Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 octobre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a interdit son retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2304175 du 7 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet compétent de réexaminer la situation de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour, a admis provisoirement M. A... à l'aide juridictionnelle et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 janvier 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....
Il soutient que :
- M. A... n'avait pas déposé une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade ; ses seules déclarations lors de son audition par les services de police ne justifiaient donc pas la saisine du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- l'arrêté ne méconnaît pas les dispositions de l'article L.611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- M. A... ne peut invoquer le défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, alors qu'il n'a pas déposé de demande de titre de séjour.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 mars 2024, M. A..., représenté par Me Djehanne Elatrassi, conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
- à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou à défaut à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été signée par une autorité dont il n'est pas justifié qu'elle ait délégation pour ce faire ;
- elle méconnaît le respect de son droit à être entendu, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnaît les dispositions des articles R. 611-1 et R. 611-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été signée par une autorité dont il n'est pas justifié de la délégation pour ce faire ;
- elle méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît également l'article L. 612-7 du même code et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 20 octobre 2023, le préfet de la Seine-Maritime a obligé M. B... A..., né le 1er janvier 1988, de nationalité guinéenne, à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a interdit son retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Par un jugement du 7 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, au motif de l'absence de consultation du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen d'annulation accueilli par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". L'article R. 611-1 du même code dispose que : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. ".
3. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger, l'autorité préfectorale n'est tenue, en application des dispositions précitées de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'OFII que si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.
4. Lors de son audition par les services de police, le 20 octobre 2023, pour vérification de son droit de circulation et de séjour, M. A..., qui, par la communication en cours d'instance de ses documents médicaux, a levé le secret médical, a déclaré qu'il était séropositif au virus de l'immunodéficience humaine et était suivi au centre hospitalier universitaire de Rouen. Son affection n'est pas remise en cause par l'administration, ni en première instance, ni en appel, alors que l'intéressé a produit, d'une part, un certificat établi par un médecin hospitalier le 14 décembre 2021 attestant que l'arrêt de son traitement lui serait préjudiciable et que ce traitement n'est pas disponible dans son pays d'origine, d'autre part, un certificat du même médecin du 24 octobre 2023 - certes postérieur à l'arrêté attaqué mais révélant une situation de fait préexistante - confirmant l'absence de disponibilité du traitement dans le pays d'origine et le risque, en cas de retour dans ce pays, que son pronostic vital soit engagé. Le préfet n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la teneur de ces certificats médicaux. Compte tenu de ses déclarations lors de son audition, confirmées par les pièces ultérieurement produites dont le préfet aurait pu demander communication, et même en l'absence de demande de titre sur le fondement de son état de santé, M. A... doit être regardé comme ayant porté à la connaissance du préfet des éléments d'information suffisamment précis et circonstanciés pour conduire cette autorité à solliciter l'avis du collège de médecins de l'OFII. Par suite, en prenant l'arrêté attaqué sans avoir consulté le collège des médecins de l'OFII, le préfet de la Seine-Maritime a entaché son arrêté d'une irrégularité procédurale qui a privé M. A... d'une garantie.
En ce qui concerne la demande de substitution de motif par le préfet :
5. Le préfet de la Seine Maritime, qui n'a pas produit en première instance, fait valoir en appel que M. A... n'était pas en possession d'un document d'identité ou de voyage lors de son interpellation et qu'il s'est maintenu irrégulièrement en France depuis son entrée sur le territoire le 17 octobre 2021. Il doit donc être regardé comme demandant une substitution de motif en faisant valoir que M. A... ne remplissait pas les conditions de résidence habituelle en France posées par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité.
6. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. Il n'est pas sérieusement contesté que M. A... réside en France depuis au moins le 25 octobre 2021, date à laquelle il a fait l'objet d'une procédure de transfert l'Espagne, qui n'a pas été exécutée. Lors de son audition, l'intéressé a fait état d'une adresse dans l'agglomération rouennaise qui est identique à celle indiquée sur les documents médicaux qu'il a produits et à celle mentionnée dans sa demande de première instance. Le préfet ne démontre ainsi pas que la condition de résidence habituelle en France posée par l'article L.611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas remplie. Par suite, le motif tiré de l'irrégularité de la situation administrative de M. A... n'est pas de nature à fonder l'arrêté attaqué. La demande de substitution de motif ne saurait donc être accueillie.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen, par le jugement contesté, a annulé son arrêté du 20 octobre 2023.
Sur la demande d'injonction présentée par M. A... :
9. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
10. Dès lors que le tribunal a enjoint au préfet de la Seine Maritime de réexaminer le droit de M. A... au séjour et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'injonction que l'intéressé présente à l'identique en appel.
Sur les frais non liés aux dépens :
11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Elatrassi, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Elatrassi en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et à Me Djehanne Elatrassi.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Isabelle Legrand, présidente assesseure assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. Perrin
La présidente de la formation de jugement,
Signé : I. Legrand
La greffière,
Signé : S. Pinto Carvalho
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Suzanne Pinto Carvalho
N°24DA00033 2