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16/04/2024 | FRANCE | N°23DA01175

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 16 avril 2024, 23DA01175


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Bouchain a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident survenu le 4 septembre 2015, d'enjoindre à l'administration de reconnaître cet accident comme imputable au service et de condamner la commune de Bouchain à réparer les préjudices matériels et le préjudice moral résultant selon lui de cet accident, pour un montant total de 13

7 692,02 euros.



Par un premier jugement n° 1907604 du 13 juin 2023, le tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Bouchain a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident survenu le 4 septembre 2015, d'enjoindre à l'administration de reconnaître cet accident comme imputable au service et de condamner la commune de Bouchain à réparer les préjudices matériels et le préjudice moral résultant selon lui de cet accident, pour un montant total de 137 692,02 euros.

Par un premier jugement n° 1907604 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

M. A... a également demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'avis de la commission de réforme du 18 juin 2021 et l'arrêté du 17 août 2021 par lequel le maire de la commune de Bouchain a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 4 septembre 2015, d'autre part, d'enjoindre à l'administration de le placer en congé de maladie à plein traitement à compter du 4 septembre 2015 et de reconstituer sa carrière, et, enfin, de condamner la commune de Bouchain à lui verser la somme 30 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de l'illégalité de cet arrêté.

Par un second jugement n° 2107482 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 17 août 2021, a enjoint à la commune de Bouchain de procéder au réexamen de la situation de M. A... et a rejeté le surplus de ses conclusions d'annulation et d'injonction, ainsi que ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 23 juin 2023 sous le n° 23DA01175, et un mémoire en réplique enregistré le 29 février 2024, M. A..., représenté par Me Le Bot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1907604 du 13 juin 2023 ;

2°) d'annuler la décision implicite rejetant sa demande d'imputabilité au service de l'accident du 4 septembre 2015, ainsi que la décision implicite refusant de le placer en congé de maladie à plein traitement à compter de cet accident ;

3°) d'enjoindre à la commune de Bouchain de le placer en congé de maladie pour accident de service à compter du 4 septembre 2015 et de rétablir son régime indemnitaire, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de condamner la commune de Bouchain à lui verser la somme totale de 122 692,02 euros au titre des traitements et indemnités qui lui sont dus depuis le 4 septembre 2015, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de condamner la commune de Bouchain à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Bouchain une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a statué ultra petita dès lors qu'il a regardé ses conclusions d'annulation comme dirigées contre l'arrêté du 17 août 2021 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 4 septembre 2015 alors qu'il demandait l'annulation de la décision implicite rejetant sa demande présentée le 11 juin 2019 en vue d'obtenir l'imputabilité au service de cet accident ;

- le tribunal administratif ne pouvait rejeter ses conclusions d'annulation, regardées comme dirigées contre l'arrêté du 17 août 2021, alors que, par un second jugement n° 2107482, il a annulé cet arrêté ;

- la décision implicite refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 4 septembre 2015 a été prise en l'absence d'avis de la commission de réforme, qui ne pouvait surseoir à statuer lors de sa séance du 24 novembre 2017 ;

- en l'absence d'avis, la commune était tenue de le placer en congé de maladie à plein traitement en application de l'article 16 de l'arrêté du 4 août 2004, sauf à démontrer l'impossibilité de recueillir l'avis de la commission de réforme ;

- le médecin de prévention a omis de remettre un rapport à la commission de réforme, en méconnaissance des articles 18 et 26 du décret du 14 mars 1986 et 37-7 du décret du 30 juillet 1987 ;

- la commission de réforme s'est réunie le 24 novembre 2017 en l'absence de médecin spécialiste ;

- la commission ne pouvait, dans sa séance du 27 novembre 2020, surseoir à statuer pour demander un complément d'expertise ;

- en l'absence d'avis, la commune de Bouchain devait prendre une décision dans le délai de deux mois, prévu par l'article 13 de l'arrêté du 4 août 2004 ;

- l'avis rendu par la commission de réforme le 18 juin 2021, rendu en méconnaissance des rapports d'expertise se prononçant en faveur de l'imputabilité, n'est pas compréhensible ;

- cet avis a été rendu dans des conditions irrégulières, en l'absence du rapport du médecin de prévention, prévu par les articles 18 et 26 du décret du 14 mars 1986, 16 du décret du 30 juillet 1987 et 37-7 du décret du 30 juillet 1987, et du médecin spécialiste prévu par l'article 5 du décret du 14 mars 1986 ;

