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18/04/2024 | FRANCE | N°22DA02431

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 18 avril 2024, 22DA02431


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Vetkali Bar a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 18 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Aisne a ordonné la fermeture, pendant une durée de quinze jours, de l'établissement qu'elle exploite au 32 rue Saint-Jean à Laon.



Par un jugement n°2002958 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requêt

e enregistrée le 21 novembre 2022 et un mémoire enregistré le 20 janvier 2023, la société Vetkali Bar, représentée par Me Ma...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Vetkali Bar a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 18 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Aisne a ordonné la fermeture, pendant une durée de quinze jours, de l'établissement qu'elle exploite au 32 rue Saint-Jean à Laon.

Par un jugement n°2002958 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 novembre 2022 et un mémoire enregistré le 20 janvier 2023, la société Vetkali Bar, représentée par Me Matthieu Seingier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 septembre 2022 du tribunal administratif d'Amiens ;

2°) d'annuler cet arrêté du 18 juillet 2020 du préfet de l'Aisne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'un défaut d'analyse des mémoires et d'une omission à statuer ;

- il est entaché d'un défaut de motivation ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de motivation et d'un vice de procédure ;

- il est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 décembre 2022, le préfet de l'Aisne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 6 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 18 juillet 2020, le préfet de l'Aisne a ordonné la fermeture, pendant une durée de quinze jours, de l'établissement exploité par la société Vetkali Bar au 32 rue Saint-Jean à Laon. Cette société a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif d'Amiens, qui a rejeté sa demande par un jugement du 22 septembre 2022. La société Vetkali Bar interjette appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " La décision / (...) / contient (...) l'analyse des conclusions et mémoires (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que la société Vetkali Bar a produit devant le tribunal administratif d'Amiens un mémoire complémentaire, qui a été enregistré le 18 mars 2021, sans être communiqué aux autres parties. Toutefois, ce mémoire ne comportait ni conclusion, ni moyen, ni élément nouveau au sens de l'article R. 611-1 du code de justice administrative susceptible d'influer sur le sens du jugement.

4. Par suite, alors même que ce mémoire a été enregistré avant la clôture de l'instruction, qui a été fixée au 29 mars 2021 par une ordonnance du 18 février 2021, les premiers juges, qui ont mentionné ce mémoire dans les visas du jugement attaqué, n'étaient pas tenus de le communiquer aux autres parties et de l'analyser dans les visas du jugement attaqué.

5. En deuxième lieu, il ressort des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif d'Amiens a expressément répondu aux moyens soulevés par la requérante. En particulier, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, n'a pas omis d'examiner le lien entre les troubles à l'ordre public survenus aux abords du Vetkali Bar et les conditions d'exploitation et de fréquentation de cet établissement.

6. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la motivation :

7. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

8. L'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il relève notamment que les troubles à l'ordre public survenus aux abords du Vetkali Bar " ont été en relation directe avec les conditions d'exploitation et la fréquentation de l'établissement ".

9. Si l'arrêté attaqué ne précise pas la nature des pratiques commerciales de l'établissement en lien avec ces troubles, il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Aisne avait adressé quelques jours auparavant à la société Vetkali Bar un " avertissement " en raison de troubles à l'ordre public survenus les 4 et 5 juillet 2020, en lien avec les pratiques commerciales de cet établissement consistant à vendre en grandes quantités des gobelets de bière à faible prix. Dans ces conditions et alors même que l'arrêté attaqué a été édicté sans procédure contradictoire préalable, la société Vetkali Bar a été mise à même de comprendre les motifs de l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré d'un défaut de motivation doit être écarté.

En ce qui concerne l'absence de procédure contradictoire préalable :

10. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 (...) sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier qu'une rixe impliquant une cinquantaine de personnes se trouvant en état d'ébriété avancée est survenue à 2 heures le 18 juillet 2020 sur la voie publique aux abords du Vetkali Bar. Les troubles qui en ont résulté à cet endroit et qui se sont poursuivis sur la place de l'hôtel de Ville, où plus d'une centaine de personnes s'étaient rassemblées, ont nécessité une intervention renforcée des forces de l'ordre et l'usage de moyens de dispersion lacrymogène en raison de violences perpétrées sur la voie publique.

12. Compte tenu, d'une part, de la gravité de ces troubles à l'ordre public, d'autre part, de la survenance au même endroit de troubles lors des nuits du 3 au 4 juillet et du 4 au 5 juillet 2020 et, enfin, du contexte sanitaire de l'épidémie de covid 19, le préfet de l'Aisne a pu estimer à bon droit que le risque de réitération de ces troubles constituait un motif d'urgence au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, et alors même que l'établissement en cause n'avait pas fait l'objet précédemment d'une mesure de fermeture administrative, mais seulement d'un avertissement, le préfet de l'Aisne a pu édicter l'arrêté attaqué sans organiser une procédure contradictoire préalable. Il s'ensuit que le moyen tiré d'un vice de procédure doit être écarté.

En ce qui concerne l'établissement pris en compte :

13. Si l'arrêté attaqué mentionne à tort que l'établissement " Vetkali Bar " est situé au " 32 " rue Saint-Jean, alors que cette adresse est celle de l'épicerie dénommée " Vetkali " et que le bar éponyme se situe au 17 de la même voie, cette simple erreur matérielle n'entache pas d'illégalité l'arrêté attaqué, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Aisne a pris en considération le fonctionnement de ce bar, et non de cette épicerie, pour prononcer la fermeture administrative litigieuse. Par suite, le moyen tiré d'une erreur de fait doit être écarté.

En ce qui concerne les motifs de la fermeture et sa durée :

14. Aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " (...) 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois (...) / 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation (...) ".

15. Il résulte de l'instruction que des troubles graves à l'ordre public impliquant un grand nombre de personnes en état d'ébriété avancée sont survenus les 4, 5 et 18 juillet 2020 dans le secteur de la rue Saint-Jean à Laon. Les troubles du 18 juillet 2020, qui ont été d'une gravité particulière, sont survenus à proximité du Vetkali Bar, quelques dizaines de minutes après sa fermeture, qui est intervenue à 1 heure 40. Or il est constant que cet établissement avait pour pratique habituelle de vendre à ses clients des " gobelets de bière " à un euro en grandes quantités.

16. Dans ces conditions, le préfet de l'Aisne a pu estimer à bon droit que les pratiques commerciales du Vetkali Bar avaient contribué à ce qu'un grand nombre de personnes, ayant consommé des quantités excessives d'alcool, commettent le 18 juillet 2020 les troubles à l'ordre public décrits ci-dessus. La circonstance que d'autres débits de boissons se trouvant dans le secteur de la rue Saint-Jean auraient pu mettre en œuvre les mêmes pratiques commerciales est sans incidence sur la matérialité des faits reprochés au Vetkali Bar et à sa contribution à l'apparition des troubles à l'ordre du public du 18 juillet 2020. Par suite, le préfet de l'Aisne a pu légalement estimer que ces troubles justifiaient une fermeture temporaire de l'établissement en application de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique.

17. Au surplus, eu égard à la violence des troubles survenus et au degré d'implication de l'établissement dans leur apparition, le préfet de l'Aisne a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, prononcer cette fermeture pour une durée de quinze jours.

18. Il résulte de ce qui précède que l'appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 juillet 2020.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la société Vetkali Bar et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Vetkali Bar est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vetkali Bar et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Aisne.

Délibéré après l'audience publique du 21 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

La présidente de la formation de jugement,

Signé : I. Legrand

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

N°22DA02431 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02431
Date de la décision : 18/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Legrand
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SEINGIER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-18;22da02431 ?
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