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04/06/2024 | FRANCE | N°23DA00550

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 04 juin 2024, 23DA00550


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :



1°) de condamner la commune de Merville à lui verser la somme de 140 000 euros en réparation des préjudices résultant d'agissements constitutifs de harcèlement moral qu'il estime avoir subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation de ces intérêts ;



2°) de condamner la commune de Merville à lui verser l'intégralité de ses t

raitements et de ses primes depuis la date de son dernier arrêt de travail et la perte de son droit à plein traitem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :

1°) de condamner la commune de Merville à lui verser la somme de 140 000 euros en réparation des préjudices résultant d'agissements constitutifs de harcèlement moral qu'il estime avoir subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation de ces intérêts ;

2°) de condamner la commune de Merville à lui verser l'intégralité de ses traitements et de ses primes depuis la date de son dernier arrêt de travail et la perte de son droit à plein traitement majoré, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation de ces intérêts ;

3°) de condamner la commune de Merville à lui verser l'intégralité du complément indemnitaire annuel 2018 sur les résultats 2017, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation de ces intérêts ;

4°) d'annuler la décision du 18 septembre 2019 rejetant sa demande de protection fonctionnelle ;

5°) d'enjoindre à la commune de Merville de mettre en œuvre à son profit la protection fonctionnelle, dans un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1909692 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du maire de la commune de Merville du 18 septembre 2019 refusant à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle, a condamné la commune à verser à M. B... la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation, enjoint à la commune d'accorder à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison des faits de harcèlement moral subis, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, mis à la charge de la commune la somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 mars 2023, la commune de Merville, représentée par Me Fabrice Savoye, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter l'ensemble des demandes présentées par M. B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B..., le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les faits invoqués par M. B... ne sont pas susceptibles de caractériser l'existence d'un harcèlement moral ;

- les interventions du maire dans la direction et l'organisation des services techniques, formulées dans l'intérêt de la collectivité, ne peuvent être regardées comme des agissements d'une telle nature ;

- s'il existait une situation conflictuelle entre le maire et M. B..., ce désaccord sur les méthodes de gestion du service ne constitue pas un harcèlement moral ; il est faux d'affirmer que le maire refusait systématiquement de signer les bons de commandes des services techniques ;

- si le maire a formulé de nombreuses demandes, notamment par courriels, c'était toujours dans un cadre professionnel ; le maire n'a jamais fait preuve de malveillance ou de violence à l'encontre de M. B..., ne l'a jamais appelé en dehors des heures de travail ou sur sa ligne personnelle ;

- M. B... ne supportant pas les instructions qui lui sont adressées, il s'est rebellé ouvertement contre son supérieur hiérarchique en n'hésitant pas à instrumentaliser les agents sous sa responsabilité et les élus en conflit avec le maire ;

- la mutation d'office de M. B... se justifiait par l'intérêt de mettre fin à la situation de conflit ;

- les agissements dont il allègue avoir été victime sont sans lien avec son état de santé ;

- en l'absence d'agissements fautifs de la commune, les demandes indemnitaires de M. B..., non justifiées, doivent être rejetées.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 juin et 8 décembre 2023, M. B..., représenté par Me Denisselle, conclut au rejet de la requête d'appel et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) de condamner la commune de Merville à lui verser une indemnité de 140 000 euros en réparation du préjudice moral et professionnel causé par les agissements de harcèlement moral à son encontre, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation des intérêts ;

2°) de condamner la commune de Merville à lui verser l'intégralité des traitements et primes depuis la date de son dernier arrêt de travail et la perte de son droit à plein traitement majoré ainsi que son complément indemnitaire annuel 2018 sur les résultats 2017 identiques à l'année précédente, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation des intérêts ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Merville sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la commune de Merville ne sont pas fondés ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, sa demande de versement d'une somme de 140 000 euros au titre des préjudices financier et moral est justifiée par la durée des agissements subis, la persistance du comportement du maire et les incidences de cette situation, notamment sur sa santé psychique et sur ses revenus.

Par une ordonnance du 11 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 12 janvier 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Forgeois pour la commune de Merville et de Me Boens pour M. B....

