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30/05/2024 | FRANCE | N°23DA01647

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 30 mai 2024, 23DA01647


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée (SARL) Cobe Sécurité Privée a demandé au tribunal administratif d'Amiens, par deux demandes successives, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 octobre 2016 et 2017, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période s'étendant du 1er avril 2016 au 28 fév

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Par un jugement nos 2004168, 2100641 du 15 juin 2023, le tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Cobe Sécurité Privée a demandé au tribunal administratif d'Amiens, par deux demandes successives, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 octobre 2016 et 2017, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période s'étendant du 1er avril 2016 au 28 février 2018.

Par un jugement nos 2004168, 2100641 du 15 juin 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 août 2023 et le 30 janvier 2024, la SARL Cobe Sécurité Privée, représentée par Me Philip, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors qu'elle a été regardée à tort comme ayant fait obstacle à la tenue de la vérification de comptabilité à laquelle l'administration entendait la soumettre en matière de taxe sur la valeur ajoutée, les rappels de taxe en résultant n'ont pu faire régulièrement l'objet de la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales ; contrairement à ce qu'oppose le ministre, ce moyen est recevable ;

- la proposition de rectification qui lui a été adressée pour lui faire connaître les rehaussements que l'administration entendait apporter à ses résultats imposables est insuffisamment motivée au regard de l'exigence posée à l'article L. 76 du livre des procédures fiscales, en ce qu'elle ne comporte aucune indication des modalités de détermination du taux forfaitaire de 80 % que le service a entendu appliquer à son chiffre d'affaires pour tenir compte des charges des exercices vérifiés ;

- pour reconstituer ses résultats imposables, en se bornant à faire application d'un taux forfaitaire de 80 % qui n'est pas réaliste au regard des données tirées de son exploitation ou de celle d'entreprises comparables ou encore des statistiques du secteur professionnel concerné et qui induit un taux de marge de 20 % manifestement disproportionné par rapport aux conditions réelles de son exploitation, l'administration a fait usage d'une méthode radicalement viciée dans son principe et excessivement sommaire, qui a conduit à soumettre cette société à une imposition excessive ; la doctrine administrative, en particulier les instructions publiées sous les références BOI-CF-IOR-10-20, en son paragraphe n° 200, BOI-CTX-DG-20-20, en son paragraphe n° 20, et BOI-CF-IOR-50-20, en ses paragraphes n° 200 et n° 210, conforte son analyse.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2023, et par un mémoire, enregistré le 30 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la contestation, par la SARL Cobe Sécurité Privée, de la régularité de la procédure d'évaluation d'office suite à une opposition à contrôle fiscal mise en œuvre à son égard, en ce qui concerne les rectifications notifiées en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur le fondement de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales est irrecevable comme consistant en la reprise littérale et exclusive de l'argumentation développée sur ce point devant les premiers juges ;

- la proposition de rectification adressée à la SARL Cobe Sécurité Privée pour porter à sa connaissance les rectifications envisagées par l'administration en ce qui concerne ses résultats imposables des exercices clos les 31 octobre 2016 et 2017 est suffisamment motivée au regard de l'exigence posée à l'article L. 76 du livre des procédures fiscales, en particulier s'agissant de la justification du taux de charge de 80 % dont il a été fait application, dans un souci de réalisme économique et dans une situation dans laquelle la vérificatrice n'a eu accès à aucune comptabilité ;

- les résultats des exercices clos les 31 octobre 2016 et 2017 de la SARL Cobe Sécurité Privée ayant été reconstitués et les suppléments d'impôt sur les sociétés en résultant ayant été établis selon la procédure de taxation d'office prévue au 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, cette société supporte la charge de la preuve en application de l'article L. 193 du même livre ; au surplus, le liquidateur judiciaire de la SARL Cobe Sécurité Privée, à qui ces rectifications ont été notifiées, n'ayant formulé aucune observation dans le délai imparti par la proposition de rectification, les dispositions de l'article R. 194-1 du même livre conduisent également à attribuer la charge de la preuve à cette société ;

