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14/05/2024 | FRANCE | N°23DA00049

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 14 mai 2024, 23DA00049


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens-Picardie à lui verser la somme globale de 202 442 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à raison des fautes commises par l'établissement dans la prise en charge des suites de l'intervention du 26 mars 2017.



Par un jugement no 1803603-2102843 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a condamné le CHU

d'Amiens-Picardie à verser à M. B... la somme de 51 995,30 euros. En outre, il a condamné le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens-Picardie à lui verser la somme globale de 202 442 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à raison des fautes commises par l'établissement dans la prise en charge des suites de l'intervention du 26 mars 2017.

Par un jugement no 1803603-2102843 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a condamné le CHU d'Amiens-Picardie à verser à M. B... la somme de 51 995,30 euros. En outre, il a condamné le CHU d'Amiens-Picardie à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise, à laquelle M. B... est affilié, une somme de 732,92 euros, assortie des intérêts légaux, au titre de ses débours et une somme de 244,30 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Enfin, il a mis à la charge du CHU d'Amiens-Picardie une somme de 1 500 euros au titre des dépens ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre des frais engagés par M. B... et non compris dans les dépens et a rejeté le surplus des conclusions de ce dernier.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 janvier 2023, M. B..., représenté par Me Céline Lumbroso, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en portant le montant de la condamnation prononcée à l'encontre du CHU d'Amiens-Picardie à la somme de 202 442 euros ;

2°) de mettre à la charge du CHU d'Amiens-Picardie le versement d'une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- la responsabilité du CHU d'Amiens-Picardie est engagée à raison des fautes de diagnostic commises lors de la prise en charge des suites de l'intervention du 26 mars 2017 ;

- les préjudices qu'il a subis sont liés, de manière exclusive, aux fautes commises par le CHU d'Amiens-Picardie et il n'y a pas lieu de faire application d'un coefficient de perte de chance ;

- il est fondé à solliciter la condamnation du CHU d'Amiens-Picardie à lui verser, au titre de la réparation de ses préjudices, les indemnités suivantes : 4 340 euros au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire, 150 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, 5 002 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 2 000 euros au titre des souffrances endurées, 27 600 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 1 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent et 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2023, le CHU d'Amiens-Picardie, représenté par le cabinet Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête d'appel de M. B... et de toute conclusion que la CPAM de l'Oise formerait à son encontre.

Il fait valoir que :

- dès lors que le diagnostic du syndrome des loges aurait conduit à la réalisation d'une aponévrotomie dont le taux de réussite est de seulement 88 % chez les enfants, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu une perte de chance de 88 % ;

- il y a lieu de confirmer les indemnités allouées par les premiers juges qui procèdent d'une juste évaluation des préjudices de M. B..., sauf à déduire de l'indemnité allouée au titre de l'assistance par une tierce personne temporaire toutes les aides que M. B... aurait déjà perçues à ce titre ;

- il a régulièrement exécuté le jugement attaqué en tant qu'il prononce à son encontre une condamnation bénéficiant à la CPAM de l'Oise ; son assureur a en effet versé une somme de 987,35 euros à la CPAM de l'Oise le 27 février 2023.

La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués à la CPAM de l'Oise qui a seulement présenté, le 25 janvier 2023, une demande d'exécution du jugement attaqué, laquelle a fait l'objet d'une décision de classement de la présidente de la cour le 17 avril 2023.

Par ordonnance du 12 décembre 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 12 janvier 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Anissa Abdellatif, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., né le 14 août 2002, a été victime d'une chute lors d'une partie de football le 26 mars 2017 à l'origine d'une fracture très déplacée du radius et de l'ulna distal gauches. Il a été conduit au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens-Picardie où il a bénéficié en urgence d'une réduction chirurgicale sous anesthésie générale ainsi que d'une immobilisation par plâtre jusqu'au 21 juin 2017. Il n'a alors pas observé de récupération totale mais a conservé une amyotrophie de son bras gauche, une faiblesse musculaire ainsi qu'une rétraction et un déficit de mobilité du poignet et des doigts longs. Par décision du 29 novembre 2018, la directrice générale du CHU d'Amiens-Picardie a opposé un refus à la demande préalable d'indemnisation formée par ses parents en qualité de représentants légaux.

2. Les parents de M. B... ont alors déposé une requête à fin indemnitaire devant le tribunal administratif d'Amiens le 4 décembre 2018. Par un jugement avant-dire-droit du 14 mai 2020, ce tribunal a ordonné une expertise médicale, dont le rapport a été déposé le 28 avril 2021. Sur le fondement de celui-ci, M. B..., devenu entretemps majeur, a formé une nouvelle demande préalable indemnitaire par un courrier du 25 juin 2021, auquel le CHU d'Amiens-Picardie n'a réservé aucune suite. Il a alors déposé en son nom propre une nouvelle requête à fin indemnitaire devant le tribunal administratif d'Amiens le 12 août 2021.

