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02/04/2024 | FRANCE | N°23DA00456

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 avril 2024, 23DA00456


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 16 décembre 2020 par lequel le directeur départemental du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord a prononcé sa révocation à titre disciplinaire à compter du 1er janvier 2021.



Par un jugement n° 2101187 du 10 janvier 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 10 mars 2023, M. A..., représenté par Me Jamais, demande à la cour :



1°) d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 16 décembre 2020 par lequel le directeur départemental du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord a prononcé sa révocation à titre disciplinaire à compter du 1er janvier 2021.

Par un jugement n° 2101187 du 10 janvier 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2023, M. A..., représenté par Me Jamais, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 décembre 2020 ;

3°) d'enjoindre au directeur départemental du SDIS de régulariser sa situation administrative, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du SDIS du Nord une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'avis du conseil de discipline et la sanction de révocation sont insuffisamment motivés ;

- la sanction de révocation est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que les faits qui lui sont reprochés ne présentent pas un caractère fautif ; à cet égard, la condamnation pénale dont il a fait l'objet ne présente aucun lien avec ses fonctions et ses agissements n'ont pas porté atteinte à l'image du SDIS ou au bon fonctionnement du service ;

- la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée dès lors, notamment, que le quantum de la sanction n'a pas tenu compte, d'une part, de ce que les faits en cause sont isolés et ont été commis en dehors du service ni, d'autre part, de ses états de service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2023, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord, représenté par Me Segard, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'appelant la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 6 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 juillet 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- Le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me B... Segard pour le service départemental d'incendie et de secours du Nord.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., titulaire du grade de sergent-chef de sapeurs-pompiers professionnels, était employé par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord et affecté au centre d'incendie et de secours de Marcq-en-Barœul. Par un courrier du 24 septembre 2020, il a été informé de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre à la suite de sa condamnation par le tribunal correctionnel de Lille le 12 mars 2020 à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits d'escroquerie commis envers deux de ses collègues. Le conseil de discipline, aux termes d'un avis du 9 décembre 2020, a proposé la révocation de l'intéressé. Par un arrêté du 16 décembre 2020, le président du SDIS du Nord a pris à son encontre la sanction disciplinaire de révocation. M. A... relève appel du jugement du 10 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 modifié portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés. ". Aux termes des dispositions de l'article 12 du décret du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux : " Le conseil de discipline délibère sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée (...). / La proposition ayant recueilli l'accord de la majorité des membres présents doit être motivée (...) ". L'exigence de motivation, prévue par l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, de l'avis de la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline constitue une garantie. Cette motivation peut être attestée par la production, sinon de l'avis motivé lui-même, du moins du procès-verbal de la réunion de la commission comportant des mentions suffisantes. Dans le cas où aucun avis motivé de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline ni même aucun procès-verbal de sa réunion ne sont produits devant le juge, l'exigence de motivation de l'avis du conseil de discipline ne peut être regardée comme ayant été respectée.

3. L'avis du conseil de discipline du 9 décembre 2020 consacré à l'examen du cas de M. A... mentionne notamment que l'intéressé a été condamné le 12 mars 2020 par le tribunal correctionnel de Lille à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis assortie d'une mise à l'épreuve de deux ans pour des faits constitutifs d'escroquerie envers deux de ses collègues, qu'il a par ailleurs été condamné à les indemniser et que ce comportement, qui est incompatible avec les fonctions de sapeur-pompier professionnel, constitue un manquement au devoir de dignité et de probité. Il fait également état des explications apportées par l'intéressé sur ces faits lors de la séance et de la proposition adoptée à l'unanimité des voix d'une sanction de révocation. Par suite, le moyen tiré de ce que cet avis n'est pas suffisamment motivé manque en fait et doit être écarté.

4. En deuxième lieu, en application de l'article 19 précité de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la décision prononçant une sanction disciplinaire à l'encontre d'un fonctionnaire doit être motivée. Le législateur a ainsi entendu imposer à l'autorité qui prononce une sanction l'obligation de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre du fonctionnaire de sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.

5. La sanction de révocation vise les textes applicables ainsi que l'avis du conseil de discipline du 9 décembre 2020, énonce les faits reprochés à M. A... et se prononce sur la qualification de ces manquements de nature à justifier le prononcé d'une sanction de révocation. Dès lors, l'arrêté contesté, qui comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé.

6. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. (...) ". Aux termes de l'article 29 de cette même loi : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. ". En application de ces dispositions, les faits commis par un fonctionnaire en dehors du service peuvent constituer une faute passible d'une sanction disciplinaire lorsque, eu égard à leur gravité, à la nature des fonctions de l'intéressé et à l'étendue de ses responsabilités, ils ont eu un retentissement sur le service, jeté le discrédit sur la fonction exercée par l'agent ou sur l'administration, ou encore si ces faits sont incompatibles avec la qualité d'agent public.

