La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/05/2024 | FRANCE | N°22DA02017

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 07 mai 2024, 22DA02017


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 1er octobre 2022 et des mémoires, enregistrés les 3 octobre 2022, 12 septembre 2023 et 22 décembre 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Les vents de la plaine picarde, représentée par Me Lou Deldique, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 1er août 2022 par lequel la préfète de la Somme a refusé de lui accorder l'autorisation environnementale pour construire et exploiter quatre éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Rub

empré ;



2°) de délivrer cette autorisation ;



3°) à titre subsidiaire, d'e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 1er octobre 2022 et des mémoires, enregistrés les 3 octobre 2022, 12 septembre 2023 et 22 décembre 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Les vents de la plaine picarde, représentée par Me Lou Deldique, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 1er août 2022 par lequel la préfète de la Somme a refusé de lui accorder l'autorisation environnementale pour construire et exploiter quatre éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Rubempré ;

2°) de délivrer cette autorisation ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de la Somme de délivrer l'autorisation environnementale ou de statuer à nouveau sur la demande ;

4°) de rejeter les interventions de l'association Vent de la colère Rub 80 et de la commune de Rubempré ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'association Vent de la colère Rub 80 et la commune de Rubempré n'ont pas intérêt à intervenir ;

- les moyens de l'association Vent de la colère Rub 80 tirés de l'impact sur les chiroptères et le risque pour la sécurité et pour la santé publique sont irrecevables, l'association ne pouvant invoquer, à la place du préfet auteur de l'arrêté, de nouveaux motifs à l'appui du refus ; son moyen tiré de la perte de valeur des biens est inopérant ;

- il n'est pas justifié de la réalité et de la régularité de la délégation de signature de la signataire de l'arrêté ;

- l'arrêté n'est pas motivé ;

- la société n'a pas été mise à même de présenter utilement ses observations devant la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) en application de l'article R.181-39 du code de l'environnement ;

- l'arrêté est entaché d'une triple erreur manifeste dans l'appréciation de l'impact paysager du projet : le projet s'inscrit dans un cadre sans intérêt particulier ; il ne porte pas atteinte aux éléments du grand paysage, ni à ceux du paysage proche ; l'impact visuel est atténué par les mesures " Eviter, réduire, compenser ".

Par des mémoires en intervention enregistrés les 19 décembre 2022, 4 avril 2023, 31 août 2023,11 septembre 2023, 13 octobre 2023, 2 novembre 2023, 25 janvier 2024, l'association Vent de la colère Rub 80, représentée par Me Naldi Varela Fernandes, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son objet social statutaire lui donne intérêt à intervenir au soutien du préfet ;

- le projet a des impacts négatifs sur la biodiversité, la santé humaine, les animaux d'élevage, les paysages locaux, le patrimoine et la valeur des biens ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 septembre 2023 et 29 janvier 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le préfet de la Somme conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires en intervention enregistrés les 7 septembre 2023 et 29 janvier 2024, la commune de Rubempré, représentée par Me Alex Dewattine, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient avoir intérêt à intervenir au soutien du préfet dans la mesure où les éoliennes seront implantées sur son territoire et seront visibles par ses habitants.

Par une ordonnance du 28 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 janvier 2024.

Le 5 avril et le 8 avril 2024, la société Les vents de la plaine picarde et le préfet de la Somme ont respectivement produit des pièces à la suite de la mesure d'instruction formée en application de l'article R.613-1-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Lou Deldique, représentant la SARL Les vents de la plaine picarde.

La SARL Les vents de la plaine picarde représentée par Me Lou Deldique, a présenté une note en délibéré enregistrée le 18 avril 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 1er août 2022, la préfète de la Somme a refusé de délivrer à la société à responsabilité limitée (SARL) Les vents de la plaine picarde, l'autorisation environnementale pour construire et exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent regroupant quatre aérogénérateurs d'une puissance maximale de 14,4 MW et d'une hauteur de 170 mètres en bout de pale, et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Rubempré. La société pétitionnaire demande l'annulation de cet arrêté.

