Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a implicitement rejeté sa demande tendant, d'une part, à faire réaliser en urgence des travaux de dépollution impliquant, à tout le moins, la réalisation d'un décapage de la totalité de son terrain sur une profondeur égale à cinquante centimètres puis la remise en état avec apport de terres saines d'un cubage équivalent et, d'autre part, à lui verser la somme totale de 54 000 euros, éventuellement à parfaire, en réparation des préjudices subis, en particulier s'agissant de préjudices résultant de l'exposition aux métaux lourds, de condamner l'Etat à lui verser, en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subi, la somme totale de 54 000 euros, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, à titre principal, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de faire réaliser en urgence des travaux de dépollution impliquant la réalisation d'un décapage de la totalité de son terrain sur une profondeur de cinquante centimètres puis la remise en état avec l'apport de terres saines d'un cubage équivalent, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai imparti au préfet du Pas-de-Calais pour dépolluer son terrain ou d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de statuer à nouveau sur sa demande, sous une astreinte à définir par le tribunal et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1809246 du 21 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 février 2022 et le 4 juillet 2023, Mme B... A..., représentée par Me Deharbe, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement par la voie de l'évocation et à titre subsidiaire par la voie de l'effet dévolutif de l'appel ;
2°) d'annuler la décision implicite du préfet du Pas-de-Calais refusant de faire droit à sa demande visant à faire réaliser en urgence les travaux de dépollution impliquant, à tout le moins, la réalisation d'un décapage de la totalité de son terrain sur une profondeur égale à 50 centimètres puis la remise en état de son terrain avec l'apport des terres saines d'un cubage équivalent et à lui verser, au titre de l'indemnisation de ses préjudices, la somme totale de 54 000 euros, éventuellement à parfaire ;
3°) d'enjoindre au préfet du Pas- de-Calais, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de faire réaliser en urgence les travaux de dépollution impliquant, à tout le moins, la réalisation d'un décapage de la totalité de son terrain sur une profondeur égale à 50 centimètres puis la remise en état de son terrain avec l'apport de terres saines d'un cubage équivalent, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt et d'assortir cette injonction en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, d'une astreinte à hauteur de 200 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai imparti au préfet pour dépolluer son terrain ou à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de statuer à nouveau sur sa demande tout en assortissant cette injonction, en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, d'une astreinte qu'il plaira à la cour de fixer ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 54 000 euros au titre de l'indemnisation de ses différents préjudices ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier du fait d'une rupture de l'égalité des armes dans le procès au regard des délais accordés aux parties pour produire leurs écritures, parce que le sens précis des conclusions du rapporteur public, au-delà de la seule mention " rejet au fond ", n'a pas été porté à la connaissance des parties, parce que les preuves de perte de valeur vénale ont été écartées au mépris du principe de la liberté de preuve et sans justification , parce que les pièces du dossier sur la perte de valeur vénale et le préjudice d'anxiété ont été dénaturées et parce que le tribunal a omis de statuer sur les fautes commises durant l'exploitation au regard de la demande de décapage du terrain ;
- ni la prescription quadriennale ni l'exception d'antériorité ne sont acquises ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée pour carence et faute simple dans la mise en œuvre de la police des installations classées pendant et après l'exploitation de l'usine Métaleurop Nord, car les arrêtés préfectoraux ne fixant pas de normes de rejet en adéquation avec la protection des intérêts mentionnés à l'article 1er de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, alors que l'Etat était informé des risques, il n'a pas remédié aux pollutions extérieures au site d'exploitation , il a procédé à des contrôles insuffisants et n'a pas mis en œuvre ses pouvoirs coercitifs ; enfin, il a renoncé à instaurer des servitudes d'utilité publique (SUP) en mettant plutôt en place un projet d'intérêt général (PIG) ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée pour violation des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le tribunal a commis une erreur de droit car les articles L. 160-1 à L. 162-23 du code de l'environnement ne sont pas applicables à des préjudices touchant la propriété et la personne de l'appelante ;
- les préjudices sont établis au regard de la pollution des terrains, à savoir la perte de qualité des sols et la perte de valeur vénale et le préjudice d'anxiété ;
- elle a été privée d'une chance sérieuse de vendre son bien au prix réel du marché immobilier du fait de la localisation dans les zones du PIG.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés dès lors notamment que le jugement est régulier, que l'Etat n'a pas commis de faute dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police des installations classées, il n'a pas obligation de prendre à sa charge des mesures de dépollution de terrains situés en dehors du site d'exploitation et les dispositions des articles L. 160-1 et suivants du code de l'environnement sur les dommages environnementaux ne sont pas applicables aux dommages résultant d'activités ayant cessé avant le 30 avril 2007, la réalité des préjudices n'est pas établie. A titre subsidiaire, la question de la faute de l'Etat dans la surveillance du site a déjà été tranchée par un jugement du tribunal administratif de Lille du 21 décembre 2021 et la demande est irrecevable au regard de la prescription quadriennale.