3. Par un jugement du 22 décembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens, joignant les deux requêtes, a rejeté celle présentée par les parents de M. B... comme irrecevable et a fait partiellement droit à celle de ce dernier en condamnant le CHU d'Amiens-Picardie à lui verser une somme totale de 51 995,30 euros en réparation des préjudices résultant de l'erreur de diagnostic qu'il a commise lors de la prise en charge des complications post-opératoires, à l'origine d'une perte de chance de 88 % d'éviter les dommages. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a retenu un coefficient de perte de chance et a limité le montant de son indemnisation, qu'il demande de porter à la somme totale de 202 442 euros. En défense, le CHU d'Amiens-Picardie conclut au rejet de la requête d'appel de M. B..., sans former appel incident contre le jugement en tant qu'il le condamne à lui verser la somme de 51 995,30 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité du CHU d'Amiens-Picardie :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I.- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...) ".

5. D'autre part, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Il résulte de l'instruction, notamment de l'examen clinique de M. B... réalisé au cours des opérations d'expertise, qu'il présente une importante amyotrophie de l'avant-bras gauche, une faiblesse musculaire ainsi que des raideurs des tendons du poignet et des doigts longs. Il résulte de la documentation citée par le rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021 que de tels symptômes ne peuvent être anatomiquement expliqués que par un syndrome des loges et non par une algoneurodystrophie. En effet, une telle affection ne conduit pas à une amyotrophie musculaire, particulièrement chez les enfants, et les raideurs qu'elle emporte sont d'ordre articulaire et non tendineux. Or, en l'espèce, les praticiens du CHU d'Amiens-Picardie ayant assuré le suivi post-opératoire de M. B... ont posé le diagnostic d'algoneurodystrophie sans jamais le remettre en cause. En particulier, l'évolution de son tableau clinique dans un sens peu compatible avec ce diagnostic aurait dû conduire à envisager d'autres causes possibles et à procéder à des examens complémentaires, notamment une mesure de pression dans les loges. Il s'ensuit que l'erreur de diagnostic qu'ils ont alors commise présente, dans ces circonstances, un caractère fautif.

7. Toutefois, si le syndrome des loges dont M. B... a été atteint n'a pas été correctement diagnostiqué et pris en charge, il ne résulte pour autant pas de l'instruction que son apparition puisse être regardée comme résultant d'une faute commise lors de la prise en charge initiale de la fracture du radius et de l'ulna distal gauches. Ni le rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021 ni aucun autre élément apporté par M. B... ne permettent en effet de conclure à une prise en charge de celle-ci non conforme aux règles de l'art. Il en résulte que l'erreur de diagnostic commise lors du suivi post-opératoire a seulement fait perdre à M. B... une chance de bénéficier d'une prise en charge adaptée à cette complication. A cet égard, il ressort de la documentation médicale citée par le CHU d'Amiens-Picardie en défense, qui n'a sur ce point pas été contredite par l'expert et qui n'est pas contestée par l'appelant, qu'une prise en charge du syndrome des loges conforme aux règles de l'art présente un taux de succès chez les enfants de seulement 88 % et que 12 % d'entre eux conservent donc des séquelles semblables à celles que M. B... a subies.

8. Dans les circonstances de l'espèce, les manquements du CHU d'Amiens-Picardie doivent, dès lors, être regardés comme ayant causé à M. B... une perte de chance d'éviter les séquelles qu'il a conservées dont il sera fait une juste appréciation du taux en le fixant, à l'instar des premiers juges, à 88 %. Il s'ensuit que le CHU d'Amiens-Picardie doit être condamné, dans la même proportion, à réparer les préjudices subis par M. B....

En ce qui concerne la liquidation des préjudices :

9. D'une part, il résulte de l'instruction que M. B..., même s'il n'avait pas développé de syndrome des loges ou si celui-ci avait été diagnostiqué et pris en charge conformément aux règles de l'art, aurait en tout état de cause subi, du fait de la grave fracture dont il a été victime le 26 mars 2017 et dont le CHU d'Amiens-Picardie ne saurait être tenu pour responsable, une convalescence conduisant à l'exclusion totale ou partielle de son bras gauche au moins jusqu'au 21 juin 2017. D'autre part, il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021 qui n'est, sur ce point, contesté par aucune des parties, que l'état de santé de M. B... doit être regardé comme consolidé à la date du 17 février 2021.