- la SARL Cobe Sécurité Privée, qui, au titre des deux exercices vérifiés, ne justifie pas de charges atteignant des montants supérieurs à ceux retenus par l'administration pour asseoir les rectifications contestées, n'est pas fondée à soutenir que la méthode de reconstitution de résultats mise en œuvre par le service vérificateur serait radicalement viciée et n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère exagéré des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Cobe Sécurité Privée a pour activité la protection des biens et des personnes, le gardiennage et, plus généralement, la sécurité privée. L'administration a adressé à cette société, le 5 avril 2018, un avis destiné à l'informer de l'engagement prochain d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période s'étendant du 1er avril 2016 au 28 février 2018. Cependant, le pli recommandé contenant cet avis a été retourné au service le 15 mai 2018, avec une mention selon laquelle son destinataire avait été avisé de sa mise à disposition au bureau de distribution désigné, mais qu'il n'avait pas été réclamé avant l'expiration du délai de conservation. Dans cette situation et eu égard à d'autres circonstances constatées par lui, le service vérificateur a estimé se trouver dans une situation d'opposition à contrôle fiscal.

2. Il a, dès lors, procédé à une reconstitution des recettes taxables réalisées par la SARL Cobe Sécurité Privée au cours de la période vérifiée, en se fondant notamment, faute de pouvoir disposer d'une comptabilité, sur les crédits inscrits sur les relevés des comptes bancaires utilisés par la société pour les besoins de son activité. L'administration a fait connaître son analyse à la SARL Cobe Sécurité Privée par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 29 octobre 2018 selon la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales. En l'absence d'observations de la part de la SARL Cobe Sécurité Privée, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et de contribution sur les activités privées de sécurité résultant des bases notifiées ont été mis en recouvrement le 31 décembre 2018, à hauteur d'un montant total de 466 644 euros incluant la majoration de 100 % prévue, en cas d'opposition à contrôle fiscal, à l'article 1732 du code général des impôts. Entre-temps, par un jugement du 9 novembre 2018, le tribunal de commerce de Saint-Quentin a placé la SARL Cobe Sécurité Privée en procédure de liquidation judiciaire.

3. L'administration a également entrepris une vérification de la comptabilité de la SARL Cobe Sécurité Privée en matière d'impôt sur les sociétés, en ce qui concerne la période s'étendant du 1er novembre 2015 au 31 octobre 2017, ce dont elle a informé la société par un avis qu'elle lui a adressé le 15 octobre 2018, par un pli recommandé qu'elle a effectivement reçu le 29 octobre 2018. Dès lors qu'aucune comptabilité n'a pu lui être présentée pour ce qui concerne la période vérifiée et dès lors que la société n'avait pas souscrit, en dépit d'une mise en demeure, les déclarations de résultats s'y rapportant, la vérificatrice a procédé à une reconstitution des résultats imposables de la SARL Cobe Sécurité Privée pour chacun des deux exercices comptables en cause, en se fondant sur la reconstitution de recettes déjà opérée et en appliquant un taux représentatif des charges de ces exercices. L'administration a fait connaître au liquidateur judiciaire de la société son analyse par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 26 avril 2019, selon la procédure de taxation d'office prévue au 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales. En l'absence d'observations, les suppléments d'impôt sur les sociétés résultant des rehaussements notifiés ont été mis en recouvrement le 16 décembre 2019, à hauteur d'un montant total de 131 373 euros en droits et pénalités. Dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire dont faisait alors l'objet de la SARL Cobe Sécurité Privée, l'administration a formé auprès du tribunal de commerce de Saint-Quentin, le 28 janvier 2020, une demande d'admission définitive de la créance qu'elle avait déclarée à titre provisionnel pour un montant de 628 962,54 euros.