- l'accident, survenu sur le lieu et dans le temps du travail, est présumé imputable au service en application de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 ;

- sa pathologie est directement imputable aux événements subis le 4 septembre 2015, résultant de sa mise à l'écart dans un bureau dépourvu de matériel informatique en état de marche et du harcèlement dont il a fait l'objet de la part du directeur général des services, constatés par un certificat du médecin de prévention ;

- elle est sans rapport avec les faits à l'origine de la procédure pénale engagée à son encontre à compter de septembre 2017 ;

- il ne présente aucune prédisposition ou antécédent psychologique ou psychique ;

- il a droit à l'intégralité de son traitement et de ses primes depuis le 4 septembre 2015 ;

- il subit un préjudice moral évalué à la somme de 15 000 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 19 février 2024 et le 12 mars 2024, la commune de Bouchain, représentée par Me Fillieux, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le requérant ne saurait obtenir en appel l'annulation de l'arrêté du 17 août 2021, qui a été annulé par le jugement attaqué ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions d'appel de M. A... présentées à l'encontre du jugement n° 1907604 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions d'annulation de la décision implicite rejetant sa demande d'imputabilité au service de l'accident du 4 septembre 2015 dès lors, d'une part, que, par un jugement n° 2107482, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 17 août 2021, qui s'est substitué à la décision implicite de rejet, et a ainsi fait droit aux conclusions d'annulation de l'intéressé, d'autre part, que le requérant n'est pas recevable à demander l'annulation du jugement n° 2107482 en tant qu'il annule l'arrêté du 17 août 2021 et, enfin, que la commune n'a pas contesté en appel ce même jugement n° 2107482 annulant l'arrêté.

Par un mémoire enregistré le 29 mars 2024, M. A... a présenté ses observations sur le moyen relevé d'office.

Par une ordonnance du 20 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 26 mars 2024, à 12 heures.

II. Par une requête, enregistrée le 23 juin 2023 sous le n° 23DA01176, et un mémoire en réplique enregistré le 7 mars 2024, M. A..., représenté par Me Le Bot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2107482 du 13 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'avis de la commission de réforme du 18 juin 2021 et l'arrêté du 17 août 2021 ;

3°) d'enjoindre à la commune de Bouchain de le placer en congé de maladie pour accident de service à compter du 4 septembre 2015 et de rétablir son régime indemnitaire, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de condamner la commune de Bouchain à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Bouchain une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la commission ne pouvait, dans sa séance du 27 novembre 2020, surseoir à statuer pour demander un complément d'expertise ;

- en l'absence d'avis, la commune de Bouchain devait prendre une décision dans le délai de deux mois, prévu par l'article 13 de l'arrêté du 4 août 2004 ;

- l'avis rendu par la commission de réforme le 18 juin 2021, rendu en méconnaissance des rapports d'expertise se prononçant en faveur de l'imputabilité, n'est pas compréhensible ;

- cet avis a été rendu dans des conditions irrégulières, en l'absence du rapport du médecin de prévention, prévu par les articles 18 et 26 du décret du 14 mars 1986 et 16 et 37-7 du décret du 30 juillet 1987 ;

- l'arrêté du 17 août 2021 est insuffisamment motivé ;

- l'accident, survenu sur le lieu et dans le temps du travail, est présumé imputable au service, en application de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 ;

- sa pathologie est directement imputable aux événements subis le 4 septembre 2015, résultant de sa mise à l'écart dans un bureau dépourvu de matériel informatique en état de marche et du harcèlement dont il a fait l'objet de la part du directeur général des services, constatés par un certificat du médecin de prévention ;

- elle est sans rapport avec les faits à l'origine de la procédure pénale engagée à son encontre à compter de septembre 2017 ;

- il ne présente aucune prédisposition ou antécédent psychologique ou psychique ;

- il a droit à l'intégralité de son traitement et de ses primes depuis le 4 septembre 2015 ;

- il subit un préjudice moral évalué à la somme de 30 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2024, et un mémoire enregistré le 25 mars 2024, qui n'a pas été communiqué, la commune de Bouchain, représentée par Me Fillieux, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que M. A... n'est pas recevable à faire appel du jugement n° 2107482 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 17 août 2021 et a ainsi fait droit aux conclusions d'annulation de l'intéressé.

