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23/05/2024 | FRANCE | N°23DA00902

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 23 mai 2024, 23DA00902


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune de Port-Jérôme-sur-Seine à lui payer la somme de 159 718,94 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à raison de l'illégalité de l'arrêté du 29 novembre 2017, annulé par jugement du 23 janvier 2020 du tribunal administratif de Rouen, par lequel le maire de la commune de Port-Jérôme

-sur-Seine a refusé de lui délivrer un permis de construire modificatif.



Par un jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune de Port-Jérôme-sur-Seine à lui payer la somme de 159 718,94 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande préalable en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à raison de l'illégalité de l'arrêté du 29 novembre 2017, annulé par jugement du 23 janvier 2020 du tribunal administratif de Rouen, par lequel le maire de la commune de Port-Jérôme-sur-Seine a refusé de lui délivrer un permis de construire modificatif.

Par un jugement n° 2102592 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune de Port-Jérôme-sur-Seine à verser la somme de 500 euros à M. B..., avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2021.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 mai 2023 et le 5 février 2024, M. B..., représenté par Me Hélène Detrez-Cambrai, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à la totalité de sa demande ;

2°) de condamner la commune de Port-Jérôme-sur-Seine à lui verser les sommes de 131 477,16 euros au titre du préjudice lié à la perte de loyer, de 4 512 euros au titre du préjudice lié à la réalisation de travaux de reprise, de 13 729,78 euros au titre du préjudice lié aux frais de justice et de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;

3°) de condamner la commune de Port-Jérôme-sur-Seine à lui verser les intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2021 sur la totalité des sommes octroyées.

4°) de mettre à la charge de la commune de Port-Jérôme-sur-Seine la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'illégalité fautive de l'arrêté du 29 novembre 2017 engage la responsabilité de la commune ;

- l'interruption des travaux résulte de cet arrêté dès lors qu'il empêchait tout accès à la parcelle ;

- l'autorité administrative a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation quant à la marge de manœuvre des véhicules et au dispositif d'aire de retournement ;

- l'autorité administrative était tenue d'adopter les prescriptions nécessaires pour remédier au risque tenant à l'accès ;

- le projet n'est pas en zone bleue mais en zone blanche et n'est pas soumis à un risque qui permettait le refus ;

- le motif relatif au traitement des eaux de pluie est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- le maire a commis un détournement de pouvoir ;

- le principe d'égalité devant les charges publiques a été méconnu ;

- l'illégalité des deux arrêtés du 28 juillet 2017 de retrait du permis modificatif n°1 et de l'arrêté du 29 novembre 2017 est de nature à engager la responsabilité de la commune ;

- le refus a retardé l'ouverture du chantier et les travaux n'ont pas pu être réalisés à temps pour la moisson ;

- la perte financière et le préjudice moral s'évaluent à respectivement 14 371,37 euros et 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2023, la commune de la commune de Port-Jérôme-sur-Seine, représentée par Me Sandrine Gillet, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable ;

- à titre subsidiaire, les moyens d'illégalité sont également irrecevables ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que les conclusions d'indemnisation fondées sur les faits générateurs tirés de l'illégalité fautive des arrêtés du 7 juin 2017, du 28 juillet 2017 et du 7 février 2018 sont irrecevables. Elles ont été invitées à faire valoir leurs observations.

M. B... a produit des observations enregistrées le 13 mars 2024 qui ont été communiquées.

Par une ordonnance du 11 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, rapporteur,

- les conclusions de M. Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Par un jugement du 23 janvier 2020, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 29 novembre 2017 par lequel le maire de Port-Jérôme-sur-Seine a refusé à M. B... le permis de construire modificatif n°2 pour la réalisation de quatre maisons individuelles. Ce tribunal a également enjoint au maire de lui délivrer ce permis dans un délai de deux mois. Ce jugement est devenu définitif. M. B... a demandé, le 19 janvier 2021, à la commune de Port-Jérôme-sur-Seine de l'indemniser du préjudice résultant de l'illégalité de l'arrêté du 29 novembre 2017. La commune a rejeté cette demande par une décision du 1er juin 2021. Saisi par M. B..., le tribunal administratif a condamné la commune de Port-Jérôme-sur-Seine à lui verser la somme de 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2021. M. B... relève appel de ce jugement du 16 mars 2023.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel :

2. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur. Il en va ainsi quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime ne peut demander réparation en première instance comme en appel que pour des dommages causés par le fait générateur évoqué dans sa demande préalable.

3. Dans son mémoire en réplique en appel, M. B... évoque l'illégalité de l'arrêté du 28 juillet 2017 retirant le permis modificatif n° 1 et dans l'ensemble de ces écritures d'appel, il doit être considéré comme évoquant l'illégalité des arrêtés interruptifs de travaux du 7 juin 2017 et du 7 février 2018. Toutefois, l'illégalité fautive de ces décisions constituent des faits générateurs distincts de celle de l'arrêté du 29 novembre 2017 lui refusant la délivrance du permis modificatif n°2. Dans ces conditions, les conclusions d'indemnisation fondées sur ces faits générateurs doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur la responsabilité et le lien de causalité :

4. La décision par laquelle l'autorité administrative s'oppose illégalement à un permis de construire constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. Dans le cas où l'autorité administrative pouvait, sans méconnaître l'autorité absolue de la chose jugée s'attachant au jugement d'annulation de cette décision, légalement rejeter la demande d'autorisation, l'illégalité commise ne présente pas de lien de causalité direct avec les préjudices résultant de l'impossibilité de mettre en œuvre le projet immobilier projeté.

