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16/04/2024 | FRANCE | N°23DA01102

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 16 avril 2024, 23DA01102


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 1er juin 2022 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, lui a indiqué qu'il serait éloigné à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays vers lequel il serait légalement admissible et lui a interdit tout retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2204168 du 14 mar

s 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :


...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 1er juin 2022 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, lui a indiqué qu'il serait éloigné à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays vers lequel il serait légalement admissible et lui a interdit tout retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2204168 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 juin 2023, M. B..., représenté par Me Clément, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 1er juin 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de l'admettre provisoirement au séjour et de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision contestée a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le préfet du Nord a consulté le fichier automatisé des empreintes digitales sans avoir préalablement saisi les services de police ou de gendarmerie ou le procureur de la République, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ;

- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 231-1 et du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne représente pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, qu'il n'a jamais fait l'objet d'une condamnation pénale, et que le caractère irrégulier de son séjour ne constitue pas une menace à l'ordre public ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité dont la mesure d'éloignement est entachée ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité dont la mesure d'éloignement et le refus de délai de départ volontaire sont entachés ;

- la décision lui interdisant le retour sur le territoire français est illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité dont la mesure d'éloignement sans délai et la décision fixant le pays de destination sont entachées ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet du Nord qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 24 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 21 février 2024, à 12 heures.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n°87-249 du 8 avril 1987 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant roumain né le 23 novembre 1981, a été interpellé par les services de police le 1er juin 2022 et placé en garde à vue pour une tentative de vol en réunion survenu sur le territoire de la commune de Gondecourt, dans le département du Nord. Par un arrêté du 1er juin 2022, le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, lui a indiqué qu'il serait éloigné à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays vers lequel il serait légalement admissible et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 14 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 40-23 du code de procédure pénale : " Le ministre de l'intérieur (direction générale de la police nationale et direction générale de la gendarmerie nationale) est autorisé à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé " traitement d'antécédents judiciaires ", dont les finalités sont celles mentionnées à l'article 230-6 " du même code, c'est-à-dire, en application des dispositions de cet article, " la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ". Aux termes de l'article R. 40-24 du même code : " Le traitement est constitué des données recueillies dans le cadre des procédures établies par les services de la police et les unités de la gendarmerie nationales, ou par des agents des douanes habilités à exercer des missions de police judiciaire. / Il peut contenir des données à caractère personnel de la nature de celles mentionnées au I de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978, dans les seuls cas où ces données résultent de la nature ou des circonstances de l'infraction ou se rapportent à des signes physiques particuliers, objectifs et permanents, en tant qu'éléments de signalement des personnes, dès lors que ces éléments sont nécessaires à la mise en œuvre des finalités mentionnées à l'article 230-6 (...) ". Aux termes du I de l'article R. 40-29 du même code : " Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, aux articles L. 114-1, L. 114-2, L. 211-11-1, L. 234-1 et L. 234-2 du code de la sécurité intérieure et à l'article L. 4123-9-1 du code de la défense, les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : (...) 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat (...). Lorsque la consultation révèle que l'identité de la personne concernée a été enregistrée dans le traitement en tant que mise en cause, l'enquête administrative ne peut aboutir à un avis ou une décision défavorables sans la saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, du ou des procureurs de la République compétents (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que les conditions de consultation fixées par l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ne trouvent à s'appliquer que dans l'hypothèse d'une consultation du traitement d'antécédents judiciaires. Il ressort des pièces du dossier, notamment des termes de l'arrêté contesté, que le préfet du Nord a obligé M. B... à quitter le territoire français en se fondant sur des données personnelles issues du fichier automatisé des empreintes digitales, et non du traitement d'antécédents judiciaires. Par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que le préfet du Nord a pris l'arrêté contesté sans avoir préalablement saisi les services de police ou de gendarmerie ou le procureur de la République, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 231-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les citoyens de l'Union européenne ne sont pas tenus de détenir un titre de séjour. Toutefois, s'ils en font la demande, il leur en est délivré un ". Aux termes de l'article L. 251-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; / (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ". Il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'extrait du fichier automatisé des empreintes digitales et du procès-verbal de gendarmerie du 1er juin 2022, que M. B... a été mis en cause le 2 mai 2017 pour des vols sur un chantier et le 1er juin 2022 pour des faits de tentative de vol aggravé, survenu en réunion. Le requérant, qui n'apporte aucune précision sur les faits survenus en 2017, n'a pas contesté la matérialité de la tentative de vol, relevée à son encontre en 2022, lors de son audition par les services de gendarmerie qui l'ont interpellé en situation de flagrance. La circonstance que l'intéressé n'a pas fait l'objet d'une condamnation pénale ne fait pas obstacle à ce que le préfet du Nord tienne compte du signalement de 2017 et des faits constatés lors de son interpellation en 2022. Ainsi qu'il a été dit plus haut, le préfet n'était pas non plus tenu de solliciter, avant de se prononcer sur la situation de M. B..., les services de la police nationale ou les unités de la gendarmerie nationale compétents en application de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale. Par ailleurs, si le requérant indique résider depuis 2008 en France avec une compatriote, avec laquelle il a eu quatre enfants mineurs, il n'apporte aucun élément au dossier de nature à établir la stabilité de sa situation sur le territoire français, alors qu'il a déclaré aux services de gendarmerie avoir résidé pendant quatre mois en Allemagne au cours de l'année 2021. Il ne ressort pas des pièces du dossier que sa compagne serait en situation régulière et, d'après ses propres déclarations, ses enfants ne sont pas scolarisés. M. B..., qui s'est borné à faire état d'une activité de vente de ferraille lui rapportant moins de cinq cents euros mensuels et a nécessité le concours d'un interprète lors de son audition par la gendarmerie, ne produit aucun élément justifiant de sa situation économique et de son intégration dans la société française. Il n'est pas établi que le requérant serait dépourvu de tout lien en Roumanie, alors qu'il a encore indiqué ne voir aucun obstacle à un retour dans ce pays. Dans ces conditions, la présence de M. B... en France, eu égard à la fois au caractère de récidive et très récent des faits de tentative de vol relevés à son encontre, constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 231-1 et du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. / L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence (...) ".