Par un mémoire enregistré le 29 mars 2024, M. A... a présenté ses observations sur le moyen relevé d'office.

Par une ordonnance du 20 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 26 mars 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Fillieux, représentant la commune de Bouchain.

M. A... a présenté une note en délibéré dans chacune des instances le 3 avril 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Agent d'animation depuis décembre 2000, M. A... est entré dans les effectifs de la commune de Bouchain par voie de mutation à compter du 1er juin 2003. Mis en cause dans le cadre professionnel en raison notamment d'un comportement inapproprié à l'égard d'une de ses collègues, M. A... a été suspendu de ses fonctions, à titre conservatoire, pendant quatre mois à compter du 8 avril 2015. A l'issue de cette période de suspension, complétée par des congés annuels, M. A... a repris ses fonctions le 4 septembre 2015, puis a été placé en congé de maladie à compter du 5 septembre suivant. Par un courrier du 22 décembre 2016, l'intéressé, placé en congé de longue maladie depuis le 20 septembre 2016, a déclaré un accident de service survenu le 4 septembre 2015. Réunie le 24 novembre 2017, la commission de réforme a décidé de surseoir à statuer sur la situation de M. A..., dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée à son encontre pour les faits reprochés dans le cadre professionnel. Par un courrier du 11 juin 2019, M. A... a réitéré sa demande d'imputabilité au service de l'accident survenu le 4 septembre 2015. Par une première demande enregistrée le 2 septembre 2019 sous le n° 1907604, il a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande du 11 juin 2019, d'enjoindre à l'administration de reconnaître l'accident du 4 septembre 2015 comme imputable au service et de condamner la commune de Bouchain à réparer les préjudices matériels et le préjudice moral résultant selon lui de cet accident, pour un montant total de 137 692,02 euros. Par un avis du 18 juin 2021, la commission de réforme s'est prononcée en défaveur de l'imputabilité au service de cet accident. Par un arrêté du 17 août 2021, le maire de la commune de Bouchain a suivi l'avis de la commission et refusé de reconnaître l'accident du 4 septembre 2021 comme imputable au service. M. A... a saisi le tribunal administratif de Lille le 21 septembre 2021 d'une seconde demande enregistrée sous le n° 2107482 tendant à l'annulation de l'avis de la commission de réforme du 18 juin 2021 et de l'arrêté du 17 août 2021, l'édiction de mesures d'injonction aux fins d'obtenir un congé de maladie à plein traitement à compter du 4 septembre 2015 et la condamnation de la commune à réparer son préjudice moral pour un montant de 30 000 euros. Par un jugement n° 1907604 du 13 juin 2023, le tribunal administratif, après avoir redirigé les conclusions d'annulation de M. A... contre l'arrêté du 17 août 2021, a rejeté l'ensemble de ses conclusions d'annulation, d'injonction et de condamnation. Par un second jugement n° 2107482, rendu le même jour, il a annulé cet arrêté pour défaut de motivation, a enjoint à la commune de Bouchain de réexaminer la situation de M. A... et a rejeté le surplus de ses conclusions d'annulation et d'injonction ainsi que ses conclusions indemnitaires. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un même arrêt, M. A... relève appel de ces deux jugements en réitérant devant la cour l'intégralité de ses conclusions d'annulation, d'injonction et de condamnation de l'administration.

Sur les conclusions d'annulation visant le refus d'imputabilité :

En ce qui concerne les conclusions d'annulation rejetées par le jugement n° 1907604 :

2. D'une part, lorsqu'un requérant conteste, dans les délais de recours, une décision implicite de rejet et une décision expresse de rejet intervenue postérieurement, ses conclusions doivent être regardées comme dirigées uniquement contre la seconde décision, qui s'est substituée à la première. Si, dans l'instance n° 1907604, M. A... a demandé au tribunal administratif l'annulation de la décision implicite rejetant sa demande d'imputabilité au service de l'accident survenu le 4 septembre 2015, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 17 août 2021 intervenu postérieurement, le maire de la commune de Bouchain a expressément refusé de reconnaître cette imputabilité. Alors même que, dans l'instance n° 2107482, M. A... a également saisi le tribunal administratif de conclusions d'annulation de l'arrêté du 17 août 2021, ses conclusions présentées contre la décision implicite de rejet devaient, ainsi que l'ont relevé les premiers juges dans l'instance n° 1907604, être regardées comme dirigées uniquement contre l'arrêté, qui s'est substitué à cette première décision.

