La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/04/2024 | FRANCE | N°23DA00721

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 16 avril 2024, 23DA00721


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Metales y Muebles Especiales SL a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, à titre principal, d'annuler la décision du 29 juin 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France lui a infligé, en application des articles L. 1264-1 et L. 1264-3 du code du travail, une amende d'un montant de 1 500 euros, d'autre part, à titre subsidiaire, de diminuer le

montant de l'amende administrative mise à sa charge.



Par un jugement n°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Metales y Muebles Especiales SL a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, à titre principal, d'annuler la décision du 29 juin 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France lui a infligé, en application des articles L. 1264-1 et L. 1264-3 du code du travail, une amende d'un montant de 1 500 euros, d'autre part, à titre subsidiaire, de diminuer le montant de l'amende administrative mise à sa charge.

Par un jugement n° 2009256 du 20 février 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 avril 2023, la société Metales y Muebles Especiales SL, représentée par Me Caliot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 29 juin 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France lui a infligé, en application des articles L. 1264-1 et L. 1264-3 du code du travail, une amende d'un montant de 1 500 euros ;

3°) à titre subsidiaire, de diminuer le montant de l'amende administrative mise à sa charge ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le manquement aux dispositions de l'article R. 1263-1 du code du travail n'est pas établi ; elle justifie de l'impossibilité matérielle de conserver, sur le lieu du chantier, les documents concernant ses salariés détachés en France ; elle ne disposait d'aucun local sécurisé et d'aucun salarié en mesure d'assurer la liaison avec les agents de contrôle ;

- une interprétation stricte de la notion d'impossibilité matérielle mentionnée à l'article R. 1263-1 du code du travail méconnaîtrait l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le principe de libre circulation des travailleurs dans l'Union européenne ;

- la société désignée pour la représenter en France conformément aux dispositions de l'article L. 1262-2-1 du code du travail, a communiqué sans délai l'ensemble des documents nécessaires aux contrôles de l'inspection du travail ;

- ces documents étaient conformes aux exigences de l'article R. 1263-1 du code du travail ;

- à titre subsidiaire, le montant des amendes prononcées devra être diminué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Metales y Muebles Especiales SL ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 23 janvier 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2014/67/UE du parlement européen et du conseil du 15 mai 2014 ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle de l'inspection du travail effectué le 20 septembre 2018 sur un chantier d'aménagement de cellules commerciales au sein du centre commercial Auchan de Noyelles-Godault, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France a, le 29 juin 2020, infligé à la société de droit espagnol Metales y Muebles Especiales SL, une amende d'un montant de 1 500 euros, au motif qu'elle avait employé un salarié espagnol détaché sur ce chantier sans avoir satisfait à ses obligations de présentation sur le lieu de travail des documents obligatoires le concernant. La société Metales y Muebles Especiales SL relève appel du jugement du 20 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France du 29 juin 2020 et, d'autre part, à la réduction du montant de l'amende infligée.

Sur le bien-fondé de l'amende administrative :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1262-2-1 du code du travail : " I. - L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. II. L 'employeur mentionné au I du présent article désigne un représentant de l'entreprise sur le territoire national, chargé d'assurer la liaison avec les agents mentionnés à l'article L. 8271-1-2 pendant la durée de la prestation. ". Selon l'article L. 1263-7 du même code : " L'employeur détachant temporairement des salariés sur le territoire national, ou son représentant mentionné au II de l'article L. 1262-2-1, présente sur le lieu de réalisation de la prestation à l'inspection du travail des documents traduits en langue française permettant de vérifier le respect des dispositions du présent titre. ". L'article R. 1263-1 de ce code précise que : " I. L'employeur établi hors de France conserve sur le lieu de travail du salarié détaché sur le territoire national ou, en cas d'impossibilité matérielle, dans tout autre lieu accessible à son représentant désigné en application de l'article L. 1262-2-1 et présente sans délai, à la demande de l'inspection du travail du lieu où est accomplie la prestation, les documents mentionnés au présent article. ". Et aux termes de son article R. 1263-2 : " Les documents mentionnés à l'article R. 1263-1 sont traduits en langue française. / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1264-1 du code du travail : " La méconnaissance par l'employeur qui détache un ou plusieurs salariés d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-2-1, au troisième alinéa du II de l'article L. 1262-4, à l'article L. 1262-4-4 ou à l'article L. 1263-7 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3 ".

4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un prestataire de services établi hors de France, qui détache des salariés, une amende administrative prévue par les dispositions de l'article L. 1264-3 du code du travail, de vérifier la matérialité des faits reprochés à ce prestataire de services et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir ou d'annuler la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant dans le cadre prévu par les dispositions applicables au litige.

5. En premier lieu, il résulte des dispositions combinées des articles L. 1263-7 et R. 1263-1 du code du travail qu'il appartient à l'employeur établi hors de France et qui emploie des salariés détachés, de mettre en œuvre tous les moyens propres à lui permettre de présenter sans délai, en cas de contrôle de l'inspection du travail sur le lieu de la prestation, l'ensemble des documents requis aux fins de permettre à l'administration de vérifier les informations relatives aux salariés détachés et de s'assurer de l'exercice d'une activité réelle et substantielle de cet employeur dans son pays d'établissement. Si l'employeur peut conserver ces documents dans tout autre lieu accessible au représentant qu'il a désigné sur le territoire français, en cas d'impossibilité matérielle tenant notamment à la nature du chantier, l'aménagement de cette faculté ne l'exonère pas pour autant de son obligation d'être en capacité de rendre aisément et immédiatement accessible l'ensemble des documents nécessaires au contrôle effectué sur place par l'inspection du travail.