L'instruction a été clôturée le 14 décembre 2023 par ordonnance du même jour, en application des articles R. 611-11-1 et R.613-1 du code de justice administrative.
Mme A..., représentée par Me Deharbe, a produit un mémoire le 18 décembre 2023 après la clôture de l'instruction.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la prescription quadriennale opposée à la créance résultant du préjudice d'anxiété car l'Etat n'a pas opposé la prescription quadriennale à cette créance en première instance et il ne peut utilement l'opposer pour la première fois en appel.
Mme A... représentée par Me Deharbe, a produit des observations en réponse le 28 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- la loi du 19 décembre 1917 ;
- la loi du 20 avril 1932 ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 ;
- l'arrêté du 2 février 1998 relatif aux prélèvements et à la consommation d'eau ainsi qu'aux émissions de toute nature des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre ;
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public ;
- et les observations de Me Deharbe pour l'appelante.
Considérant ce qui suit :
1. A compter des années 1920, la société minière et métallurgique de Peñarroya a exploité une usine de plomb et de zinc sur le territoire des communes de Noyelles-Godault et de Courcelles-lès-Lens dans le Pas-de-Calais. Le site a ensuite développé également une production d'autres métaux. La société Peñarroya a été intégrée dans les années 1990 au groupe Métaleurop dont la moitié du chiffre d'affaires était réalisé par sa filiale Métaleurop Nord sur le territoire des communes de Noyelles-Godault et de Courcelles-lès-Lens. Le 16 janvier 2003, le groupe Métaleurop a annoncé sa décision de ne plus financer sa filiale Métaleurop Nord, qui a été placée en redressement judiciaire et dont la liquidation judiciaire a été prononcée le 10 mars 2003 avec arrêt de toute exploitation sur le site.
2. Mme A..., riveraine du site, a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a implicitement rejeté sa demande tendant, d'une part, à faire réaliser en urgence des travaux de dépollution impliquant la réalisation d'un décapage de la totalité de son terrain sur une profondeur égale à cinquante centimètres puis la remise en état avec apport de terres saines d'un cubage équivalent et, d'autre part, à lui verser la somme totale de 54 000 euros en réparation des préjudices résultant en particulier d'une exposition aux métaux lourds, d'enjoindre sous astreinte au préfet du Pas-de-Calais de faire réaliser en urgence des travaux de dépollution et de remise en état avec l'apport de terres saines. Par un jugement du 21 décembre 2021 dont appel, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.
Sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne la méconnaissance du principe du contradictoire et du principe d'égalité des armes :
3. Contrairement à ce que soutient l'appelante, un délai de 60 jours a été imparti par le tribunal à l'administration pour répondre à la requête et les juges de première instance ont tenté, par une mise en demeure et par une clôture d'instruction, de susciter la production d'un mémoire en défense. Ils ont estimé qu'eu égard aux circonstances de l'affaire et dans un souci de bonne administration de la justice, l'instruction devait être rouverte pour prendre en compte les écritures de l'administration reçues ultérieurement. Le délai d'un mois donné aux parties pour produire une réplique, comme le délai de 58 jours qui leur a été imparti pour produire un mémoire récapitulatif, sont raisonnables eu égard au souci de juger l'affaire dans un délai global qui ne soit pas excessif et ne constituent aucunement des facilités excessives offertes au défendeur. Par suite, le moyen tiré d'une irrégularité résultant de la méconnaissance du principe du contradictoire et du principe d'égalité des armes doit être écarté.
En ce qui concerne le sens des conclusions du rapporteur public :
4. Aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".
5. Le rapporteur public, qui a pour mission d'exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de l'instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement. L'exercice de cette fonction n'est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction. Il suit de là que, pas plus que la note du rapporteur ou le projet de décision, les conclusions du rapporteur public n'ont à faire l'objet d'une communication préalable aux parties.
6. La communication aux parties du sens des conclusions a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. S'il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, lorsqu'il propose le rejet de la requête, il est seulement tenu d'indiquer s'il se fonde sur un motif d'irrecevabilité ou propose le rejet des prétentions au fond.
7. Il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif que les parties ont été informées du sens des conclusions du rapporteur public par la mention " rejet au fond ". Le rapporteur public a ainsi indiqué aux parties le sens de ses conclusions. Il n'était pas tenu d'indiquer les motifs qui le conduisaient à proposer le rejet de requête. Le moyen tiré d'une irrégularité en raison d'une communication insuffisante du sens des conclusions du rapporteur public doit donc être écarté.