S'agissant des préjudices temporaires :

- Assistance par une tierce personne temporaire :

10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021, que l'absence de diagnostic et de prise en charge dans les règles de l'art du syndrome des loges dont M. B... a été atteint a prolongé, au-delà du terme normal de la convalescence liée à la fracture initiale, ses gênes fonctionnelles au niveau de son avant-bras gauche. En raison de celles-ci, M. B... a nécessité l'aide d'une tierce personne non spécialisée pour accomplir les actes de la vie courante, évaluée par l'expert à cinq heures par semaine entre le 21 juin 2017 et le 20 avril 2018. Dès lors qu'il est constant que cette aide a été assurée par les membres de sa famille et que M. B... n'établit pas avoir exposé des frais pour bénéficier de prestations assurées par un professionnel, il n'est pas fondé à demander que l'indemnisation à laquelle il a droit soit déterminée en référence aux tarifs moyens de telles prestations. En se fondant sur un montant moyen de 14,00 euros par heure, représentatif des valeurs du salaire minimum interprofessionnel de croissance et des taux moyens des cotisations sociales obligatoires sur la période considérée, les premiers juges n'ont, contrairement à ce qu'il soutient, pas fait une inexacte appréciation de son préjudice. M. B... ne conteste aucun autre point de l'indemnité de 3 362,82 euros, avant application du coefficient de perte de chance, allouée au titre de ce poste de préjudice par les premiers juges, lesquels ont en particulier majoré la durée de la période indemnisable pour tenir compte des congés payés et des jours fériés. Alors qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction, contrairement à ce que fait valoir le CHU d'Amiens-Picardie en défense, que M. B... ait par ailleurs perçu des aides visant à financer une aide humaine et qu'il y aurait lieu de déduire, il y a lieu pour la cour de confirmer l'indemnité de 3 362,82 euros, avant application du coefficient de perte de chance, allouée par le jugement attaqué.

- Déficit fonctionnel temporaire :

11. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021, que l'absence de diagnostic et de prise en charge dans les règles de l'art du syndrome des loges dont M. B... a été atteint l'a exposé à un déficit fonctionnel temporaire de 25 % du 21 juin 2017 au 20 avril 2018 et de 10 % du 21 avril 2018 au 17 février 2021. Contrairement à ce que soutient M. B..., les premiers juges, en se fondant sur un montant de 15 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire total, ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice. Dès lors qu'il résulte de l'instruction, notamment des termes mêmes du jugement attaqué, que les premiers juges ont par ailleurs fondé leur appréciation sur les périodes et cotations retenues par l'expert et que M. B... ne conteste aucun autre point de l'indemnité de 2 880,75 euros, avant application du coefficient de perte de chance, qu'ils lui ont allouée au titre de ce poste de préjudice, il y a lieu pour la cour de la confirmer.

- Souffrances endurées :

12. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021, que l'absence de diagnostic et de prise en charge dans les règles de l'art du syndrome des loges dont M. B... a été atteint a prolongé les gênes fonctionnelles subies du fait de la fracture initiale, a conduit au développement d'une amyotrophie de son avant-bras gauche, à une faiblesse musculaire et à des raideurs des tendons du poignet et des doigts longs et a eu un retentissement sur son état de santé moral. Les souffrances ainsi endurées par M. B... ont été évaluées par l'expert à 1,5 sur une échelle de 1 à 7. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par M. B... en lui allouant, à l'instar des premiers juges, une indemnité de 1 400 euros, avant application du coefficient de perte de chance.

- Préjudice esthétique temporaire :

13. M. B... n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice esthétique résultant du plâtre qu'il a dû porter entre le 26 mars et le 21 juin 2017 dès lors que celui-ci est imputable à la fracture dont il a été victime et non à l'erreur de diagnostic commise ultérieurement par le CHU d'Amiens-Picardie. En outre, si l'absence de diagnostic et de prise en charge dans les règles de l'art du syndrome des loges dont il a été atteint a conduit au développement progressif d'une amyotrophie de son avant-bras gauche, à une faiblesse musculaire et à des raideurs des tendons du poignet et des doigts longs, il résulte également de l'instruction qu'une prise en charge conforme aux règles de l'art l'aurait conduit à subir une intervention d'aponévrotomie qui aurait occasionné des cicatrices importantes. Il s'ensuit que le préjudice esthétique temporaire subi par M. B... n'a pas excédé celui auquel l'aurait exposé une prise en charge conforme aux règles de l'art et qu'il n'est, dès lors, pas fondé, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, à en solliciter l'indemnisation.