6. En l'occurrence, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'inspectrice du travail s'étant rendue le 20 septembre 2018 sur le lieu du chantier réalisé par la société Metales y Muebles Especiales SL, qu'aucun des salariés présents sur le chantier n'a été en mesure de lui communiquer l'ensemble des documents exigés par l'article R. 1263-1 du code du travail pour justifier de la régularité de la situation d'un salarié espagnol, qui n'a pu justifier que de la détention de sa carte professionnelle du bâtiment travaux publics (BTP). Si la société Metales y Muebles Especiales SL soutient qu'à défaut de disposer sur place d'un bureau fermé permettant de détenir ces documents, ceux-ci étaient enregistrés dans une plateforme électronique mise à sa disposition par la société CIBA Services désignée pour la représenter en France, il ressort toutefois du rapport de contrôle précité que malgré ses demandes, aucun document n'a pu être remis en temps voulu à l'inspectrice via cette plateforme. Au demeurant, si la société Metales y Muebles Especiales SL produit un extrait de capture d'écran montrant qu'elle a désigné la société CIBA Services pour la représenter en France, cette pièce n'est pas de nature à établir qu'il existait effectivement une possibilité de connexion à cette plateforme numérique dans la mesure où, en ce qui concerne la désignation du " lieu de conservation des documents devant être tenus à disposition des services de contrôle ", seule la case renvoyant " à l'adresse du représentant " a été validée, celle portant la mention " sur un espace de stockage sécurisé de documents " n'ayant pas été renseignée. Dans ces conditions, à supposer même que l'employé de la société Incoga Norte SL faisant fonction de superviseur de l'ensemble du chantier où intervenaient plusieurs entreprises de droit espagnol dont la société appelante et avec lequel l'inspectrice du travail s'est entretenue lors du contrôle sur place n'ait disposé d'aucune habilitation ou qualité pour représenter la société Metales y Muebles Especiales SL, il appartenait à cette dernière de prendre toutes mesures lui permettant, sans délai, de remettre à l'administration du travail les documents exigés par l'article R. 1263-1 du code du travail ou de lui permettre d'y accéder via une plateforme dématérialisée. Enfin, si la société CIBA Services a remis ces documents le 4 octobre 2018, cette circonstance est sans incidence sur la matérialité du manquement aux obligations imposées par les articles L. 1263-7 et R. 1263-1 du code du travail qui résulte de l'impossibilité dans laquelle s'est trouvée l'inspectrice du travail d'en disposer le jour même où elle a effectué son contrôle sur le lieu du chantier.

7. En deuxième lieu, comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, l'administration n'a pas adopté une interprétation restrictive des règles communautaires, de la directive 2014/67/UE du parlement européen et du conseil du 15 mai 2014, pour la transposition de laquelle les dispositions de l'article R. 1263-1 du code du travail ont été prises, dès lors que l'article 9 de cette directive prévoit expressément que les Etats membres peuvent imposer la conservation des documents précités pendant la durée du détachement en un lieu accessible et clairement identifié du territoire de l'Etat membre de détachement, comme le lieu de travail ou le site de construction.

8. En dernier lieu, si la société appelante soutient que la société CIBA Services a remis les documents demandés le 4 octobre 2018, cette circonstance est sans incidence sur la matérialité du manquement aux obligations imposées par les articles L. 1263-7 et R. 1263-1 du code du travail qui résulte de l'impossibilité dans laquelle s'est trouvée l'inspectrice du travail d'en disposer " sans délai ", soit le jour même où elle a effectué son contrôle sur le lieu du chantier. En outre, il résulte de l'instruction que les documents transmis n'étaient pas conformes aux exigences formelles prévues par l'article R. 1263-1 du code du travail, en particulier le relevé des heures de travail lequel ne permettait pas de s'assurer du décompte individuel des heures de travail ainsi que du paiement de celles effectivement réalisées.

Sur la proportionnalité de l'amende administrative :

9. Aux termes de l'article L.1264-3 du code du travail : " L'amende administrative mentionnée aux articles L. 1264-1 et L. 1264-2 est prononcée par l'autorité administrative compétente, après constatation par un des agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés aux articles L. 8112-1 et L. 8112-5. / Le montant de l'amende est d'au plus 4 000 € par salarié détaché et d'au plus 8 000 € en cas de réitération dans un délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 €. / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. / (...) ".

10. La société Metales y Muebles Especiales SL s'est vu infliger, à raison de la méconnaissance des obligations résultant de l'article L. 1263-7 du code du travail, une amende d'un montant de 1 500 euros pour le salarié détaché dont la présence a été constatée le 20 septembre 2018 sur le chantier d'aménagement de cellules commerciales du centre commercial Auchan de Noyelles-Godault. Les manquements constatés ont fait obstacle à la vérification sur place et sans délai de la situation de ce salarié et il résulte de l'instruction, notamment des déclarations recueillies par l'inspecteur du travail auprès du chef de chantier, que la société intéressée avait fait l'objet précédemment d'un contrôle en Corse ayant révélé les mêmes manquements en ce qui concernait l'absence d'accessibilité à l'ensemble des documents exigés par l'article R. 1263-1 du code du travail. En outre, comme il a été dit au point 8, les documents présentés le 4 octobre 2018 étaient incomplets. Dans ces conditions, et alors que l'appelante n'apporte aucun élément quant à ses ressources et à ses charges, le montant de l'amende de 1 500 euros qui lui a été infligée n'apparaît pas disproportionné.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Metales y Muebles Especiales SL n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Metales y Muebles Especiales SL, au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Metales y Muebles Especiales SL est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Metales y Muebles Especiales SL et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience publique du 2 avril 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. ViardLe greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

Le greffier,

F.Cheppe

No 23DA00721 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00721
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SELARL PICOT VIELLE & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23da00721 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award