En ce qui concerne les omissions à statuer :
8. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a explicitement rejeté la demande de décapage des terrains de la requérante visant à pallier les effets du comportement fautif allégué de l'Etat au regard des obligations prévues à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en estimant que ces obligations ne concernaient que le site de l'usine de Métaleurop Nord et non les terrains avoisinants et qu'il n'y avait pas de fondement légal imposant à l'Etat de décaper les terrains. Il a également écarté la faute de l'Etat sur le fondement des articles L. 160-1 à L 162-23 du code de l'environnement au motif que le fait générateur du dommage était antérieur au 30 avril 2007. S'agissant des demandes de réparation des préjudices, le tribunal les a écartées au motif que la réalité des préjudices n'était pas établie. Par suite, le tribunal n'a omis de statuer ni sur la demande de décapage des terrains, ni sur l'existence de fautes commises pendant l'exploitation même du site, dès lors que l'absence de préjudice qu'il a retenue, si elle s'avère effectivement fondée, ce que la cour examine dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, permettait à elle seule d'écarter les demandes indemnitaires.
9. Il est également soutenu que le tribunal a omis de statuer sur un moyen tiré d'une exposition à un risque résultant de la seule occupation des terrains. La requérante n'a pas entendu rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement du risque mais la seule responsabilité pour faute de l'Etat. Par ailleurs, elle n'a pas entendu demander une indemnisation à raison d'un risque pour sa santé mais seulement à raison de son anxiété. Les premiers juges ont répondu sur ces différents points. Dans ces conditions, le moyen tiré d'une irrégularité en raison d'omissions à statuer doit être écarté.
En ce qui concerne les autres irrégularités alléguées :
10. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. L'appelante ne peut donc utilement soutenir pour contester la régularité du jugement, que les premiers juges ont écarté sans raison les preuves de perte de valeur vénale ou de l'existence d'un préjudice d'anxiété qui leur étaient soumises, ont à tort opposé un achat du bien en connaissance de cause alors que les restrictions d'usage, ont dénaturé les pièces du dossier, ou encore qu'ils n'ont pas pris en compte l'argumentation tirée de ce que les informations accompagnant le plan d'intérêt général ne portaient pas sur le risque à vivre sur les terrains pollués.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif de Lille :
11. L'autorité de la chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité de parties, d'objet et de cause. Si par un jugement n° 0802970 du 24 février 2011, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande présentée par la région Nord-Pas-de-Calais tendant à la réparation des préjudices qu'elle aurait subis du fait de la prétendue carence fautive du préfet dans l'exercice de son pouvoir de police spéciale sur le site exploité par la société Métaleurop Nord, la condition tenant à une identité de parties n'étant pas satisfaite, le ministre n'est pas fondé à opposer l'autorité relative de la chose jugée par cette décision.
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison de son pouvoir de police en matière d'installations classées :
S'agissant de la faute :
12. Mme A... se prévaut de la faute qu'aurait commise le préfet du Pas-de-Calais en ne réglementant pas de façon appropriée et en ne contrôlant pas, au titre de la réglementation sur les installations classées, les rejets atmosphériques résultant de l'activité de l'usine Métaleurop Nord.
13. Il appartient à l'Etat, dans l'exercice de ses pouvoirs de police en matière d'installations classées, d'une part, d'assortir l'autorisation délivrée à l'exploitant de prescriptions de nature à prévenir les risques susceptibles de survenir et d'autre part, d'exercer sa mission de contrôle sur cette installation en veillant au respect des prescriptions imposées à l'exploitant et à leur adéquation à la protection des intérêts protégés par le droit de l'environnement. L'autorité administrative peut prendre à tout moment, à l'égard de l'exploitant d'une installation classée, les mesures qui se révèleraient nécessaires, y compris après la mise à l'arrêt définitif de l'installation. De telles mesures peuvent concerner, le cas échéant, des terrains situés au-delà du strict périmètre de l'installation en cause, dans la mesure où ceux-ci présentent des risques de nuisance pour la santé publique ou la sécurité publique ou la protection de l'environnement, se rattachant directement à l'activité présente ou passée de cette installation. Par ailleurs, les services en charge du contrôle doivent adapter la fréquence et la nature de leurs visites à la nature, à la dangerosité et à la taille de ces installations, en tenant compte des indications dont ils disposent sur les facteurs de risques particuliers affectant les installations ou sur d'éventuels manquements commis par l'exploitant. L'existence d'une faute doit s'apprécier en tenant compte des informations dont l'administration peut disposer quant à l'existence de facteurs de risques particuliers ou d'éventuels manquements de l'exploitant.