Sur la recevabilité des interventions :

2. Aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct. (...). ". Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe soit aux conclusions de l'appelant soit à celles du défendeur, présentées dans l'instance en question, et s'il justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

En ce qui concerne l'association " Vent de la colère Rub 80 " :

S'agissant de son intérêt à agir :

3. Il résulte des stipulations de l'article 2 des statuts de l'association " Vent de la colère Rub 80 " que celle-ci exerce son action sur le département de la Somme, et plus particulièrement sur la commune de Rubempré, et qu'elle a pour but " de protéger les espaces naturels, le patrimoine bâti, les sites et paysages ", de " lutter contre toutes les atteintes qui pourraient être portées à l'environnement, aux hommes, à la faune et à la flore ", " y compris par toute action en justice, contre (...) les usines d'aérogénérateurs dites "parcs éoliens" ". Ces stipulations définissent avec une précision suffisante les missions de l'association et son champ géographique d'intervention. Par son implantation et ses caractéristiques, le projet, qui comporte quatre aérogénérateurs et un poste de livraison, est susceptible d'entraîner des incidences défavorables sur les intérêts que l'association a pour objet de protéger, notamment sur le paysage du territoire où elle exerce son action. Dans ces conditions et alors même que son intervention a été enregistrée par la cour avant le mémoire en défense du préfet de la Somme, elle a intérêt au maintien de l'arrêté attaqué. Par suite, son intervention en défense doit être admise.

S'agissant de sa demande de substitution de motifs :

4. Une substitution de motifs ne peut être demandée que par l'administration autrice de la décision attaquée. Par suite, l'association " Vent de la colère Rub 80 " n'est pas recevable à soutenir que le projet a un impact négatif sur la biodiversité, la sécurité et la santé publiques dès lors que la préfète a fondé son arrêté de refus sur le seul impact paysager du projet et n'a pas repris à son compte, dans ses écritures d'appel, les autres motifs de refus invoqués par l'association. De même, elle ne peut valablement soutenir que le projet porte atteinte aux vues sur la cathédrale gothique d'Amiens et depuis la tour nord de celle-ci dans la mesure où le préfet n'a pas demandé à la cour de substituer ce motif à ceux figurant dans son arrêté. En revanche, les éléments dont l'association fait état au soutien des atteintes paysagères que le préfet invoque comme fondement à sa décision de refus, dans son arrêté ou à l'occasion de l'instance d'appel, peuvent être pris en compte par le juge.

En ce qui concerne l'intervention de la commune de Rubempré :

5. Il résulte de l'instruction que le projet litigieux est situé sur le territoire de la commune de Rubempré. Il s'ensuit que l'intervention de cette commune au soutien de la défense du préfet doit être admise.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 1er août 2022 :

Au titre de la légalité externe :

En ce qui concerne le moyen titré de l'incompétence de la signataire :

6. Aux termes de l'article 45 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements : " (...) En cas de vacance momentanée du poste de préfet, l'intérim est assuré par le secrétaire général de la préfecture (...) ". Par ailleurs, par un décret du 13 juillet 2022, il a été mis fin aux fonctions de préfète de la Somme exercées par Mme A... B... et, par un décret du 20 juillet suivant, M. C... D... a été nommé préfet de la Somme à compter du 23 août 2022.

7. En application des dispositions précitées de l'article 45 du décret du 29 avril 2004, Mme Myriam Garcia, secrétaire générale de la préfecture de la Somme, assurait les fonctions de préfète de la Somme par intérim du fait de la vacance momentanée du poste de préfet à la date de l'arrêté attaqué qu'elle a signé. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de cet arrêté manque en fait et doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de motivation :

8. Aux termes de l'article L. 211 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 7° Refusent une autorisation (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".

9. L'arrêté contesté vise les textes applicables, relate la procédure suivie et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. Il précise notamment, en premier lieu, que le projet modifie un paysage qui présente un intérêt particulier, comme étant l'un des rares grands espaces de respiration paysagère du département de la Somme, en second lieu, qu'il porte atteinte à la composition et à la solennité du cimetière militaire anglais de Villers-Bocage. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne le moyen tiré du vice de procédure devant la commission départementale de la protection de la nature, des sites et des paysages :

10. Aux termes de l'article R. 181-39 du code de l'environnement : " Dans les quinze jours suivant l'envoi par le préfet au pétitionnaire du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur, ou de la synthèse des observations et propositions du public lorsque la consultation du public est réalisée conformément aux dispositions de l'article L. 123-19, le préfet transmet pour information la note de présentation non technique de la demande d'autorisation environnementale ainsi que les conclusions motivées du commissaire enquêteur ou la synthèse des observations et propositions du public : / 1° A la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur (...) une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ; (...) / Le préfet peut également solliciter l'avis de la commission ou du conseil susmentionnés sur les prescriptions dont il envisage d'assortir l'autorisation ou sur le refus qu'il prévoit d'opposer à la demande. Il en informe le pétitionnaire au moins huit jours avant la réunion de la commission ou du conseil, lui en indique la date et le lieu, lui transmet le projet qui fait l'objet de la demande d'avis et l'informe de la faculté qui lui est offerte de se faire entendre ou représenter lors de cette réunion de la commission ou du conseil. ".