4. Ses réclamations ayant été rejetées, la SARL Cobe Sécurité Privée a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant, par deux demandes successives, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 octobre 2016 et 2017, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période s'étendant du 1er avril 2016 au 28 février 2018. La SARL Cobe Sécurité Privée relève appel du jugement du 15 juin 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ces demandes.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

En ce qui concerne la situation d'opposition à contrôle fiscal retenue s'agissant de la vérification de comptabilité en matière de taxe sur la valeur ajoutée :

5. Aux termes de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers. / (...) ".

6. Il ressort des mentions de la proposition de rectification envoyée le 29 octobre 2018 à l'adresse du siège social de la SARL Cobe Sécurité Privée que le pli contenant l'avis de vérification que le service chargé de la vérification de la comptabilité de cette société en matière de taxe sur la valeur ajoutée lui a envoyé le 4 avril 2018, pour l'informer de l'engagement prochain de ce contrôle et pour lui proposer qu'une première intervention de la vérificatrice se tienne le 15 avril 2018 dans les locaux de son siège social, a été retourné à l'expéditeur revêtu d'une mention selon laquelle la société destinataire avait été avisée, le 5 avril 2018, de la mise à disposition de ce pli au bureau distributeur désigné, mais que le pli n'avait pas été retiré avant l'expiration du délai de conservation. La même proposition de rectification ajoute que, dans ces conditions, la vérificatrice a, par un nouveau courrier recommandé daté du 26 avril 2018, accompagné d'une copie de l'avis de vérification et doublé par un courrier simple du même jour, proposé à la SARL Cobe Sécurité Privée de reporter au 18 mai 2018 la première intervention sur place, mais que le pli recommandé a été retourné au service avec une mention selon laquelle la société destinataire, bien qu'avisée, le 27 avril 2018, de la mise en instance de celui-ci, ne l'avait pas retiré dans le délai de mise à disposition. La proposition de rectification précise que la gérante de la SARL Cobe Sécurité Privée a fait connaître à la vérificatrice, par un courrier électronique daté du 17 mai 2018, être dans l'impossibilité, dans le contexte d'un litige avec l'expert-comptable de l'entreprise, de produire une comptabilité se rapportant à la période vérifiée, mais qu'elle serait présente lors de la première intervention de la vérificatrice, qui s'est effectivement tenue au siège de la société le 18 mai 2018.

7. Cependant, selon les termes de la même proposition de rectification, la SARL Cobe Sécurité Privée n'était pas représentée lors de l'intervention suivante de la vérificatrice, prévue sur place le 7 juin 2018 et, en l'absence de tout contact avec la gérante de la SARL Cobe Sécurité Privée, ni avec une personne dûment mandatée pour représenter la société, la vérificatrice a adressé à celle-ci, par courrier recommandé du 15 juin 2018, une première mise en garde pour opposition à contrôle fiscal rappelant les dispositions précitées de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales et proposant une nouvelle intervention sur place de la vérificatrice le 4 juillet 2018, une copie de cette mise en garde ayant été adressée, par courrier recommandé du même jour, à l'adresse personnelle de la gérante de la société et ces deux envois ayant été doublés par lettres simples. La proposition de rectification précise que les deux plis recommandés ont été retournés au service avec une mention selon laquelle leurs destinataires, bien qu'avisés de leur mise à disposition, ne les ont pas retirés dans le délai imparti. De nouveau, en dépit des messages, vocal et électronique, qu'elle avait entre-temps adressés à la gérante de la SARL Cobe Sécurité Privée, la vérificatrice n'a pu que constater que cette société n'était pas représentée à l'adresse de son siège social à l'horaire fixé le 4 juillet 2018 pour sa seconde intervention. Dans ces conditions, la proposition de rectification indique qu'une seconde mise en garde pour opposition à contrôle fiscal comportant une invitation à contacter, au plus vite, le service, dont les coordonnées étaient rappelées, a été adressée par courrier recommandé, le 6 juillet 2018, à la SARL Cobe Sécurité Privée et à sa gérante et que les plis correspondants ont été distribués à leur destinataire. Cependant, selon la proposition de rectification, à l'exception d'un courrier du 16 juillet 2018 par lequel sa gérante sollicitait du service un report des interventions de la vérificatrice le temps nécessaire au règlement du litige l'opposant à son expert-comptable, demande à laquelle l'administration a apporté une réponse négative, la SARL Cobe Sécurité Privée n'a plus repris l'attache du service vérificateur et n'était pas représentée au rendez-vous fixé par le vérificatrice pour le 6 septembre 2018 dans les locaux du service.