14. L'activité de l'usine Peñarroya a débuté dans les années 1890. La réglementation sur les installations classées a été précisée par la loi du 19 décembre 1917 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Cette loi prévoit un régime d'autorisation pour les établissements du type de celui en cause, un arrêté préfectoral qui fixe les conditions jugées indispensables pour la protection, notamment, de la sécurité, de la salubrité et de la santé publique et une inspection avec le concours des inspecteurs des établissements classés. Cette réglementation a été remplacée par la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement dont les dispositions ont été intégrées en 2000 aux articles L. 511-1 et suivants du code de l'environnement. Par ailleurs, la loi dite " Aubriot " du 20 avril 1932 relative aux fumées industrielles est le premier texte normatif national consacré à la pollution de l'air. En son article 1er elle interdit aux établissements industriels d'émettre des fumées ou des gaz toxiques susceptibles d'incommoder le voisinage ou de polluer l'atmosphère et prévoit que des arrêtés préfectoraux réglementeront cette interdiction sous peine de pénalités prévues par la loi du 19 décembre 1917. Enfin, ce n'est que par un arrêté ministériel du 2 février 1998 qu'ont été fixées les premières valeurs limites de concentration des poussières émises et des valeurs maximales d'émission de métaux dans les rejets atmosphériques.
15. Au plan local, l'activité de l'usine Peñarroya a été encadrée au plus tard à partir d'un arrêté préfectoral du 31 juillet 1934 pris sur le fondement de la loi du 19 décembre 1917. L'usine était alors considérée seulement comme un établissement de classe 2 dont l'éloignement des habitations n'était pas rigoureusement nécessaire. L'arrêté préfectoral du 5 août 1959 prenant acte que l'usine relevait de la classe 1 a précisé qu'elle devrait " prendre toutes mesures pour éviter les émissions de fumées, poussières et gaz odorants, toxiques ou corrosifs susceptibles d'incommoder le voisinage (dispositifs de captation des poussières et de récupération complète des gaz) ". Par un arrêté préfectoral du 21 octobre 1973 a été fixée la première valeur maximale pour le rejet par la cheminée principale dotée d'un filtre. Cet arrêté prévoyait également la mise en place de filtres pour l'évacuation des gaz de l'atelier de fabrication d'acide sulfurique. Jusqu'à 2003 et l'arrêt du site, une soixantaine d'arrêtés préfectoraux ont, à un rythme régulier, encadré de plus en plus précisément les points et les valeurs des rejets atmosphériques, exigé la mise en place de capteurs à l'extérieur du site et la réalisation d'études. Ces exigences ont été contrôlées par le service des installations classées dont plusieurs rapports sont versés au dossier. Un arrêté préfectoral du 6 octobre 1997 a prévu un contrôle des rejets par un organisme agréé à charge de l'exploitant. Le respect de cette exigence a été vérifié par l'inspection des installations classées dont le rapport du 25 juin 1998 a donné lieu à un arrêté de mise en demeure du 21 juillet1998. Un arrêté du 8 septembre 1998 a demandé une étude des sols pollués y compris à l'extérieur du site et le respect de cette exigence a été vérifié par l'inspection des installations classées dont le rapport du 31 août 1999 a donné lieu à un arrêté de mise en demeure du 23 décembre 1999 et à un arrêté du 16 octobre 2000 prescrivant une consignation. Des arrêtés prescrivant des mesures d'urgence relatives aux terres polluées sont intervenus le 27 décembre 2002 puis les 24 février et 4 avril 2003 et un arrêté de mise en demeure du 4 avril 2003, suivi d'un arrêté de consignation, a exigé que la cessation d'activité soit déclarée conformément à la réglementation en vigueur. En parallèle figurent au dossier huit rapports d'inspecteurs des installations classées établis entre 1969 et 2003 qui montrent que ce service était attentif à la question des rejets atmosphériques et a exigé la mise en place de dépoussiérateurs, puis de filtres et l'étude des moyens techniques pour remédier à la pollution atmosphérique. Six campagnes d'analyse des sols pollués autour du site ont été réalisées entre 1977 et 1995, qui n'ont que progressivement mis en évidence l'ampleur des superficies polluées.
16. Par un arrêté préfectoral du 29 décembre 1997 a été lancée la procédure d'élaboration d'un projet d'intérêt général visant à protéger par des prescriptions d'urbanisme les alentours de l'usine, dans les zones 1 et 2, au regard de la directive Seveso et dans les zones 3 et 4 au regard des concentrations en plomb et en cadmium observées. Le projet a été pris par un arrêté préfectoral du 20 janvier 1999 qui comporte des restrictions d'occupation des sols sur le territoire des communes de Courcelles-lès-Lens, Evin-Malmaison et Noyelles-Godault. Il prescrivait notamment en zone 3, sujette aux plus fortes concentrations en plomb et en cadmium, que toutes les autorisations d'occupation du sol soient subordonnées soit à un traitement préalable en accord avec une démarche nationale de traitement des sols pollués, soit à un décapage complet du sol. Un nouveau projet d'intérêt général de protection, plus étendu, a été défini par un arrêté préfectoral du 7 octobre 2015.