S'agissant des préjudices permanents :

- Incidence professionnelle :

14. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021, que M. B..., qui était âgé de seulement 18 ans à la date de consolidation de son état de santé, a conservé une amyotrophie importante du bras gauche, une faiblesse musculaire et un déficit de mobilité du poignet et des doigts longs. Il en résulte un déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert à 12 %. Ces gênes fonctionnelles ne sont par elles-mêmes pas de nature à faire obstacle à l'exercice de toute activité professionnelle, y compris dans les secteurs auxquels il se réfère. En revanche, elles contraignent ses choix d'orientation en excluant l'exercice de fonctions particulièrement physiques ou impliquant la mobilisation du membre supérieur gauche. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle qu'il subit en lui allouant, à l'instar des premiers juges, une indemnité de 30 000 euros, avant application du coefficient de perte de chance.

- Déficit fonctionnel permanent :

15. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021, que M. B..., qui était âgé de seulement 18 ans à la date de consolidation de son état de santé, a conservé une amyotrophie importante du bras gauche, une faiblesse musculaire et un déficit de mobilité du poignet et des doigts longs. Il en résulte un déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert à 12 %. Cette évaluation n'est par elle-même pas contestée par le CHU d'Amiens-Picardie. Dans ces conditions, tenant compte de cette évaluation et de l'âge qu'avait M. B... à la date de consolidation de son état de santé, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant, à l'instar des premiers juges, une indemnité de 19 442 euros, avant application du coefficient de perte de chance.

- Préjudice esthétique permanent :

16. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021, qu'à la date de consolidation de l'état de santé de M. B..., l'amyotrophie de son avant-bras gauche qui s'est développée en raison de l'absence de diagnostic et de prise en charge dans les règles de l'art du syndrome des loges dont il a été atteint s'est stabilisée à un stade qualifié par l'expert de " très important ". Elle s'accompagne en outre d'une faiblesse musculaire et d'un déficit de mobilité du poignet et des doigts longs. Il en résulte un préjudice esthétique permanent qui excède celui résultant des cicatrices que M. B... aurait durablement conservées s'il avait été correctement pris en charge et avait subi l'opération d'aponévrotomie conseillée dans sa situation. L'expert a évalué le préjudice esthétique permanent subi par M. B... à 1 sur une échelle de 1 à 7. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique permanent de M. B... en lui allouant, à l'instar des premiers juges, une indemnité de 1 000 euros, avant application du coefficient de perte de chance.

- Préjudice d'agrément :

17. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise médicale du 28 avril 2021, que M. B..., qui était âgé de seulement 14 ans à la date à laquelle le dommage est survenu, avait une pratique soutenue de différentes disciplines sportives, en particulier des sports de combat. Si les séquelles qu'il a conservées excluent désormais les activités mobilisant le membre supérieur gauche et le contraignent donc dans ses choix, elles n'empêchent pas pour autant la pratique de toutes activités sportives. Il est d'ailleurs constant que les séquelles de M. B... ne l'ont pas empêché de s'orienter vers des études supérieures en sciences et techniques des activités physiques et sportives. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'agrément subi par M. B... en lui allouant, à l'instar des premiers juges, une indemnité de 1 000 euros, avant application du coefficient de perte de chance.

18. Il résulte de ce qui précède que les préjudices subis par M. B... en lien avec l'absence de diagnostic et de prise en charge dans les règles de l'art du syndrome des loges dont il a été atteint doivent être évalués à la somme totale de 59 085,57 euros. L'indemnité que le CHU d'Amiens-Picardie doit supporter au titre de sa responsabilité fautive et de la réparation des préjudices de M. B... doit dès lors être fixée, après application du coefficient de perte de chance de 88 % mentionné au point 8, à 51 995,30 euros. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité son indemnisation à ce même montant. Ses conclusions d'appel tendant à ce que le jugement soit réformé dans ce sens doivent, dès lors, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

En ce qui concerne les dépens :

19. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ". En vertu de ces dispositions, il appartient au juge saisi au fond du litige de statuer, au besoin d'office, sur la charge des frais de l'expertise ordonnée par la juridiction administrative.

20. Les frais et honoraires de l'expert désigné à la suite du jugement avant-dire-droit du 14 mai 2020 du tribunal administratif d'Amiens, taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros par ordonnance du 3 juin 2021 de la présidente de ce tribunal, doivent être mis à la charge définitive du CHU d'Amiens-Picardie. C'est dès lors à raison que le jugement attaqué a statué en ce sens et il n'y a pas davantage lieu de le réformer sur ce point.

En ce qui concerne les frais exposés et non compris dans les dépens :

21. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHU d'Amiens-Picardie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLa présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°23DA00049


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00049
Date de la décision : 14/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CABINET LE PRADO-GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-14;23da00049 ?
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