11. Il est constant que la société pétitionnaire a été informée de la réunion de la commission départementale de la protection de la nature, des sites et des paysages le 4 juillet 2022, qu'elle a été invitée à y présenter ses observations et qu'elle a pu effectivement faire valoir son point de vue. Le compte-rendu de la séance relate la teneur de plusieurs prises de parole de son représentant. La seule circonstance qu'il ne reprenne pas l'intégralité de ses observations n'est pas de nature à caractériser, en l'état des éléments du dossier, l'absence de respect du principe du contradictoire et n'a pas été de nature à influencer sur le sens de la décision. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté comme non fondé.

Au titre de la légalité interne :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur dans l'appréciation de l'atteinte aux paysages monuments et à la commodité du voisinage :

12. D'une part, aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations (...) qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments (...). ". Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation environnementale, l'autorité préfectorale est tenue, sous le contrôle du juge, de délivrer l'autorisation sollicitée si les dangers ou inconvénients que présente cette installation peuvent être prévenus par les prescriptions particulières spécifiées par un arrêté d'autorisation.

13. Pour rejeter la demande d'autorisation environnementale présentée par la SARL Les vents de la plaine picarde, la préfète de la Somme s'est tout d'abord fondé sur l'intérêt particulier du plateau du nord-Amiénois présenté comme l'un des rares espaces de respiration paysagère du département de la Somme et caractérisé par son horizontalité et des vues qui portent loin du fait de son faible vallonnement et de ses vastes parcelles planes cultivées, ponctuées de quelques bosquets. Il a souligné que les éoliennes entraient en rupture avec les paysages, notamment dans la vallée de la Nièvre, et qu'elles avaient un impact significatif sur les bourgs de Rubempré et de Villers-Bocage. Il a ensuite insisté sur la situation du projet en arrière-plan du cimetière militaire anglais de Villers-Bocage et sur la forte atteinte portée à la composition et à la solennité du lieu, alors que les éoliennes E 3 et E 4 sont prévues dans le prolongement de la croix du sacrifice du cimetière et dans l'axe d'accès à ce lieu de recueillement.

14. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un monument ou à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

15. D'autre part, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

S'agissant de la qualité du site d'implantation :

16. Il résulte de l'instruction que le projet s'insère au cœur du secteur du souvenir de la bataille de la Somme et dans l'aire d'influence de la ville d'Amiens, dans le plateau du nord-Amiénois qui se caractérise par de vastes étendues de cultures à champs ouverts ponctuées de bosquets. L'intérêt présenté par ce paysage tient ainsi à son caractère ouvert, offrant des larges vues horizontales, et cette caractéristique peut justifier, au regard des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement et en fonction de l'atteinte portée par un projet soumis à autorisation, un refus de l'autorisation sollicitée.

17. En revanche, il ne peut être utilement fait état des indications contenues dans le schéma régional éolien de Picardie ou dans le schéma régional climat air énergie 2020-2050, qui ont été annulés par un arrêt définitif de la cour n° 15DA00170 du 16 juin 2016. Par ailleurs, le préfet de la Somme ne peut davantage se prévaloir de ce que le projet est prévu pour s'implanter dans une " grande zone de respiration ", c'est-à-dire un espace sans éolien, d'après l'étude sur la saturation visuelle liée à l'implantation des parcs éoliens, réalisée par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) des Hauts-de-France, alors qu'aucun texte réglementaire n'habilite les préfets à instituer, au plan régional, de telles zones.

S'agissant du cimetière militaire anglais de Villers-Bocage :

18. L'arrêté souligne la situation du projet en arrière-plan du cimetière militaire anglais de Villers-Bocage et la forte atteinte portée à la composition et à la solennité du lieu, alors que les éoliennes E 3 et E 4 sont prévues dans le prolongement de la croix du sacrifice du cimetière et dans l'axe d'accès à ce lieu de recueillement.

19. Il résulte de l'instruction et notamment des photomontages n° 63 produits par la société pétitionnaire, que les éoliennes E3 et E4 seront visibles depuis l'entrée du cimetière. En particulier, l'éolienne E4 est prévue pour être dans l'axe du calvaire et apparaîtra ainsi derrière la croix du sacrifice, légèrement sur le côté et en surplomb par rapport aux stèles.

20. Si la société pétitionnaire critique les photomontages panoramiques réalisés par le préfet en défense, ceux-ci forment un complément utile aux pièces qu'elle a produites, notamment en adoptant un angle de vue plus central et plus haut par rapport au monument funéraire. Il n'apparaît donc pas que les documents produits par le préfet rendent compte de manière insincère de l'atteinte portée au site, compte tenu de la proximité des éoliennes E3 et E4 et de l'absence de masque visuel dans un paysage de plateau ouvert.