17. Il n'en reste pas moins qu'une étude de l'INRA met en évidence dès 1979 une pollution au plomb, au cadmium et au mercure des terrains proches de l'usine. Une étude de l'université de Lille de 1986 souligne également qu'il existe une pollution, déjà historique, en plomb, cadmium et autres particules remontant à une époque où la protection de l'environnement n'était " pas au centre des préoccupations ", que le taux d'épuration des fumées est " désormais important " et que " toute amélioration supplémentaire nécessitera des capitaux extrêmement importants ". Elle fait apparaître que les sources ponctuelles de pollution atmosphérique sont nombreuses en divers points du site comme cela ressort d'une lettre du préfet du Nord-Pas-de-Calais de 1985. Un comité de pilotage auquel participaient les services de l'Etat en 1999 relève que Métaleurop Nord a fourni " de nombreux efforts en matière de réduction et de contrôle de la pollution atmosphérique " qui " ont permis de diminuer de manière significative les flux rejetés dans l'atmosphère alors que dans le même temps, l'activité a continué à croître " mais qu'une pollution atmosphérique perdure principalement à raison d'émissions diffuses " pour lesquelles peu de données sont disponibles ". En 1999, un rapport au conseil départemental d'hygiène note que l'usine compte 129 points de rejets " canalisés ", donc hors la pollution diffuse, et dont seuls 19 sont équipés d'installations de traitement. Un point d'information réalisé par les services de l'Etat le 16 décembre 2002 relève que les rejets atmosphériques ont considérablement diminué depuis 1970, mais qu'en 2001 l'usine rejetait encore dans l'atmosphère 18,3 tonnes de plomb canalisé, auxquels s'ajoutent 10 à 15 tonnes de rejets diffus, 0.8 tonnes de cadmium, 26 tonnes de zinc et 6800 tonnes de dioxyde de souffre. Un rapport de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement du 31 août 1999, adressé au conseil départemental d'hygiène, indique que " malgré les multiples efforts et investissements consentis sous la contrainte réglementaire, Métaleurop Nord apparaît toujours dans les recensements nationaux aux toutes premières places des pollueurs français (plomb, cadmium, zinc) ".
18. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à compter de la fin des années 1960 l'administration a disposé d'informations suffisantes quant à l'existence de pollutions excessives résultant de l'activité de l'usine Métaleurop Nord et sur le fait que son activité générait des risques particuliers dans un contexte de forte pollution historique des terrains, constituée de son fait dans le voisinage depuis le début du siècle précédent. Comme indiqué plus haut, le préfet a toujours disposé du pouvoir d'imposer à une installation classée toute mesure de police nécessaire pour la préservation de la santé publique, notamment des mesures plus strictes que celles prévues nationalement. Si les services de l'Etat ont été vigilants sur la question des rejets atmosphériques en renforçant progressivement les exigences pesant sur les rejets canalisés des cheminées, en exigeant des études et en procédant à des contrôles, les sujétions imposées par le préfet à l'usine se sont avérées largement insuffisantes pour prévenir une pollution excessive et elles n'ont pas concerné les pollutions diffuses émanant notamment des ateliers. Si conformément à l'article 29 de la loi du 19 décembre 1917, l'Etat pouvait laisser se poursuivre l'exploitation pour le motif d'intérêt général tiré des graves conséquences d'ordre économique ou social qui auraient résulté d'une interruption dans le fonctionnement de l'installation, cette dérogation ne pouvait être que limitée à la période nécessaire à la régularisation de la situation. Or il est constant que les rejets atmosphériques polluants canalisés ou diffus présentant un danger pour le voisinage se sont poursuivis jusqu'à la cessation d'activité en 2003.
19. Il résulte de ce qui précède que, si en ce qui concerne le contrôle du site, les services de l'Etat ne peuvent être regardés comme ayant exercé une surveillance insuffisante durant l'exploitation ou lors de l'arrêt du site ni, comme n'ayant pas suffisamment fait usage vis-à-vis de l'exploitant des pouvoirs de mise en demeure et de sanction, Mme A... est fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n'exigeant pas, par les arrêtés préfectoraux encadrant l'activité de cette installation classée, une diminution plus significative des polluants atmosphériques, concernant plus de points de rejet, dont la pollution diffuse, quitte à anticiper, le cas échéant, plus largement sur les normes nationales.
S'agissant de la prescription quadriennale opposée par l'Etat :
20. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes de l'article 7 de la même loi : ": "L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond (...)".
21. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point précédent, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.
22. Il résulte de l'instruction que, dans ses écritures de première instance, le préfet du Pas-de-Calais n'a entendu opposer la prescription quadriennale qu'à la créance résultant de la mauvaise qualité du sol et à celle résultant de la perte de valeur vénale du bien immobilier et a indiqué ne pas opposer la prescription quadriennale à la créance résultant d'un préjudice d'anxiété. Dans ces conditions, le ministre ne peut, pour la première fois en appel, opposer cette prescription à la créance née d'un préjudice d'anxiété.