8. Dans ces conditions, dont la matérialité n'est pas contestée par la SARL Cobe Sécurité Privée, c'est sans commettre d'irrégularité de procédure que l'administration a estimé que la vérification de comptabilité entreprise à l'égard de la SARL Cobe Sécurité Privée et qui avait donné lieu à un unique entretien liminaire avec la gérante de cette société le 18 mai 2018, à l'occasion duquel aucune comptabilité n'avait été produite, n'avait pu utilement se poursuivre du fait du contribuable et qu'il y avait, en conséquence, lieu d'évaluer d'office, en application des dispositions précitées de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, les bases taxables à la taxe sur la valeur ajoutée qu'il convenait d'assigner à la SARL Cobe Sécurité Privée au titre de la période vérifiée.

En ce qui concerne la motivation de la proposition de rectification adressée le 26 avril 2019 à l'issue de la vérification de comptabilité en matière d'impôt sur les sociétés :

9. Ainsi qu'il a été dit au point 3, les rehaussements que l'administration a entendu appliquer aux résultats imposables de la SARL Cobe Sécurité Privée ont été portés à la connaissance de celle-ci par proposition de rectification qui lui a été adressée le 26 avril 2019, selon la procédure de taxation d'office prévue au 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, faute pour cette société d'avoir déposé ses déclarations de résultats en dépit d'une mise en demeure, ce qu'elle ne conteste pas.

10. Aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales, dont les dispositions sont applicables lorsque les impositions ont, comme en l'espèce, été établies d'office : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions. (...) ".

11. Il résulte des termes mêmes de la proposition de rectification qui a été adressée le 26 avril 2019 à la SARL Cobe Sécurité Privée, à l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet en matière d'impôt sur les sociétés, en ce qui concerne la période s'étendant du 1er novembre 2015 au 31 octobre 2017, qu'après avoir notamment exposé les conditions dans lesquelles cette procédure a été mise en œuvre à l'égard du liquidateur judiciaire de cette société, justifié les raisons pour lesquelles les rehaussements envisagés ont été notifiés selon la procédure de taxation d'office, relevé qu'aucune comptabilité se rapportant à la période vérifiée n'a pu être présentée et exposé l'incidence des rappels de taxe sur la valeur ajoutée précédemment notifiés, la vérificatrice indique avoir fondé la détermination des résultats imposables de la SARL Cobe Sécurité Privée sur la reconstitution des recettes de l'entreprise réalisée à partir des crédits bancaires identifiés comme des règlements de clients dans le cadre de la procédure de vérification de comptabilité antérieurement engagée. La vérificatrice ajoute avoir, en l'absence de présentation de toute pièce justificative de dépenses, déterminé les résultats imposables de l'entreprise en défalquant des chiffres d'affaires reconstitués une part de 80 % de ces chiffres d'affaires pour tenir compte, dans un souci de réalisme économique, des charges inhérentes à l'activité de l'entreprise.

