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28/05/2024 | FRANCE | N°22DA02604

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 28 mai 2024, 22DA02604


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 18 novembre 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Bois-Petit a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie dont elle est atteinte, ensemble la décision du 12 février 2020 rejetant son recours gracieux, et d'enjoindre au centre hospitalier du Bois-Petit de reconnaître sa maladie imputable au service.



Par un jugement n° 2000420-2000826 du

25 octobre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.



Procédure d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 18 novembre 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Bois-Petit a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie dont elle est atteinte, ensemble la décision du 12 février 2020 rejetant son recours gracieux, et d'enjoindre au centre hospitalier du Bois-Petit de reconnaître sa maladie imputable au service.

Par un jugement n° 2000420-2000826 du 25 octobre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Karim Berbra, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions des 18 novembre 2019 et 12 février 2020 du directeur du centre hospitalier du Bois-Petit ;

3°) d'enjoindre au centre hospitalier du Bois-Petit de reconnaître sa maladie imputable au service ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier du Bois-Petit la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- après avoir été déclarée inapte aux fonctions d'aide-soignante qu'elle occupait depuis 2007, elle a été affectée en 2015 au sein du service lingerie où elle a été mal accueillie par ses collègues et où elle a subi un encadrement inadapté, autoritaire et agressif ;

- alors même qu'elle n'était pas à l'origine de ces difficultés, un nouveau changement d'affectation lui a été imposé en février 2017 sur un poste à l'accueil, pour lequel elle n'a bénéficié d'aucune formation ;

- elle y a subi une surcharge anormale de travail en raison des absences répétées de sa collègue et alors qu'il n'est pas établi que l'ensemble des fonctions pouvait être assuré par une seule personne ; elle n'a pas pu poser librement ses jours de congés ; son investissement n'a pas été reconnu ;

- dès l'année 2018, elle a sollicité une affectation sur un poste à l'accueil de jour qui devait prochainement se libérer ; alors qu'elle avait été déclarée apte à un tel poste et malgré les assurances qui lui avaient été données, elle a compris en janvier 2019 qu'elle ne serait pas affectée à ce poste et ce, sans aucune justification valable ;

- l'ensemble de ces éléments est à l'origine d'une souffrance au travail et caractérise une situation de risques psycho-sociaux ; le 28 janvier 2019, elle a de ce fait été victime, sur son lieu de travail, d'une grave crise d'angoisse l'ayant obligée à quitter son poste ; dans le prolongement, elle a développé un syndrome anxiodépressif qui s'oppose depuis lors à son retour en service ;

- les avis du médecin expert agréé, du médecin du travail et de la commission de réforme, recueillis au cours de l'instruction de sa demande, sont favorables à la reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service ;

- elle ne présentait aucun antécédent psychiatrique avant ses difficultés professionnelles ;

- il s'ensuit que l'affection psychiatrique qu'elle a développée à compter de février 2019 est essentiellement et directement en lien avec son service et, par suite, le refus du centre hospitalier du Bois-Petit de la reconnaître comme une maladie professionnelle imputable au service est entaché d'une erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2023, le centre hospitalier du Bois-Petit, représenté par Me Sandrine Gillet, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 2 000 euros soit mis à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 12 septembre 2023, la date de clôture d'instruction a été fixée au 2 octobre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Caroline Regnier rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., aide-soignante, occupe depuis le 1er mars 2017 les fonctions d'agent d'accueil au centre hospitalier du Bois-Petit. Elle a été placée en arrêt maladie à partir du 28 janvier 2019 en raison d'un syndrome anxiodépressif réactionnel. Le 12 février 2019, par une déclaration d'accident de service, Mme A... a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service de cette pathologie. La commission de réforme a rendu un avis favorable à cette demande le 14 novembre 2019. Le directeur du centre hospitalier du Bois-Petit a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie par un arrêté du 18 novembre 2019 et a rejeté le recours gracieux présenté contre cet arrêté par une décision du 12 févier 2020. Mme A... relève appel du jugement du 25 octobre 2022, par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa requête tendant à l'annulation des décisions des 18 novembre 2019 et 12 février 2020 et à la reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, qu'il y a lieu de regarder comme constituant la base légale des décisions attaquées ainsi que l'ont jugé à raison les premiers juges et sans que cela soit contesté en appel par les parties : " " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. / (...) ". Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

3. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'annonce du rejet de sa candidature à un poste d'aide-soignante en accueil de jour, Mme A..., alors affectée sur un poste administratif à l'accueil du centre hospitalier du Bois-Petit, a fait une crise d'angoisse sur son lieu de travail le 28 janvier 2019 et a décompensé un syndrome anxiodépressif sévère, conduisant à un arrêt de travail et à une prise en charge psychiatrique. Elle a en particulier fait une tentative de suicide le 24 avril 2019 et a été prise en charge en établissement psychiatrique pendant plusieurs semaines. Il ne ressort pas de l'instruction que Mme A... présentait des antécédents psychiatriques. Le compte-rendu de son hospitalisation en avril 2019 retrouve, à l'origine de son geste suicidaire, uniquement des motifs liés à un mal-être professionnel et exclut notamment toute problématique d'ordre familial.