23. Comme indiqué précédemment, par un arrêté du 29 décembre 1997, le préfet du Pas-de-Calais a ouvert la procédure devant conduire à un projet d'intérêt général (PIG) et à un projet de protection de la zone située autour de Métaleurop Nord. Cet arrêté mentionne notamment les risques que présente pour la santé humaine la pollution des sols par les métaux lourds qu'il attribue aux rejets atmosphériques de l'usine Métaleurop Nord. Cet arrêté prévoit des restrictions quant à l'occupation du sol, variables selon différentes zones qui y sont définies. Il résulte des mentions de cet arrêté qu'il a été affiché dans les mairies et autres lieux publics, a fait l'objet d'un avis informant le public dans deux journaux de la mise à disposition du dossier de PIG et a été publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais. Par un arrêté préfectoral du 20 janvier 1999 le PIG a été édicté et a prévu que les dispositions du projet de protection de la zone située autour de Métaleurop Nord seraient intégrées aux documents d'urbanisme des communes concernées. Cet arrêté mentionne de nouveau les risques que présente pour la santé humaine la pollution des sols par les métaux lourds résultant des rejets atmosphériques de l'usine Métaleurop Nord. Il a fait l'objet des mêmes mesures de publicité que l'arrêté de 1997.
24. Les préjudices patrimoniaux tenant à la perte de qualité des sols et à la perte de valeur vénale des terrains dont l'appelante fait état sont nés de l'occupation d'un terrain pollué. Si le fait générateur des dommages tenant à la carence de l'Etat dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police des installations classées pour veiller à ce que les rejets générés hors site par l'activité de l'usine n'aient pas de répercussions néfastes sur les riverains, a nécessairement pris fin avec l'arrêt d'exploitation de l'installation, la pollution aux métaux lourds des terrains et les restrictions d'usage n'ont, elles, pas pris fin. D'une part, l'appelante conteste, sans être utilement contredite en défense, que les recommandations de comportement formulées par l'agence régionale de santé (ARS) concomitamment au PIG n'ont pas fait l'objet des mêmes mesures de publicité que le PIG. D'autre part, si la publication de l'arrêté du 20 janvier 1999 portant PIG a été de nature à porter à la connaissance des résidents de la zone concernée, les restrictions urbanistiques grevant leurs biens, elle n'a pas par elle-même été suffisante pour porter à leur connaissance l'ensemble des risques sanitaires encourus et des restrictions d'usage concourant à la perte de valeur vénale du fait de la perte de qualité des sols, alors que des études ultérieures continuent de révéler l'ampleur des risques sanitaires présentés par les métaux lourds. Par suite, les préjudices ne pouvaient pas être exactement mesurés dans toute leur étendue en 1999. Aussi, la prescription quadriennale n'était pas acquise quand l'appelante a formé sa réclamation préalable reçue le 3 mai 2018 par les services de la préfecture du Pas-de-Calais. L'Etat n'est donc pas fondé à opposer la prescription des créances de perte de valeur vénale et de perte de qualité des sols.
S'agissant des préjudices :
25. L'appelante invoque un préjudice patrimonial tenant à la perte de valeur de ses biens résultant de restrictions urbanistiques et à une perte de qualité des sols et, d'un trouble de jouissance, dont elle chiffre globalement la réparation à la somme de 50 000 euros, à laquelle s'ajoute un préjudice d'anxiété dont elle chiffre la réparation à 4 000 euros. Elle sollicite également le décapage de son terrain et l'apport de nouvelles terres.
Quant au préjudice résultant de la perte de valeur des biens immobiliers :
26. Les biens immobiliers de l'appelante sont inclus dans le périmètre du PIG de 1999. Ces biens subissent du fait de la pollution par des métaux lourds et des restrictions urbanistiques auxquelles ils sont soumis, une perte de valeur vénale qui est en lien direct avec la faute commise par l'Etat. D'une part, la réparation du préjudice doit être fixée sans qu'il y ait lieu de tenir compte du bénéfice des dispositions de l'article 1388 quinquies B du code général des impôts qui permet " sur délibération de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre " d'opérer un abattement de 50 % sur la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties situées dans le périmètre d'un projet d'intérêt général, ces dispositions ne visant qu'à asseoir l'impôt et non à réparer un préjudice résultant d'une faute imputable à l'Etat. D'autre part, ces biens ont été acquis en mai 2008. Or, la publication des arrêtés de 1997 et de 1999 mentionnés plus haut, a été de nature à porter à la connaissance du public les risques pesant sur la valeur des biens immobiliers concernés. Ainsi, la perte de valeur vénale liée à la pollution par des métaux lourds et aux restrictions urbanistiques aurait pu être connue de l'appelante si elle s'était informée avant l'acquisition du bien. Dans ces conditions, le préjudice invoqué par l'appelante tenant à une perte de valeur vénale des biens immobiliers ne peut être regardé comme imputable à la faute de l'Etat qu'à hauteur de 25%. Compte-tenu notamment de l'expertise immobilière produite au dossier d'appel, la réparation du préjudice de perte de valeur des biens immobiliers de l'appelante doit être fixée, compte tenu de ce pourcentage, à la somme de 9 000 euros.