12. Ainsi rédigée, cette proposition de rectification, qui précise l'impôt et les exercices concernés par les rectifications notifiées, doit être regardée comme comportant, avec une précision suffisante au regard de l'exigence posée par les dispositions précitées de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales, la mention des bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et de leurs modalités de détermination. Dans une situation dans laquelle, d'une part, aucune comptabilité se rapportant aux exercices vérifiés n'a été présentée à la vérificatrice et, d'autre part, les suppléments d'impôt sur les sociétés résultant des éléments ainsi notifiés ont été taxés d'office, de sorte qu'il n'incombait pas à l'administration de mettre le liquidateur judiciaire de la SARL Cobe Sécurité Privée à même de présenter des observations avant la date de mise en recouvrement de ces suppléments, la justification du taux de charges de 80 % par la recherche d'un réalisme économique était suffisante pour permettre un débat, sur ce point, devant le juge de l'impôt. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification doit être écarté.

Sur le bien-fondé des suppléments d'impôt sur les sociétés en litige :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

13. Ainsi qu'il a été dit précédemment, les suppléments d'impôt sur les sociétés en litige ont été notifiés à la SARL Cobe Sécurité Privée selon la procédure de taxation d'office prévue au 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, dont la régularité n'est pas contestée. Il s'ensuit que la société appelante supporte, en application de l'article L. 193 du même livre, la charge de la preuve et qu'il lui appartient, en vertu de l'article R. 193-1 de ce livre, d'établir que les impositions mises ainsi à sa charge présentent un caractère exagéré.

En ce qui concerne la contestation de la méthode de reconstitution mise en œuvre par le service :

14. Dans une situation dans laquelle la vérificatrice n'a eu accès, pour les besoins de la vérification de comptabilité à laquelle elle entendait soumettre la SARL Cobe Sécurité Privée, en matière d'impôt sur les sociétés, à aucune comptabilité, ni à aucun justificatif de dépenses susceptibles de constituer des charges des exercices vérifiés, et dans laquelle le débat oral et contradictoire n'a pu être engagé qu'à l'égard d'une collaboratrice du liquidateur judiciaire de la société, qui ne disposait d'aucun élément d'information sur les conditions d'exploitation de l'entreprise, le service vérificateur pouvait s'en tenir à une évaluation forfaitaire du niveau des charges des exercices vérifiés et le seul fait qu'il n'a pas estimé utile de s'assurer, de sa propre initiative, de la pertinence de ce taux, par comparaison avec des données recueillies auprès d'entreprises exerçant dans le même secteur d'activité ou à partir de publications professionnelles ou encore de données statistiques disponibles ne peut suffire à la SARL Cobe Sécurité Privée, qui, comme il a été dit, supporte la charge de la preuve, pour établir que la méthode mise en œuvre par le service vérificateur pour reconstituer ses résultats imposables serait radicalement viciée dans son principe ou excessivement sommaire.

15. La SARL Cobe Sécurité privée n'est pas fondée à invoquer, à cet égard, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les énonciations du paragraphe n° 200 de la doctrine administrative publiée sous la référence BOI-CF-IOR-10-20, dans les prévisions desquelles elle n'entre pas, dès lors que ces énonciations ont trait à l'hypothèse dans laquelle la procédure de rectification contradictoire a été mise en œuvre, ce qui n'a pas été le cas à l'égard de la SARL Cobe Sécurité Privée, dont les bénéfices ont été taxés d'office. Cette société n'est pas davantage fondée à invoquer, sur le fondement des mêmes dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les énonciations du paragraphe n° 20 de la doctrine administrative publiée sous la référence BOI-CTX-DG-20-20, dès lors que, afférentes à la procédure contentieuse applicable devant le juge de l'impôt, elles ne peuvent être regardées comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale, au sens de ces dispositions.

