La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/06/2024 | FRANCE | N°23DA00711

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 07 juin 2024, 23DA00711


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :



- d'annuler la décision du 15 juin 2020 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a ordonné la prolongation de sa mise à l'isolement du 17 juin au 17 septembre 2020 au sein du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.



Par

un jugement n° 2005274 du 17 février 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 15 juin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :

- d'annuler la décision du 15 juin 2020 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a ordonné la prolongation de sa mise à l'isolement du 17 juin au 17 septembre 2020 au sein du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2005274 du 17 février 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 15 juin 2020 du ministre de la justice et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 avril 2023, le garde des Sceaux, ministre de la justice demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A... B....

Il soutient que sa décision n'est pas entachée d'un vice de procédure.

La requête a été communiquée à M. A... B... qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 19 mars 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., écroué depuis le 5 septembre 2002, a été placé à l'isolement le 17 octobre 2017 à la suite de son évasion du centre pénitentiaire de Lille-Annœullin du 24 août 2015 au 11 octobre 2017, par une mesure régulièrement renouvelée par la suite. Par une décision du 15 juin 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, a ordonné la prolongation, du 17 juin au 17 septembre 2020, de la mise à l'isolement de M. B... au sein du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin. Le ministre de la justice interjette appel du jugement n° 2005274 du 17 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a, à la demande de M. B..., annulé sa décision du 15 juin 2020.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :

2. Aux termes de l'article R.57-7-63 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige : " La liste des personnes détenues placées à l'isolement est communiquée quotidiennement à l'équipe de l'unité de consultation et de soins ambulatoires de l'établissement. /Le médecin examine sur place chaque personne détenue au moins deux fois par semaine et aussi souvent qu'il l'estime nécessaire. /Ce médecin, chaque fois qu'il l'estime utile au regard de l'état de santé de la personne détenue, émet un avis sur l'opportunité de mettre fin à l'isolement et le transmet au chef d'établissement. ". Aux termes de l'article R. 57-7-64 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsqu'une décision d'isolement d'office initial ou de prolongation est envisagée, la personne détenue est informée, par écrit, des motifs invoqués par l'administration, du déroulement de la procédure et du délai dont elle dispose pour préparer ses observations. Le délai dont elle dispose ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat, si elle en fait la demande. Le chef d'établissement peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue et à son avocat les informations ou documents en sa possession qui contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires. / (...) Le chef d'établissement, après avoir recueilli préalablement à sa proposition de prolongation l'avis écrit du médecin intervenant à l'établissement, transmet le dossier de la procédure accompagné de ses observations au directeur interrégional des services pénitentiaires lorsque la décision relève de la compétence de celui-ci ou du ministre de la justice. / La décision est motivée. Elle est notifiée sans délai à la personne détenue par le chef d'établissement. ". Aux termes des dispositions de l'article R. 57-7-73 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé. /L'avis écrit du médecin intervenant dans l'établissement est recueilli préalablement à toute proposition de renouvellement de la mesure au-delà de six mois et versé au dossier de la procédure. ".

3. Il résulte de ces dispositions que l'avis du médecin intervenant dans l'établissement pénitentiaire, alors même qu'il ne s'agit pas d'un avis conforme, constitue une garantie reconnue au détenu, dont la privation est de nature à vicier la procédure.

4. Il appartient à l'administration pénitentiaire de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour s'assurer qu'un médecin intervenant dans l'établissement puisse rendre son avis. Si, malgré ses diligences, aucun avis médical n'est émis, il appartient au directeur interrégional des services pénitentiaires, lorsque la décision relève de la compétence de celui-ci, ou au ministre de la justice de se prononcer sur la demande de prolongation d'isolement d'un détenu transmise par le chef d'établissement, en tenant compte des informations et documents en sa possession concernant la personnalité de la personne détenue, sa dangerosité ou sa vulnérabilité particulière, et son état de santé.