5. Le jugement du 23 janvier 2020 du tribunal administratif de Rouen, devenu définitif a annulé l'arrêté du 29 novembre 2017 refusant à M. B... le permis modificatif n° 2. Cette annulation résulte selon les motifs du jugement de l'illégalité interne de cet arrêté. Le jugement a également considéré qu'aucun autre moyen n'était susceptible de fonder l'annulation de la décision attaquée. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la commune, qui ne le soutient d'ailleurs pas, aurait pu prendre la même décision en se fondant sur un autre motif sans méconnaître l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache au jugement d'annulation. Par suite, la responsabilité de la commune de Port-Jérôme-sur-Seine est engagée par le refus illégal de permis de construire opposé à M. B....

Sur le lien de causalité et les préjudices :

En ce qui concerne les travaux de reprise :

6. Le permis modificatif n° 2 illégalement refusé à M. B... avait pour objet de déplacer les garages des quatre maisons individuelles et d'accroitre la proportion des espaces verts dans le projet mais également, comme le mentionnait explicitement son objet, de créer un accès au projet par la rue Claude Bernard. Le refus de permis avait pour seul motif l'étroitesse de la desserte des maisons depuis cet accès. Or l'arrêté du 29 novembre 2017 est le seul motif retenu par les arrêtés interruptifs de travaux du 7 juin 2017 et du 7 février 2018 Le premier arrêté interruptif de travaux indiquait même que ce refus rendait caduc le permis initial. Le second arrêté ne précise pas que seuls les travaux relatifs aux garages et à l'accès sont suspendus. Il n'est pas contesté que M. B... a bien interrompu la totalité de ses travaux à la suite de ce second arrêté. Il est constant que les travaux de reprise n'ont été décidés qu'à la notification du jugement du 23 janvier 2020 annulant le refus de permis modificatif. Dans ces conditions, la suspension de la totalité des travaux et par suite les travaux de reprise résultant de cette interruption et consistant au remplacement de quarante chevrons et au traitement de l'ensemble de la toiture sont en lien direct avec l'illégalité fautive du refus de permis modificatif de l'arrêté du 29 novembre 2017. M. B... est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à ce que la commune lui rembourse les travaux de reprise résultant de l'arrêt du chantier. La commune doit donc être condamnée à lui verser la somme de 4 512 euros correspondant au montant de ces travaux acquittés par l'appelant comme l'atteste la facture du 5 mai 2020.

En ce qui concerne la perte de loyers :

7. La perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison du refus illégal opposé à la demande de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va, toutefois, autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs locataires ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Ce dernier est alors fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération. La perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

8. S'il résulte de la demande initiale de permis de construire que la construction de M. B... de quatre logements avait une destination locative et si le pétitionnaire établit d'ailleurs qu'il a mis en location ces quatre logements entre le 15 avril 2021 et juillet de la même année, soit treize mois environ après l'obtention du permis modificatif n°2, il ne justifie d'aucune circonstance particulière, notamment d'aucun engagement antérieur de futurs locataires ou d'éléments faisant état de négociations avancées avec eux pendant la période d'interruption des travaux. M. B... n'établit donc pas le caractère direct et certain de ce préjudice.

En ce qui concerne les frais de procédure :

9. Les frais de justice, s'ils ont été exposés en conséquence directe d'une faute de l'administration, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive imputable à l'administration. Toutefois, lorsque l'intéressé a fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend le juge sur ce fondement. Il n'en va autrement que dans le cas où le demandeur ne pouvait légalement bénéficier de ces dispositions. M. B... se borne à demander le remboursement de frais de conseil, sans apporter plus de précisions sur la nature et le montant de ces frais. Dans ces conditions, l'indemnisation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice répare intégralement le préjudice relatif aux frais de justice, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif.

En ce qui concerne le préjudice moral :

10. L'illégalité du refus de permis modificatif en date du 29 novembre 2017 a engendré un retard dans la livraison des constructions entreprises et a obligé M. B... à des démarches contentieuses pour faire valoir ses droits. Dans ces conditions, il y a lieu de porter à 1 000 euros l'indemnisation de 500 euros retenue par le tribunal administratif de Rouen pour le préjudice moral de M. B....

Sur les intérêts :

11. M. B... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 5 512 euros qui lui est allouée par le présent arrêt, à compter du 20 avril 2021, date de réception par la commune de Port-Jérôme-sur-Seine de la demande indemnitaire préalable.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

12. D'une part, la demande présentée par la commune de Port-Jérôme-Seine, partie perdante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.

13. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la commune de Port-Jérôme-sur-Seine une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La commune de Port-Jérôme-sur-Seine est condamnée à verser à M. B... la somme de 5 512 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2021.

Article 2 : Il est mis à la charge de la commune de Port-Jérôme-sur-Seine, une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le jugement n° 2102592 du tribunal administratif de Rouen du 16 mars 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Port-Jérôme-sur-Seine.

Délibéré après l'audience publique du 7 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.

Le rapporteur,

Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

N°23DA00902 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00902
Date de la décision : 23/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : DETREZ-CAMBRAI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-23;23da00902 ?
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