16. Enfin, la SARL Cobe Sécurité Privée n'est pas plus fondée à invoquer, sur le fondement du même article L. 80 A, les énonciations des paragraphes n° 200 et n° 210 de la doctrine administrative publiée sous la référence BOI-CF-IOR-50-20, en ce qu'elles indiquent que " Le droit accordé à l'administration d'arrêter d'office les bases d'imposition ne lui confère pas un pouvoir discrétionnaire " et que " Le service doit donc s'attacher à faire une évaluation aussi exacte que possible des éléments qui concourent à la détermination des bases d'imposition (...) de manière à éviter l'établissement d'impositions manifestement excessives ou insuffisantes ", dès lors que le dernier paragraphe invoqué précise lui-même que " le service doit faire application des principes suivants : / - s'il trouve, parmi les renseignements qu'il aura recueillis, des éléments lui permettant de déterminer directement la base d'imposition avec une approximation suffisante, il retiendra le chiffre ainsi obtenu. (...) ". Or, le service vérificateur n'ayant, comme il a été dit, disposé d'aucun document comptable, ni d'aucun justificatif des dépenses exposées par la SARL Cobe Sécurité Privée et susceptibles d'être regardées comme des charges des exercices vérifiés, cette société ne peut pas être regardée comme entrant dans les prévisions des extraits de doctrine administrative qu'elle invoque.

En ce qui concerne le caractère exagéré des suppléments d'impôt en litige :

17. Si la SARL Cobe Sécurité Privée conteste que le taux forfaitaire de 80 % retenu par l'administration ait été de nature à traduire fidèlement le niveau de charges qu'elle a supportées au titre des deux exercices vérifiés, clos les 31 octobre 2016 et 2017, elle ne verse au dossier, alors que la charge de la preuve lui incombe ainsi qu'il a été dit, aucun document comptable, ni aucun autre élément de nature à permettre d'appréhender l'importance des charges qu'elle a effectivement supportées au cours de ces deux exercices, des comptes prévisionnels au 31 mars 2016 ne pouvant constituer à cet égard un commencement de preuve suffisant. La SARL Cobe Sécurité Privée ne peut utilement, pour justifier sa carence, faire état de l'appel qu'elle a interjeté à l'encontre de l'ordonnance du 18 juillet 2018 du président du tribunal de grande instance de Laon rejetant la requête en référé qu'elle avait engagée à l'encontre de son expert-comptable, alors, au demeurant, que les motifs de cette ordonnance relèvent qu'elle n'a pas démontré avoir remis à ce professionnel l'ensemble des pièces lui permettant d'accomplir sa mission.

18. Par ailleurs, en invoquant, à partir de documents comptables afférents à un exercice précédent, clos le 31 octobre 2015, le niveau de ses charges se rapportant à cet exercice, d'un montant notablement supérieur à celles retenues par l'administration, sans démontrer que ses conditions d'exploitation sont demeurées inchangées depuis lors, et en se référant à des données statistiques générales publiées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en novembre 2018 au sujet des entreprises de sécurité privée, prises d'ailleurs dans une acception plus large que le champ des activités exercées par la SARL Cobe Sécurité Privée, puisque cette étude englobe aussi les entreprises réalisant des transports de fonds, installant des systèmes de sécurité et d'alarmes électroniques et celles réalisant des enquêtes privées, cette étude précisant, au demeurant, que la rentabilité des entreprises relevant de ces secteurs d'activité est très variable et que les petites entreprises ont un taux de marge supérieur à celui des entreprises plus grandes, la SARL Cobe Sécurité Privée ne peut être regardée comme apportant, par ces seuls éléments, la preuve, qui lui incombe, du caractère exagéré des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Cobe Sécurité Privée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes et que ses conclusions tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des suppléments d'impôt sur les sociétés en litige doivent être rejetées. Par voie de conséquence les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Cobe Sécurité Privée est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Cobe Sécurité Privée et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 15 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : M. A...Le rapporteur,

J.-F. PapinLe président de la formation de jugement,

F.-X. Pin

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La greffière,

E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

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N°23DA01647

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3

N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01647
Date de la décision : 30/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : PHILIP

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-30;23da01647 ?
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