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le chef du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin a sollicité à deux reprises, par courriel des 5 et 8 juin 2020, deux médecins intervenant dans l'établissement afin que l'un d'eux rende son avis sur la proposition de prolongation de l'isolement de M. B.... Il ressort de la liste des rendez-vous médicaux au sein de l'unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) de l'établissement que M. B..., qui avait demandé une consultation au sein de l'unité le 6 juin 2020, a été reçu le 7 juin 2020 et a refusé le rendez-vous prévu le 9 juin 2020. Cependant, aucun avis écrit n'a été émis par le médecin qui a examiné M. B... le 7 juin 2020, en dépit de la sollicitation de l'administration. Compte tenu des diligences accomplies par le chef d'établissement auprès des médecins intervenant en son sein et de l'impossibilité pour le chef d'établissement de contraindre le médecin à rendre un avis écrit après l'examen d'un détenu, le défaut d'avis médical ne peut être regardé comme constitutif d'un vice de procédure.

6. D'autre part, il ressort de la liste des rendez-vous médicaux au sein de l'UCSA de l'établissement qu'en regard de l'examen de M. B... le 7 juin 2020, sa grève de la faim a été mentionnée. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le médecin aurait, de son propre chef, émis un avis sur l'opportunité de mettre fin à son isolement, conformément aux prévisions de l'article R.57-7-63 du code de procédure pénale précité. En outre, M. B... ne fait état d'aucun élément précis et circonstancié, notamment d'ordre médical, faisant obstacle à la prolongation de son isolement. L'erreur commise par l'administration dans l'appréciation de son état de santé, au regard des autres éléments à prendre en considération, n'est ainsi pas démontrée.

7. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille s'est fondé, pour annuler la décision du 15 juin 2020, sur le moyen tiré du vice de procédure.

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Lille à l'encontre de l'arrêté du 15 juin 2020, l'intéressé n'ayant pas défendu en appel.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés en première instance :

S'agissant du moyen tiré du défaut de motivation :

9. Aux termes de l'article R.57-7-68 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque la personne détenue est à l'isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la justice peut prolonger l'isolement pour une durée maximale de trois mois renouvelable. / La décision est prise sur rapport motivé du directeur interrégional saisi par le chef d'établissement selon les modalités de l'article R. 57-7-64. /L'isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l'isolement constitue l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. /Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée. "

10. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée comporte un énoncé complet et circonstancié des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le ministre de la justice pour estimer que le maintien à l'isolement de l'intéressé constituait l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes ou de l'établissement. Elle mentionne, notamment, ses condamnations pour des faits, commis en récidive, de trafic de stupéfiants et de participation à une association de malfaiteurs en vue de commettre un délit, son renvoi récent devant le tribunal correctionnel pour le même type de faits commis alors qu'il était en état d'évasion pendant plus de deux ans à la suite de sa non-réintégration à l'issue d'une permission de sortie. L'administration fait également état de son inscription au répertoire des " détenus particulièrement signalés ", de son rôle présumé central à la tête d'un vaste réseau de trafic de stupéfiants dans le Nord de la France, de la réactivation récente de sa médiatisation et de la détention de connaissances appartenant au milieu du grand banditisme dans les centres pénitentiaires de Lille, Loos, Séquedin et Annoeulin. Elle relève également l'évolution positive de son comportement qui, d'agressif et violent à l'encontre du personnel pénitentiaire, est devenu plus courtois, tout en faisant état de la découverte de matériels prohibés dans ses affaires lors de son transfert le 3 juin 2020, par mesure d'ordre, au sein du centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin. Contrairement à ce que soutient M. B..., la décision est donc fondée, non seulement sur son comportement général depuis le début de sa détention, mais également sur des événements récents à la date de son édiction. Elle satisfait ainsi à l'obligation de motivation spéciale prévue à l'article R. 57-7-68 du code de procédure pénale précité.

S'agissant du moyen tiré de l'erreur d'appréciation :

11. Les faits mentionnés au point précédent traduisent la permanence d'un comportement de M. B... incompatible avec les règles de la détention en régime ordinaire et qui présente pour la sécurité de l'établissement et des personnes s'y trouvant un risque justifiant qu'il soit maintenu à l'isolement. Dès lors, l'administration établit que son placement à l'isolement est l'unique moyen d'assurer la sécurité des personnes et de l'établissement où il est actuellement incarcéré.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des Sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 15 juin 2020 et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. B... en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 17 février 2023 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... présentée en première instance est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des Sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience publique du 23 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. Legrand

La présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA00711 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00711
Date de la décision : 07/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-07;23da00711 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award