21. Si la société pétitionnaire souligne la présence de la zone d'activités de la Montignette à environ 600 mètres du cimetière, elle ne démontre pas que les bâtiments de cette zone porteraient une atteinte telle au site du cimetière qu'elle neutraliserait la présence des éoliennes. Il résulte au contraire de l'instruction que, d'une part, les bâtiments de cette zone d'activités ne se situent pas dans l'axe du cimetière mais sur le côté lointain, d'autre part, ils ne sont pas visibles depuis le calvaire mais seulement depuis les stèles, en outre, ils ont une hauteur moindre que les arbres de haute tige formant un bois qui les jouxte, enfin, cette zone d'activité a été créée avant que le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de l'ex-communauté de communes Bocage-Hallue, devenue communauté de communes du territoire Nord Picardie n'instaure une protection particulière du cimetière en l'identifiant comme un " élément du patrimoine vernaculaire protégé ", au sens de l'article L.151-19 du code de l'urbanisme, en ce qui concerne plus particulièrement la " présentation générale du site ".

22. Toutefois, il résulte de l'instruction que ce site de mémoire n'est pas au nombre de ceux répertoriés comme faisant partie du patrimoine mondial établi par l'Organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) au titre des " sites funéraires et mémoriels de la Première guerre mondiale (front ouest) ". En outre, même si les éoliennes E3 et E4 seront visibles lors de l'accès au cimetière, elles sont situées respectivement à 3,1 et 1,6 kilomètres du cimetière et ne sont pas implantées dans l'axe des stèles, de sorte qu'elles ne portent pas atteinte à la quiétude nécessaire au recueillement sur le site.

23. Il suit de là que les éoliennes E3 et E4 ne peuvent être regardées comme ayant un impact significatif de nature à altérer la présentation générale du site du cimetière de Villers-Bocage.

S'agissant de la vallée de la Nièvre :

24. Si l'arrêté relève que les éoliennes entrent en rupture avec les paysages de la vallée de la Nièvre - dont la société pétitionnaire a d'ailleurs noté dans son dossier le caractère " emblématique " exigeant " une vigilance extrême " -, les photomontages produits n'établissent pas que celles-ci exerceraient un effet de surplomb prégnant sur cette entité paysagère.

S'agissant des bourgs de Rubempré et de Villers-Bocage :

25. Si l'arrêté insiste sur l'impact significatif des éoliennes sur le bâti des bourgs de Rubempré et de Villers-Bocage par-delà la végétation, les photomontages n° 54 et n° 65 ne révèlent pas l'existence d'un bâti doté d'une silhouette singulière à laquelle les éoliennes porteraient une atteinte particulière. En outre, si l'association intervenante fournit des photomontages réalisés le 23 août 2023 qui montrent un impact visuel sur le hameau de Septenville - l'éolienne E 3 étant située à 903 mètres et l'éolienne E4 à 1,3 kilomètres -, et sur un bâtiment de ferme de Villers-Bocage situé à 347 mètres de l'éolienne E4, l'atteinte ne peut pas être regardée comme significative compte tenu du caractère marginal du bâti.

26. Il suit de là que les motifs tenant à l'impact significatif des éoliennes sur la vallée de la Nièvre et les bourgs de Rubempré et de Villers-Bocage que la préfète a retenus dans son arrêté ne peuvent valablement justifier le refus d'autorisation et sont entachés d'erreur de droit.

S'agissant du calvaire de la rue Saint-Eloi à Villers-Bocage :

27. Pour établir que son arrêté est légal, le préfet de la Somme invoque, dans son mémoire en défense, un autre motif tiré de l'impact du projet sur le calvaire de la rue Saint-Eloi à Villers-Bocage et renvoie aux écritures de l'association intervenante qu'il s'approprie. Il doit être regardé comme demandant que ce motif soit substitué à ceux figurant dans son arrêté.

28. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

29. Il résulte de l'instruction que le calvaire est identifié dans son ensemble sur le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de l'ex-communauté de communes Bocage-Hallue, devenue communauté de communes du territoire Nord-Picardie, comme un " élément du patrimoine vernaculaire protégé ", au sens de l'article L.151-19 du code de l'urbanisme. Si le photomontage n° 86 témoigne de ce que le projet de parc entre en co-visibilité avec le calvaire, il démontre également que le projet de parc se situe de l'autre côté de la route, sur un plan plus éloigné que le calvaire, et que les quatre éoliennes n'exercent pas d'effet de surplomb sur le monument qui est orienté dans un sens différent et qui demeure prégnant dans le paysage.