Une note en délibéré présentée par la commune de Merville a été enregistrée le 21 mai 2024.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., attaché territorial principal titulaire, a occupé les fonctions de directeur des services techniques de la commune de Merville du 12 mai 2015 au 1er septembre 2022. Le 15 juillet 2019, par la voie de son conseil, M. B... a sollicité du maire de Merville, d'une part, l'octroi de la protection fonctionnelle en invoquant être victime de faits de harcèlement moral et, d'autre part, le versement d'une indemnité réparant les préjudices qu'il estimait en lien avec ces agissements. Par une décision du 18 septembre 2019, ses prétentions ont été rejetées. M. B... a demandé au tribunal administratif de Lille de faire droit à ses demandes visant à l'octroi de la protection fonctionnelle pour les faits de harcèlement moral subis ainsi qu'au versement d'une indemnité de 140 000 euros réparant les préjudices financier et moral en lien avec ces agissements. La commune de Merville relève appel du jugement du 26 janvier 2023 du tribunal administratif de Lille, en tant qu'il a annulé la décision du maire refusant à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle, condamné la collectivité à verser à l'intéressé la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi et a enjoint de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par la voie de l'appel incident, M. B... demande que l'indemnité réparant ses préjudices moral et financier soit portée à la somme de 140 000 euros et de condamner la commune de Merville à lui verser l'intégralité des traitements et primes depuis la date de son dernier arrêt de travail et la perte de son droit à plein traitement majoré ainsi que son complément indemnitaire annuel 2018 sur les résultats 2017 identiques à l'année précédente.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions d'annulation de la décision du 18 décembre 2020 refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ". L'article 11 de la même loi dispose que : " A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".

3. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

4. Pour invoquer l'existence d'un harcèlement moral dans le cadre de son activité professionnelle au sein de la commune de Merville, M. B... soutient qu'ayant été recruté en mai 2015 à tête de la direction des services techniques de cette collectivité, les relations avec le maire se sont détériorées au cours de l'année 2016, situation révélée notamment par un très grand nombre d'échanges de courriels désagréables voire déplacés caractérisant, de la part de l'autorité hiérarchique, une pression continuelle, une conduite abusive, une attitude de dénigrement s'accompagnant d'une diminution de ses fonctions et de mesures ayant eu un impact négatif sur sa carrière, conduisant à porter atteinte à sa santé physique et psychique.

5. Pour démontrer que les agissements précédemment invoqués par M. B... et retenus par le tribunal administratif pour estimer que le harcèlement moral était constitué, sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, la commune de Merville fait valoir que depuis 2017, M. B... est en conflit avec le maire, ne supportant pas les instructions qui lui sont adressées, se rebellant ouvertement contre son supérieur hiérarchique et n'hésitant pas à instrumentaliser les agents sous sa responsabilité et utiliser les élus en conflit avec le maire.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier de courriels échangés sur la période 2016-2018, que le maire de la commune de Merville adressait à M. B..., au moins une fois par semaine, un message intitulé " remarques et remontées de terrain de la semaine écoulée " dont l'objet était de signaler à son destinataire, en sa qualité de directeur des services techniques, les multiples demandes d'intervention formulées ou recueillies directement auprès des habitants, ainsi que ses propres demandes, suscitées notamment par ses tournées régulières sur le territoire communal. Il ressort de ces courriels, que ces demandes, portaient sur des sujets aussi divers que la réparation et l'entretien des voiries, le ramassage et la collecte de déchets abandonnés sur la voie publique, la pose ou le retrait de panneaux de signalisation, le stationnement, l'éclairage public, l'entretien des espaces verts ou la propreté des locaux et équipements publics. Il ne ressort pas de ces courriels que les demandes d'intervention portaient sur des champs de compétence étrangers à la direction des services techniques et le maire de la commune ne peut en principe être regardé comme excédant ses attributions lorsqu'il adresse des instructions à ses chefs de service. Toutefois, en l'occurrence, la régularité et la multiplication de ces demandes, qui pouvaient souvent dépasser une vingtaine de tâches et présentaient un caractère hétéroclite et non hiérarchisé, ont eu pour effet de provoquer, par leur accumulation, un effet d'engorgement des services techniques. A cet égard, il résulte de courriels échangés entre les 4 et 8 août 2016, que M. B... a, une première fois, exprimé directement auprès du maire son désarroi face à l'accumulation des demandes abondantes du maire, ayant pour effet " d'asphyxier " son service et a sollicité un entretien pour trouver une organisation satisfaisante. En réponse, l'élu lui a fait connaître qu'il ne changerait pas sa façon de procéder, lui en donnerait les motifs en l'assurant qu'il ne remettait aucunement en cause son interlocuteur. Un courriel daté du 12 février 2017 révèle que M. B... s'est encore plaint de la persistance de ce mode de fonctionnement constitué de directives hebdomadaires adressées par le maire, reproches qu'il a réitérés le 22 mai 2017, le 29 mars 2018 et le 23 juin 2018 alors même qu'il n'est pas contesté qu'il avait mis en place, un outil destiné à faciliter le traitement et le suivi des demandes dénommé " Carcom ", que le maire n'a jamais consenti à utiliser. S'il ressort des courriels adressés par M. B... qu'il a, à certains moments, tenu des propos pouvant être qualifiés d'irrespectueux et désobligeants envers le maire, ils doivent cependant être replacés dans un contexte de vives tensions et de conflit résultant de la situation de désorganisation du service, induite par le mode de management imposé et maintenu par le maire en dépit des alertes de l'agent. S'il ressort des courriels adressés à son directeur des services techniques, que le maire s'exprimait en des termes courtois, leur contenu fait cependant apparaître, durant la période en cause et à une fréquence de plus en plus régulière, des remarques et des commentaires désobligeants et ironiques sur la qualité des prestations rendues par les services techniques de même qu'un interventionnisme excessif dans la gestion des affaires courantes de la direction des services techniques, ayant des effets négatifs sur la bonne marche du service. Dans ces circonstances, quand bien même les articles de presse dont se prévaut M. B... ne laissent apparaître aucune critique directe de sa personne de la part du maire, qui a usé modérément de son droit de communiquer son sentiment sur l'efficacité de l'action de ses services techniques et malgré l'absence de dégradation de ses évaluations professionnelles, le comportement adopté au quotidien par le maire doit être regardé comme excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