4. A cet égard, il ressort des pièces du dossier qu'en raison des séquelles qu'elle a conservées d'une fracture de l'épaule gauche survenue en service le 12 mars 2010, Mme A... a été déclarée inapte aux fonctions d'aide-soignante qu'elle exerçait jusqu'alors dans un service de prise en charge de personnes âgées dépendantes. La reconversion professionnelle qu'elle a engagée à compter de 2015 s'est avérée difficile. Il est constant en effet qu'à la suite de son affectation sur un poste de couturière et marquage de linge au service lingerie, elle a rencontré des difficultés relationnelles avec son supérieur hiérarchique direct ainsi qu'avec ses collègues. Il ressort également de nombreuses pièces du dossier, notamment des courriers écrits par Mme A... et des témoignages de ses collègues, qu'elle a fait part à plusieurs reprises, notamment au médecin de prévention et à une cadre supérieure de santé, de ses difficultés professionnelles ainsi que du mal-être croissant qu'elle éprouvait sur le poste administratif à l'accueil de l'établissement auquel elle a été affectée en mars 2017.

5. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que la prise de fonction de Mme A... à l'accueil de l'établissement est intervenue juste avant que l'autre agente affectée dans le même service soit placée en congé maladie en raison d'un syndrome d'épuisement professionnel. Alors même qu'elle devait s'adapter à ces nouvelles fonctions, Mme A... a donc, de ce fait et pendant plusieurs mois, été conduite à effectuer seule le travail de deux personnes, de nouvelles tâches lui étant également confiées ponctuellement. Si le centre hospitalier du Bois-Petit fait valoir que Mme A... avait été placée sur un poste en doublon spécialement créé pour elle, il ressort d'un courrier des représentants du personnel ainsi que de son évaluation professionnelle de 2018 que l'objectif était de créer un " binôme stabilisé " à l'accueil, de telle sorte qu'il doit être tenu pour établi que ce travail d'accueil devait être effectué par deux personnes.

6. Il résulte de ce qui précède que les circonstances particulières de la prise de poste de Mme A... en 2017, intervenant dans le contexte d'une reconversion difficile depuis plusieurs années, l'ont exposée à des risques psycho-sociaux et ont pu concourir à l'anxiété et à la décompensation d'un syndrome dépressif réactionnel sévère au moment où la seule perspective qu'elle avait de retrouver des fonctions d'aide-soignante dans un service actif s'est refermée. Au demeurant, les différents avis médicaux émis dans le cadre de l'instruction de sa demande, particulièrement celui du médecin de prévention qui ne se fonde pas que sur les déclarations de Mme A... mais aussi sur sa connaissance du milieu de travail de l'agent, concluent à une imputabilité au service de la maladie de Mme A.... Dans ces conditions, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est pas allégué qu'il existerait un fait personnel de l'agent ou des circonstances particulières qui détacherait la survenue de la maladie du service, le syndrome anxiodépressif réactionnel sévère de Mme A... doit être regardé comme imputable au service. Le moyen soulevé, tiré d'une erreur d'appréciation, doit, dès lors, être accueilli.

7. Il s'ensuit que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 18 novembre 2019 et 12 février 2020 du directeur du centre hospitalier du Bois-Petit.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. L'annulation des décisions des 18 novembre 2019 et 12 février 2020 implique nécessairement qu'il soit enjoint au directeur du centre hospitalier du Bois-Petit de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme A... à compter du 28 janvier 2019 et d'en tirer toutes les conséquences sur sa situation administrative et financière, le tout dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier du Bois-Petit, partie perdante, une somme de 2 000 euros à verser à Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du centre hospitalier du Bois-Petit présentées sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000420-2000826 du 25 octobre 2022 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : Les décisions des 18 novembre 2019 et 12 février 2020 du directeur du centre hospitalier du Bois-Petit sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au directeur du centre hospitalier du Bois-Petit de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... à compter du 28 janvier 2019 et d'en tirer toutes les conséquences sur sa situation administrative et financière, le tout dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le centre hospitalier du Bois-Petit versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier du Bois-Petit présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au centre hospitalier du Bois-Petit.

Délibéré après l'audience publique du 14 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLa présidente de chambre,

Signé : M.P. Viard

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

N°22DA02604 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02604
Date de la décision : 28/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : LE CAAB AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-28;22da02604 ?
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