7. D'une part, il résulte de ce qui précède que l'ensemble des moyens soulevés par M. B... à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ont été écartés, de telle sorte qu'il n'est pas fondé à soutenir qu'elle serait entachée d'illégalité. Il n'est donc pas plus fondé à soutenir que la décision lui refusant un délai de départ volontaire serait illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement.

8. D'autre part, le préfet du Nord a refusé d'accorder un délai de départ volontaire à M. B... en raison de l'urgence établie par la menace qu'il représente pour l'ordre public. A cet égard, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que M. B... présente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Par suite, alors que le requérant ne conteste pas l'urgence résultant d'une telle menace, dont le préfet du Nord a tenu compte pour lui refuser un délai de départ volontaire, il n'est pas fondé à soutenir que ce refus serait illégal.

9. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que l'ensemble des moyens soulevés par M. B... à l'encontre des décisions l'obligeant à quitter le territoire français et lui refusant un délai de départ volontaire ont été écartés, de telle sorte qu'il n'est pas fondé à soutenir qu'elles seraient entachées d'illégalité. Il n'est donc pas plus fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement et du refus de délai.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans ".

11. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que l'ensemble des moyens soulevés par M. B... à l'encontre des décisions l'obligeant à quitter le territoire français, lui refusant un délai de départ volontaire et fixant le pays de destination ont été écartés, de telle sorte qu'il n'est pas fondé à soutenir qu'elles seraient entachées d'illégalité. Il n'est donc pas plus fondé à soutenir que la décision lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français serait illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement, du refus de délai et de la décision fixant le pays de renvoi. Il résulte également de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se prévaloir d'une absence de menace au sens du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour solliciter l'annulation de l'interdiction de retour prise à son encontre pour une durée de deux ans.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées à fin d'injonction, et sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Clément.

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 avril 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

Le greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

Le greffier,

F.Cheppe

2

N° 23DA01102


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01102
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : CLEMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23da01102 ?
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