7. En deuxième lieu, il résulte également de l'instruction que le 2 octobre 2018, M. B... et sept autres agents des services techniques dont deux d'encadrement, ont exercé leur droit d'alerte et de retrait en raison de l'existence d'une souffrance psychologique au travail et qu'à l'initiative du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), une commission d'enquête, composée d'un représentant du personnel, d'un représentant de la collectivité, de la directrice des ressources humaines et d'un expert du centre départemental de gestion du Nord, a été chargée d'évaluer les risques psychosociaux engendrés par le management du maire de Merville. Les conclusions du rapport en date du 17 octobre 2018 de cette commission, mettent en relief le constat partagé d'un travail rendu complexe, notamment par la multitude de demandes d'interventions, imprécises, sans hiérarchisation, d'incohérence dans les directives rendant difficile le respect du programme de travail et des horaires de travail ainsi que d'un manque de personnel pour toutes les satisfaire, nuisant à la sérénité des agents au travail. Ce constat, qui ressort également des témoignages de l'adjoint aux travaux et à l'aménagement du territoire, de la 2ème adjointe au cadre de vie, à l'environnement et au développement durable ainsi que de l'adjoint aux sports, aux loisirs et à la vie associative, tous trois élus référents des services techniques, permet de confirmer l'existence d'un mal être au travail, généré par la désorganisation progressive du service consécutivement aux demandes multiples et pressantes du maire.

8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, sans que cela soit contesté par l'appelante, que dans ce contexte de relations conflictuelles, le maire a réduit les attributions de M. B... en imposant sa présence aux réunions de planification des services techniques et en l'écartant du comité de pilotage bâtiment en octobre 2018 puis en décidant de ne plus l'associer à plusieurs chantiers importants de la commune (travaux publics route d'Hazebrouck, transfert de

compétence-intercommunalité, parking de l'école communale, appel d'offres pour l'extension d'une école, inauguration de l'extension de la crèche, réunion de préparation budgétaire 2019). Si, dans ce contexte de conflit ouvert et de désaccord, le maire de Merville était fondé, dans l'intérêt du service, à envisager la mutation d'office de M. B..., il ressort cependant de l'instruction que le poste de chargé de mission sécurité ne correspondait pas un emploi du niveau de la catégorie A et avait ainsi pour effet de compromettre la carrière de l'intéressé.

9. En dernier lieu, il résulte par ailleurs de l'instruction que cette situation a conduit à une dégradation de l'état de santé de l'intéressé, placé en congé de longue maladie du 22 mars 2019 au 21 mars 2022 en raison d'un syndrome anxio-dépressif.

10. Compte tenu de ce qui précède, en déduisant des éléments qu'il avait relevés que le comportement de critique permanente, de dénigrement et d'agissements constitutifs d'une pression constante ont eu pour effet, d'une part, de déstabiliser M. B... sur sa capacité à mener à bien les missions de responsable des services techniques, d'autre part, de le placer en porte à faux

vis-à-vis des équipes qu'il avait la charge d'encadrer et, enfin, de contribuer largement à la désorganisation du travail des services techniques, le tribunal n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en estimant qu'ils caractérisaient un harcèlement moral.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Merville n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du maire du 18 septembre 2019 refusant à M. B... le bénéfice de la protection fonctionnelle, l'a condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi et enjoint d'accorder à ce dernier le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison des faits de harcèlement moral subis.