Quant à la perte de qualité des sols :
27. Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d'un préjudice imputable à un comportement fautif d'une personne publique et qu'il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets.
28. Mme A... invoque une perte de qualité des sols de son bien et en demande la réparation en nature par décapage du terrain et apport de nouvelles terres. Toutefois, le comportement fautif tenant à la carence du préfet dans la fixation de normes de rejet permettant de limiter les nuisances environnementales générées par l'exploitation de l'usine a nécessairement pris fin avec la cessation d'activité de l'installation. La faute commise par l'Etat ayant pris fin, l'appelante ne peut pas demander utilement au juge d'enjoindre à la personne publique d'y mettre fin ou d'en pallier les effets en réalisant en urgence des travaux de dépollution de son terrain.
Quant aux troubles de jouissance :
29. Il résulte de l'instruction que l'appelante subit des restrictions d'usage de ses biens du fait de la pollution, qui se traduisent par des recommandations de l'ARS de ne pas absorber de terres de ne pas consommer les végétaux du terrain, de procéder à un nettoyage humide régulier, ce qui contraint tant son comportement que celui des personnes et notamment des enfants, qu'elle pourrait accueillir à son domicile. Compte-tenu de ces éléments, de la durée des troubles de jouissances occasionnés et du fait que comme il a été indiqué, la faute commise par l'Etat n'est en lien qu'à hauteur de 25% avec le préjudice, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en fixant leur réparation à la somme de 1 125 euros.
Quant au préjudice d'anxiété :
30. Mme A... invoque un préjudice tenant à l'angoisse de voir se développer une pathologie grave du fait de son exposition au plomb et au cadmium imprégnant son terrain. Toutefois, le requérant qui recherche la responsabilité de la personne publique doit justifier des préjudices qu'il invoque en faisant état d'éléments personnels et circonstanciés pertinents et s'agissant d'un préjudice d'anxiété, développer des éléments visant à établir l'existence de risques élevés de pathologie grave qu'induirait l'exposition incriminée tels qu'ils ne pourraient que générer chez la plupart des personnes, une angoisse quant à sa réalisation.
31. S'agissant du plomb, il résulte de l'instruction et notamment d'un communiqué de presse du préfet du Pas-de-Calais, qu'une campagne de dépistage collectif a été organisée du 15 juin au 6 novembre 2022 pour les enfants et jeunes de moins de 18 ans, qui sont les plus exposés aux risques d'une plombémie, habitant les communes d'Evin-Malmaison, Courcelles-lès-Lens, Noyelles-Godault, Leforest et Dourges. Seuls 75 sur 1 892 enfants ont présenté une plombémie supérieure au seuil de vigilance et 8 présentaient un saturnisme. Santé publique France estime qu'une telle prévalence du saturnisme est comparable à celle de la population générale en France métropolitaine. Une campagne de sensibilisation des parents de jeunes enfants et des acteurs locaux pour rappeler les possibilités de dépistage individuel gratuit et les recommandations de comportements tels que le lavage des mains et l'absence de consommation de certains végétaux cultivés dans la zone a été pérennisée. S'agissant du cadmium, Il résulte d'un relevé de conclusions d'une réunion des services de l'Etat du 17 mai 2018 qu'une campagne de dépistage dans la zone de l'usine a été organisée par l'ARS de janvier à mai 2017 et que 927 personnes ont été dépistées. Les résultats font apparaître des taux de cadmium très variables, au sein parfois d'un même foyer et dont la variabilité ne peut pas être corrélée avec la distance au site de l'usine. L'ARS estime que les résultats sont comparables à ceux observés dans la population générale du Nord-Pas-de-Calais. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction qu'un lien de causalité soit avéré entre la pollution des terrains et les taux de plomb ou de cadmium observés dans le sang des personnes dépistées. Dès lors, même si à titre de précaution l'ARS a émis des recommandations de comportement, le risque de voir se développer une pathologie grave du fait de la pollution générée par l'usine Métaleurop Nord n'est pas suffisamment élevé pour qu'il soit possible de considérer qu'il ne pourrait que générer chez la plupart des personnes une angoisse quant à sa réalisation. La demande d'indemnisation d'un préjudice d'anxiété doit donc être rejetée.
En ce qui concerne la faute à ne pas avoir mis en place de zones de servitude d'utilité publique :
32. Comme indiqué précédemment, par un arrêté du 20 janvier 1999, le préfet du Pas-de-Calais a instauré un projet d'intérêt général visant à encadrer les règles d'urbanisme autour de l'usine. Par un autre arrêté du même jour, il a engagé une procédure visant à instaurer des servitudes d'utilité publiques dans la zone, en application des articles 7-1 et suivants de la loi du 19 juillet 1976 désormais codifiés aux articles L. 515-8 et suivants du code de l'environnement. Contrairement à ce qu'allèguent l'appelante, le projet d'instauration de telles servitudes n'était pas abandonné lorsque l'exploitant a cessé son activité en 2003, comme en témoigne un courrier du préfet du 27 novembre 2002 qui mentionne un programme de rachat des terres agricoles en cours de mise en œuvre et indique que l'Etat est dans l'attente d'une étude détaillée de risques pour poursuivre le projet d'instauration de ces servitudes. Les éléments du dossier ne permettent pas de considérer, comme le soutient l'appelante, que l'Etat aurait commis une faute en renonçant, sous la pression de l'exploitant, à instituer de telles servitudes permettant l'indemnisation des riverains par ce dernier.