3. D'autre part, par son jugement n° 2107482, le tribunal administratif a prononcé l'annulation de l'arrêté du 17 août 2021 portant refus d'imputabilité au service et a ainsi fait droit aux conclusions d'annulation de M. A..., qui n'est pas recevable à faire appel du jugement sur ce point. En outre, la commune, qui se borne devant la cour à conclure au rejet de la requête, n'a pas relevé appel du jugement n° 2107482 en tant qu'il annule l'arrêté du 17 août 2021. Ce même jugement étant devenu irrévocable en tant qu'il annule l'arrêté, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant à l'annulation du jugement n° 1907604 en tant que celui-ci a rejeté ses conclusions d'annulation de l'arrêté du 17 août 2021.

En ce qui concerne les conclusions d'annulation accueillies par le jugement n° 2107482 :

4. Le motif par lequel le juge de l'excès de pouvoir juge fondé l'un quelconque des moyens de légalité soulevés devant lui ou des moyens d'ordre public qu'il relève d'office suffit à justifier l'annulation de la décision administrative contestée. Il s'ensuit que, sauf dispositions législatives contraires, le juge de l'excès de pouvoir n'est en principe pas tenu, pour faire droit aux conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui qu'il retient explicitement comme étant fondé. La portée de la chose jugée et les conséquences qui s'attachent à l'annulation prononcée par le juge de l'excès de pouvoir diffèrent toutefois selon la substance du motif qui est le support nécessaire de l'annulation. C'est en particulier le cas selon que le motif retenu implique ou non que l'autorité administrative prenne, en exécution de la chose jugée et sous réserve d'un changement des circonstances, une décision dans un sens déterminé. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. Lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.

5. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à en relever appel en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.

6. M. A... a obtenu devant le tribunal administratif l'annulation de l'arrêté du 17 août 2021 portant refus d'imputabilité au service. Il ne ressort pas des pièces des dossiers de première instance qu'il ait hiérarchisé ses conclusions d'annulation en fonction des causes juridiques auxquels se rattachaient les moyens soulevés, à l'encontre de cet arrêté, devant le tribunal administratif. Il n'est donc pas recevable à faire appel du jugement n° 2107482 en tant qu'il annule, à son article 1er, l'arrêté du 17 août 2021 pour insuffisance de motivation.

7. En revanche, les premiers juges, qui ont seulement enjoint à l'administration de réexaminer la situation de M. A..., ont rejeté ses conclusions à fin d'injonction tendant à obtenir les avantages d'une reconnaissance d'imputabilité au service, notamment un congé de maladie à plein traitement à compter du 4 septembre 2015. M. A... est dès lors recevable à demander au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de justifier la mesure d'injonction demandée.

Sur la régularité du jugement n° 1907604 :

8. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que le tribunal administratif était tenu de regarder les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision implicite rejetant sa demande d'imputabilité, comme dirigées uniquement contre l'arrêté du 17 août 2021, qui s'est substitué à la première décision. Par suite, et contrairement à ce que soutient le requérant, les premiers juges ne se sont pas mépris sur la teneur et la portée des conclusions d'annulation dont ils étaient saisis par la requête n° 1907604 et n'ont commis aucune irrégularité sur ce point.

9. En second lieu, alors que la jonction avec la requête n° 2107482 ne constituait pas une obligation, les premiers juges se sont prononcés, par un premier jugement, sur la seule requête n° 1907604 et, en l'absence de moyen soulevé dans cette même requête susceptible d'entraîner l'annulation de la décision contestée, ont rejeté les conclusions d'annulation dont ils étaient saisis. Si, retenant comme fondé le moyen d'insuffisance de motivation soulevé dans la requête n° 2107482, le tribunal administratif a annulé cette décision par un second jugement qui, pris le même jour, n'était pas encore devenu irrévocable, cette circonstance est sans influence sur la régularité du jugement n° 1907604.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, applicable à l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".