Sur les conclusions d'appel incident :

12. En premier lieu, M. B... fait valoir qu'il a subi un préjudice financier résultant des pertes de revenus consécutifs à son placement en congé de longue maladie pour un syndrome anxiodépressif trouvant son origine dans les agissements de harcèlement moral qu'il a subis. A cet égard, il résulte de l'instruction qu'au terme d'un examen médical en date du 31 juillet 2020, le médecin psychiatre agréé désigné par le comité médical départemental a conclu à l'existence d'un " syndrome post-traumatique lié à un conflit permanent avec sa hiérarchie " et préconisé, pour ce motif, son placement en congé de longue maladie pour dix-huit mois à compter du 22 mars 2019. La réalité du placement en congé de longue maladie à partir de cette dernière date et pour une durée de trois ans, est établie par l'arrêté du maire du 20 avril 2022, produit par l'intimé, ayant pour objet de prolonger son congé jusqu'au 21 mars 2022 et visant les avis favorables successifs à l'octroi de ce congé émis par le comité médical départemental, éclairé notamment par les conclusions de l'expertise psychiatrique précédemment citée. Ces éléments médicaux, ainsi que l'attestation datée du 3 septembre 2023 d'un psychologue clinicien indiquant suivre régulièrement M. B... depuis novembre 2017 pour un syndrome anxiodépressif en lien avec son activité professionnelle, permettent de mettre la pathologie justifiant le congé de longue maladie de M. B... en relation directe avec ses souffrances psychologiques consécutives aux agissements de harcèlement moral dont il a été victime à compter de l'année 2016. Il s'ensuit que M. B... est en droit d'obtenir la réparation du préjudice financier directement en lien avec les agissements fautifs commis à son encontre.

13. Il résulte de l'instruction, notamment des bulletins de paie communiqués par l'intéressé, que M. B... percevait, avant son placement en congé de longue maladie à plein-traitement durant un an puis à demi-traitement durant deux ans, une rémunération nette annuelle de 39 916 euros. M. B... justifie, sans être contesté, avoir perçu, au titre de l'année 2019, une rémunération de 27 300 euros nets, soit une perte de 12 616 euros, au titre de l'année 2020, une rémunération de 28 000 euros nets, soit une perte de 11 916 euros, au titre de l'année 2021, une rémunération nette de 14 018 euros, soit une perte de 25 898 euros et enfin, de janvier à mars 2022, la perception d'un revenu net de 4 114 euros, soit une perte de 5 086 euros. Il s'ensuit qu'il a subi, pour la période mars 2019 à mars 2022 correspondant à son placement en congé de longue maladie, une perte de traitement équivalent à la somme de 55 516 euros. En revanche, d'une part, il ne peut utilement se prévaloir de la perte de ses primes et indemnités dès lors que ces avantages sont la contrepartie de sujétions attachées à l'exercice effectif de fonctions qui n'ont pas été exercées et, d'autre part, il n'apporte aucun élément permettant d'établir le caractère certain des autres préjudices financiers qu'il allègue avoir subis au titre de ses dépenses de santé.

14. En second lieu, si M. B... fait valoir que son préjudice moral a été insuffisamment évalué par le tribunal administratif, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en décidant de lui allouer la somme de 5 000 euros.

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, que la somme que le tribunal administratif de Lille a condamné la commune de Merville à verser à M. B... par l'article 2 du jugement attaqué, doit être portée de 5 000 euros à 60 516 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et capitalisation à compter du 18 juillet 2020. M. B... est fondé à demander, par ses conclusions incidentes, la réformation du jugement attaqué dans cette seule mesure.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la commune de Merville, au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Merville une somme de 2 000 euros, sur le fondement des mêmes dispositions, au titre des frais exposés par M. B....

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Merville est rejetée.

Article 2 : La somme que la commune de Merville est condamnée à verser à M. B... est portée de 5 000 euros à 60 516 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lille n° 1909692 du 26 janvier 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune de Merville versera à M. B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus de l'appel incident de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Merville et à M. A... B....

Délibéré après l'audience publique du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef, par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

No 23DA00550 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00550
Date de la décision : 04/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : HERMARY & ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-04;23da00550 ?
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