30. Ce motif n'étant pas de nature à fonder l'arrêté attaqué, il n'y a pas lieu de procéder à la substitution demandée.

S'agissant des mesures " éviter, réduire, compenser " (ERC) :

31. Aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. (...) II. - En application du 2° du II de l'article L. 122-3, l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : (...) 7° Une description des solutions de substitution raisonnables qui ont été examinées par le maître d'ouvrage, en fonction du projet proposé et de ses caractéristiques spécifiques, et une indication des principales raisons du choix effectué, notamment une comparaison des incidences sur l'environnement et la santé humaine ; 8° Les mesures prévues par le maître de l'ouvrage pour : - éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine et réduire les effets n'ayant pu être évités ; - compenser, lorsque cela est possible, les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits. S'il n'est pas possible de compenser ces effets, le maître d'ouvrage justifie cette impossibilité. /La description de ces mesures doit être accompagnée de l'estimation des dépenses correspondantes, de l'exposé des effets attendus de ces mesures à l'égard des impacts du projet sur les éléments mentionnés au 5° ; 9° Le cas échéant, les modalités de suivi des mesures d'évitement, de réduction et de compensation proposées ; (...) ".

32. Lorsqu'un dossier de demande est complet, il appartient au préfet d'examiner, sous le contrôle du juge administratif, si le projet porte une atteinte suffisamment caractérisée et significative aux principes environnementaux et patrimoniaux protégés par les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement, en tenant compte de l'ensemble des mesures " Éviter, Réduire, Compenser " proposées, destinées à éviter les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine, réduire les effets n'ayant pu être évités, et compenser, lorsque cela est possible, les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine qui n'ont pu être ni évités ni suffisamment réduits. Le préfet est tenu de délivrer l'autorisation sollicitée si les dangers et inconvénients que présente l'installation peuvent être prévenus par des prescriptions particulières. Et il ne peut cependant rejeter une demande au motif que le pétitionnaire n'a pas supprimé intégralement toutes les atteintes que comporte son projet à l'égard des espèces protégées.

33. Il ne résulte pas de l'instruction que les atteintes portées aux paysages et aux patrimoines décrits ci-dessus soient telles que la société pétitionnaire aurait dû prévoir des mesures d'évitement, de réduction et de compensation supplémentaires à celles figurant dans son dossier de demande.

34. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Les vents de la plaine picarde est fondée à soutenir que c'est à tort que la préfète de la Somme a refusé, par son arrêté du 1er août 2022, de lui accorder l'autorisation environnementale pour construire et exploiter quatre éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Rubempré et à demander l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions principales d'injonction à fin de délivrance de l'autorisation et subsidiaires à fin de réexamen :

35. Eu égard aux éléments produits par l'association intervenante concernant l'impact du projet sur la biodiversité, la sécurité et la santé publiques et sur la cathédrale gothique d'Amiens, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Somme de procéder au réexamen de la demande d'autorisation environnementale formée par la SARL Les vents de la plaine picarde au regard des atteintes potentielles que son projet pourrait porter aux chiroptères, à la sécurité publique et aux vues sur la cathédrale depuis la route départementale n° 7 et sur le paysage environnant depuis la tour nord de la cathédrale.

36. Les conclusions tendant à ce que la cour délivre l'autorisation environnementale ou, à défaut, enjoigne au préfet de la Somme de la délivrer doivent, en conséquence, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

37. L'auteur d'une intervention n'étant pas partie à l'instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par l'association " Vent de la colère Rub 80 " et par la commune de Rubempré.

38. Il y a en revanche lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la SARL Les vents de la plaine picarde sur ce même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Les interventions de l'association " Vent de la colère Rub 80 " et de la commune de Rubempré sont admises.

Article 2 : L'arrêté du 1er août 2022 par lequel la préfète de la Somme a refusé d'accorder à la SARL Les vents de la plaine picarde l'autorisation environnementale pour construire et exploiter quatre éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Rubempré est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Somme de réexaminer la demande de la SARL Les vents de la plaine picarde.

Article 4 : L'Etat versera à la SARL Les vents de la plaine picarde la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Les conclusions présentées par l'association " Vent de la colère Rub 80 " et par la commune de Rubempré sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Les vents de la plaine picarde, à l'association " Vent de la colère Rub 80 ", à la commune de Rubempré, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience publique du 18 avril 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au préfet de la Somme en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°22DA02017 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02017
Date de la décision : 07/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SCP DELARUE - VARELA - MARRAS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-07;22da02017 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award