige ont été établis lui a été adressé le 31 janvier 2018, c'est-à-dire à une date antérieure à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2019, de ces dispositions, en application du II de l'article 9 de cette loi.

En ce qui concerne les conclusions subsidiaires :

16. Aux termes de l'article 1382 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : / (...) / 11° Les outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à l'exclusion de ceux visés aux 1° et 2° de l'article 1381 ; / (...) ". Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties, en application des dispositions précitées du 11º de l'article 1382 du code général des impôts, et doivent, par suite, être exclus des bases imposables à la cotisation foncière des entreprises, les biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499 de ce code, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1º et 2º de l'article 1381 du même code, c'est-à-dire qu'ils ne constituent ni des installations destinées à abriter des personnes ou des biens ou à stocker des produits, ni des ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions tels que, notamment, les cheminées d'usine, les réfrigérants atmosphériques, les formes de radoub, les ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation, ces éléments étant mentionnés au 1° de l'article 1381, ni des ouvrages d'art et des voies de communication, mentionnés au 2° de cet article. En revanche, peu importe que ces biens soient ou non dissociables des immeubles.

17. A l'exception des cas, dont ne relève pas l'espèce, où, eu égard à la procédure d'imposition mise en œuvre, la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si les immobilisations d'une entreprise entrent dans le champ de la cotisation foncière des entreprises et, dans l'affirmative, si le contribuable remplit les conditions légales pour pouvoir prétendre à une exonération de cette cotisation.

18. Alors que la consistance des propriétés qui entrent dans le champ de la taxe foncière détermine la base de la cotisation foncière des entreprises, la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim soutiennent que les installations frigorifiques présentes dans son établissement de Steenvoorde et inscrites dans sa comptabilité, devaient bénéficier de l'exonération prévue par les dispositions précitées du 11° de l'article 1382 du code général des impôts. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment, des éléments avancés en défense, et n'est sérieusement pas contesté, par la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim, qui ne produisent aucun élément de nature à justifier d'une affectation différente de celles-ci, que ces installations sont exclusivement utilisées pour assurer le stockage des marchandises, le ministre précisant d'ailleurs que les zones réfrigérées sont séparées de l'aire d'expédition et d'ensachage par des portes isothermes. Ainsi, ces installations frigorifiques doivent être regardées comme destinées à stocker des produits, au sens des dispositions du 1º de l'article 1381 du code général des impôts. Dès lors, le moyen ainsi présenté par la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim ne peut qu'être écarté et, par suite, leurs conclusions subsidiaires tendant à ce que la cour prononce une réduction supplémentaire, par rapport à celle accordée par le tribunal administratif, des bases de cotisation foncière des entreprises qui ont été assignées à cette dernière société ne peuvent qu'être rejetées. Les appelantes ne sont pas fondées à invoquer, à cet égard, les énonciations du paragraphe n°30 de la doctrine administrative publiée le 22 mai 2019 sous la référence BOI-IF-TFB-10-10-20, qui, en tout état de cause, ne comportent aucune interprétation de la loi fiscale qui soit différente de celle dont le présent arrêt fait application.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Les Deux Frères et la SARL Condiprim ne sont pas fondées à soutenir que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a insuffisamment fait droit aux conclusions de leurs demandes.

Sur les frais de procédure :

20. Par voie de conséquence de l'ensemble de ce qui précède, les conclusions que la SARL Condiprim présente sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les conclusions de la requête de la SCI Les Deux Frères et de la SARL Condiprim dirigées contre le jugement du 30 mars 2023 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il statue en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties et les conclusions accessoires qui s'y rattachent, sont transmises au Conseil d'Etat.

Article 2 : Le surplus des conclusions de cette requête est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Les Deux Frères, à la SARL Condiprim, ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice générale de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 30 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre ;

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.

Le rapporteur,

J.-F. PapinLe président de chambre,

M. A...

La greffière,

E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Sophie Cardot

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2

N°23DA00979

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3

N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00979
Date de la décision : 13/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : GUEY BALGAIRIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-13;23da00979 ?
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