7. D'autre part, aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 visée ci-dessus portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation. (...) ".

8. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

9. Il ressort de l'arrêté contesté du 16 décembre 2020 que, pour prononcer la révocation de M. A..., le directeur départemental du service départemental d'incendie et de secours du Nord s'est fondé, ainsi qu'il a été dit, sur la circonstance qu'il avait fait l'objet d'une condamnation pénale de six mois d'emprisonnement avec sursis assortie d'une mise à l'épreuve d'une durée de deux ans, devenue définitive. Par son jugement du 12 mars 2020, le tribunal correctionnel de Lille l'a reconnu coupable, d'une part, de faits d'escroquerie commis entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018 et, d'autre part, d'opposition au paiement d'un chèque avec l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui, faits commis du 6 septembre au 9 octobre 2018. Il a par ailleurs été condamné à payer à ses deux victimes les sommes respectives de 20 000 et 7 604,19 euros en réparation des préjudices moraux et matériels subis. M. A... fait valoir que ces faits sont isolés et ne présentent aucun lien direct ou indirect avec ses fonctions. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement du rapport introductif à la saisine du conseil de discipline du 24 septembre 2020, que M. A... a commis une escroquerie du type " Pyramide de Ponzi " dans le secteur de l'achat-revente de véhicules pour laquelle il a sollicité de l'argent de trois de ses collègues également affectés au centre d'incendie et de secours de Marcq-en-Barœul. Ce stratagème, qui consistait pour M. A... à emprunter auprès de ces derniers d'importantes sommes d'argent en leur promettant en retour des gains financiers supérieurs, a conduit à des plaintes pénales de la part de deux de ces agents pour escroquerie en 2019, l'intéressé refusant systématiquement de leur rembourser les sommes prêtées. En conséquence, s'il n'a pas usé des moyens des services d'incendie et de secours pour commettre ces infractions, M. A..., qui au surplus ne justifie ni même n'allègue avoir indemnisé ses victimes depuis sa condamnation, n'en a pas moins utilisé ses relations professionnelles afin de commettre les actes frauduleux auxquels il s'est livré. Par ailleurs, s'il n'est pas contesté que les faits reprochés à l'appelant n'ont donné lieu à aucune publicité et qu'il a été maintenu dans ses fonctions, dans l'attente de l'issue de la procédure pénale, ils ont nécessairement eu pour effet de perturber le bon fonctionnement de ce service. A cet égard, il ressort des termes mêmes de la note établie le 11 juin 2020 par le chef du centre de secours principal que ces agissements se sont traduits par une dégradation des relations entre les agents impliqués dans le montage financier frauduleux élaboré par l'intéressé comme en témoigne une altercation violente intervenue dans la nuit du 6 au 7 décembre 2018 entre deux collègues et la circonstance que deux agents du service, dont M. A..., ont bénéficié d'un congé de longue maladie à partir du 26 octobre 2018. Dans ces conditions, les agissements commis par le requérant, constatés par le juge pénal, dont la décision est revêtue sur ce point de l'autorité de la chose jugée et qui s'impose à l'administration et au juge administratif, revêtent un caractère fautif justifiant le prononcé d'une sanction disciplinaire et ne sont pas, dès lors qu'ils ont été commis à l'égard de plusieurs collègues, dépourvus de tout lien avec le service.

10. Les faits précités retenus à l'encontre de M. A... révèlent de sa part un comportement contraire à la dignité de la profession et portant atteinte à la cohésion nécessaire aux sapeurs-pompiers appelés à accomplir ensemble les mêmes missions. Eu égard à leur gravité et à leurs conséquences sur le bon fonctionnement du service, la sanction de révocation prononcée à l'encontre du requérant par le directeur départemental du SDIS Nord, après avis favorable de la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire à l'unanimité des voix, ne peut être regardée comme disproportionnée, quand bien même l'intéressé ne présentait pas d'antécédents disciplinaires et accomplissait de manière satisfaisante son métier de sapeur-pompier professionnel. Par suite, le moyen tiré d'une erreur d'appréciation dans le choix de la sanction doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 décembre 2020 par lequel le directeur départemental du service départemental d'incendie et de secours du Nord a prononcé sa révocation. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions présentées à fin d'injonction.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDIS du Nord, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. A... demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme dont le SDIS du Nord demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du service départemental d'incendie et de secours du Nord présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au service départemental d'incendie et de secours du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 19 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.

Le président-assesseur,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La présidente de chambre-rapporteure,

Signé : M.-P. ViardLe greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

F. Cheppe

N° 23DA00456 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00456
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre Viard
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SHBK AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;23da00456 ?
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