11. A l'appui de sa demande d'imputabilité d'un accident au service, présentée le 22 décembre 2016, M. A... soutient qu'à son retour de congés annuels, le 4 septembre 2015, il a été isolé dans un bureau dépourvu de matériel informatique, sans tâche précise à réaliser, et a été stigmatisé et humilié par le directeur général des services. Toutefois, s'il se prévaut sur ce point d'un certificat médical établi le 15 décembre 2016 par son médecin généraliste attestant l'avoir rencontré sur son lieu de travail, dans un bureau vide dépourvu d'ordinateur, il ressort du rapport d'expertise médicale du 12 août 2017 que M. A... a montré, au cours des opérations d'expertise, des photographies de son bureau indiquant la présence d'un ordinateur et d'un clavier. Par ailleurs, la commune de Bouchain conteste vivement le caractère probant du certificat médical établi par le médecin traitant de M. A... le 15 décembre 2016, plus d'un an après l'accident allégué, et produit sur ce point deux autres versions de ce document qui, si elles en reprennent la teneur, sont rédigées dans des termes différents, sans que le requérant n'explique l'existence de ces trois versions d'un même certificat. Les certificats du médecin de prévention des 14 mai et 25 novembre 2016 mentionnent une souffrance au travail en lien avec les faits professionnels reprochés à M. A..., pour lesquels il a été suspendu de ses fonctions pour une durée de quatre mois le 8 avril 2015 et qui ont donné lieu à des poursuites pénales, sans faire état d'un événement survenu le 4 septembre 2015, par le fait ou à l'occasion du service, dont aurait résulté le syndrome anxio-dépressif présenté par l'intéressé. Les certificats et rapports d'expertise produits par M. A..., notamment le rapport établi à sa demande le 10 février 2021, se bornent à reprendre sa version des faits sans établir la survenue d'un événement le 4 septembre 2015 dans le cadre professionnel susceptible de faire présumer, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière, un accident de service. Dans ces conditions, alors même que M. A..., placé en congé de maladie le 5 septembre 2015, ne présente pas de prédisposition ou d'antécédent psychiatrique, il n'est pas fondé à soutenir que le maire de la commune de Bouchain a méconnu les dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 en refusant d'imputer au service un accident survenu le 4 septembre 2015.

12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir, en l'absence de moyens susceptibles d'y faire droit, que l'annulation de l'arrêté du 17 août 2021 implique qu'il soit enjoint à la commune de Bouchain de le placer en congé de maladie pour accident de service depuis le 4 septembre 2015 et de rétablir en conséquence son plein traitement et son régime indemnitaire.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'avis de la commission de réforme du 18 juin 2021 :

13. Il n'appartient pas au juge d'appel, devant lequel l'appelant ne conteste pas l'irrecevabilité opposée par le juge de premier ressort à ses conclusions d'annulation de l'avis de la commission de réforme du 18 juin 2021, de rechercher d'office si cette irrecevabilité a été soulevée à bon droit. Dès lors, il ne saurait utilement demander devant la cour l'annulation de cet avis qui, au demeurant, revêt un caractère préparatoire et ne constitue pas une décision susceptible de recours.

Sur les conclusions indemnitaires :

14. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 11 que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il a subi un accident imputable au service le 4 septembre 2015. Dès lors, il n'est pas plus fondé à demander la condamnation de la commune de Bouchain à lui verser un plein traitement et l'intégralité de ses primes depuis le 4 septembre 2015, en application des dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984.

15. En second lieu, les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, le II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.

16. En l'absence d'accident imputable au service, M. A... ne saurait obtenir de la commune de Bouchain, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant le préjudice moral qu'il invoque, distinct de l'atteinte à l'intégrité physique. Pour la même raison, il n'est pas davantage fondé à rechercher la responsabilité pour faute de la collectivité en vue d'obtenir la réparation de ce préjudice moral.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Lille a rejeté le surplus de ses conclusions d'annulation, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions indemnitaires.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Bouchain, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. A... demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23DA01175 tendant à l'annulation du jugement n° 1907604 en tant qu'il rejette les conclusions présentées par M. A... afin d'obtenir l'annulation de la décision refusant l'imputabilité au service de l'accident du 4 septembre 2015.

Article 2 : Le surplus de la requête n° 23DA01175 et la requête n° 23DA01176 sont rejetés.

Article 3 : M. A... versera une somme de 1 000 euros à la commune de Bouchain sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la commune de Bouchain.

Délibéré après l'audience publique du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 avril 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

Le greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

Le greffier,

F.Cheppe

2

N° 23DA01175, 23DA01176


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01175
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SELARL RESSOURCES PUBLIQUES AVOCATS;SELARL RESSOURCES PUBLIQUES AVOCATS;SELARL RESSOURCES PUBLIQUES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23da01175 ?
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