En ce qui concerne la faute tenant au refus de dépolluer les biens de l'appelante :
33. En demandant l'annulation de la décision implicite du préfet du Pas- de-Calais refusant de faire réaliser en urgence les travaux de dépollution, Mme A... a entendu se prévaloir de la faute qu'aurait, selon elle, commise l'Etat en refusant de procéder au décapage et au remplacement des terres de son terrain comme demandé en 2018 en invoquant des risques sanitaires.
34. Il résulte des dispositions relatives à la police des déchets applicables lors de la demande de l'appelante, notamment de l'article L. 541-3 du code de l'environnement et désormais des dispositions relatives à la police des sites et sols pollués, codifiées à l'article L. 556-3 du code de l'environnement, que, en cas de pollution des sols due à l'activité d'une ancienne installation classée pour la protection de l'environnement pour laquelle l'Etat ne peut plus mettre en demeure l'ancien exploitant ou une personne s'y étant substituée, ou le cas échéant toute autre personne qui y serait tenue, de procéder à la dépollution du site, en raison soit de la disparition ou de l'insolvabilité de ce dernier, soit de l'expiration du délai de prescription de l'obligation de remise en état reposant sur lui, l'Etat peut, sans y être tenu, financer lui-même, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, des opérations de dépollution au regard de l'usage pris en compte, dont il confie la réalisation à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie à un autre établissement public compétent. Dans le cas toutefois où il apparaît que la pollution d'un sol présente un risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l'environnement, il incombe à l'Etat de faire usage de ses pouvoirs de police en menant notamment des opérations de dépollution du sol, pour assurer la mise en sécurité du site, compte tenu de son usage actuel, et remédier au risque grave ayant été identifié.
35. La pollution des sols visée au point précédent peut concerner tant le site même de l'installation classée que tout site dont la pollution résulterait directement de l'activité de cette installation classée.
36. Il résulte de l'instruction que l'ancien exploitant du site de l'usine a disparu. Si la pollution des sols est avérée, comme indiqué précédemment, les résultats des dépistages organisés ne révèlent pas de liens de causalité entre la pollution observée et l'état de santé des habitants. La pollution ne présente de risque pour la santé publique qu'en cas d'ingestion ou de consommation des végétaux et ce risque peut être jugulé par des mesures de précaution dont l'appelante n'indique pas qu'elle ne serait pas en mesure de les respecter. Dans ces conditions, l'Etat n'était pas tenu de faire usage de ses pouvoirs de police en menant des opérations de dépollution du terrain de l'appelante, opérations qui en tout état de cause n'auraient pu viser qu'à la mise en sécurité du terrain. L'appelante n'est donc pas fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute au regard des obligations qui étaient les siennes en refusant depuis 2018 de procéder aux opérations de décapage et d'apport de terres sollicitées.
En ce qui concerne la méconnaissance des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
37. Aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) ". Aux termes de l'article 8 de la même convention : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
38. L'obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie au sens de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique avant tout pour les Etats le devoir primordial de mettre en place un cadre législatif et administratif visant une prévention efficace et dissuadant de mettre en péril le droit à la vie. Par ailleurs, l'article 8 de cette convention protège le droit de l'individu au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
39. Si l'appelante subit des troubles dans ses conditions de vie, compte-tenu de ce que les risques qu'elle encoure ne peuvent être regardés comme graves et eu égard aux considérations tenant à la préservation du bien-être économique de la région, la carence de l'Etat à réglementer les rejets de l'usine Métaleurop Nord ne suffit pas à caractériser une faute à exécuter ses obligations découlant des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :
40. Il ne résulte pas de l'instruction que les circonstances de l'espèce où notamment n'interviennent ni un ouvrage public, ni des travaux publics, ni une activité dangereuse des services publics, ni une rupture d'égalité devant un service ou des charges publiques, seraient susceptibles de voir engager la responsabilité sans faute de l'Etat.
41. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme A... est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme globale de 10 125 euros et à obtenir l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 21 décembre 2021 en ce qu'il a de contraire à cette condamnation.
Sur les frais liés à l'instance :
42. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 750 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser la somme de 10 125 euros à Mme A....
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 21 décembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article précédent.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 20 mars 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : D. Perrin La présidente rapporteure,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°22DA00219 2